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58 ANS APRÈS LES GRANDES MANIFESTATIONS POPULAIRES Belcourt, un 11 décembre 2018

Photo : Samir Sid
Photo : Samir Sid

Une lumière aveuglante enveloppe Belcourt ce matin. Les rayons du soleil qui ont eu peine à percer une brume où se mêlent humidité et pollution produisent un effet de réverbération dont Ismaïl se protège avec un chapeau de coton blanc et noir. De loin, il parvient, toutefois, à répondre à des amis qui l’invitent à rejoindre la traditionnelle commémoration du 11 Décembre…
Abla Chérif - Alger
(Le Soir) - De loin toujours, s’installe alors un dialogue fait de gestuelle entre le cinquantenaire aux yeux soulignés de khol et le groupe qui l’invite. Avec des gestes précis, il leur fait comprendre qu’il n’a pas le temps de se joindre à la cérémonie organisée par les autorités locales. Ces dernières semblent pourtant compter sur les «anciens», les fils du quartier n’ignorant rien des évènements commémorés en ce début de matinée. Ismaïl ne se compte pas parmi les anciens. Il est de cette génération intermédiaire nourrie aux histoires que lui racontaient sa mère, sa grand-mère, des filles de l’ex-Clos-Salembier venues très jeunes à Belcourt.
Comme beaucoup de ses voisins, il éprouve, cependant, beaucoup de mal à entretenir vivace l’histoire de Décembre 1960. «L’enseignement n’a pas porté ses fruits, les problèmes quotidiens ont fait des ravages», murmure-t-il, tête baissée. «Pourtant, on ne peut pas oublier, on ne peut pas faire semblant que rien ne s’est passé ce jour-là, sinon nous ne serions pas là, enfin presque… J’ai quitté le pays durant la décennie noire, aujourd’hui, je ne peux plus vivre ici, j’ai refait ma vie là-bas», poursuit-il, avec une voix plus forte. Ses yeux balayent sans cesse les lieux. Le carrelage qui recouvre les trottoirs allant de Hassiba à Belcourt ont été enlevés dans le cadre d’une opération de rénovation qui tarde à prendre fin. Le groupe d’amis qui assistait à la cérémonie de dépôt d’une gerbe de fleurs est invité à nous rejoindre.
A petits pas pressés, ils s’éloignent de Laâkiba et de ses bruits. Hussein, le plus âgé, s’engouffre dans une ruelle pour s’éloigner des sacs d’ordures éventrés que l’on trouve un peu partout. Il éprouve un grand besoin de parler du 11 Décembre. «Si on s’accroche à notre histoire, et qu’on l’enseigne comme il le faut aux jeunes générations, on pourra peut-être aider nos enfants à s’en sortir, à se forger une identité, mais, pour l’instant, c’est une catastrophe.» Très vite, il en arrive au sujet. Ses mains tremblantes caressent un mur à la peinture écaillée. Des morceaux d’affiches datant des dernières élections locales sont encore là. Au-dessus, des graffitis. Sa voix se fait grave : «Le 10 décembre 1960, je me trouvais là au même endroit avec mon père. J’avais dix ans à l’époque. Des Français manifestaient ce jour-là pour réclamer une Algérie française. J’entendais les grands dire que de Gaulle était arrivé. Les musulmans ont réagi et sont sortis scander des slogans en faveur de l’indépendance. J’étais excité. De retour à la maison, j’ai trouvé ma mère et des voisines affairées à coudre des drapeaux. Mon père a fermé la porte de la pièce où elles se trouvaient. J’ai appris plus tard que tout le monde se préparait pour le lendemain. Tout le monde est sorti, il y avait un monde fou, et beaucoup d’enfants étaient présents à l’évènement. Nous étions conscients nous aussi de ce qui se passait. Et puis, les soldats français ont réagi, ils ont tiré, tué sans discernement.»
Hussein halète, des images défilent devant ses yeux. Un voisin, un jeune de 26 ans, passe à ce moment-là. Il tient entre les mains un journal qui traite des harragas. «Je ne comprends pas, ils évoquent uniquement l’arrivée des victimes de Raïs-Hamidou, il y a pourtant deux corps qui ont été remis à leurs familles à la Concorde.»
Le débat dévie sans que personne en prenne garde. «Vous avez des nouvelles des petits qui sont partis ? Comment se fait-il que personne ne leur ai encore parlé ? Ils sont en prison ? J’espère que rien ne leur est arrivé.» Il y a près de quinze jours que deux jeunes de Belcourt ont quitté le pays. Deux nouveaux harragas dont parle le quartier. «On avait deviné ce qui allait se passer, ils en parlaient beaucoup, comme tout le monde ici d’ailleurs. C’est grave, nos jeunes n’ont même plus peur de la mort, disparaître en mer, c’est pourtant terrifiant. Ils fuient, tête baissée, la vie ne leur offre rien ici. Même les universitaires sont sans perspectives.» D’un geste de la main, il balaye les alentours, pointe du doigt les façades grises des bâtisses, les ordures qui s’entassent, les vendeurs à la sauvette qui peinent à écouler leurs marchandises tout en surveillant tout mouvement policier.
«La nuit, c’est pire, depuis un moment, c’est mal éclairé, on se retrouve dans les cafés pour essayer de passer le temps, mais le cœur n’y est pas, auparavant, il y avait la peur du terrorisme, aujourd’hui, il y a la peur de perdre ses enfants en mer, ou de les voir sombrer dans la drogue. C’est devenu très grave.» La discussion dure un moment, mais Hussein finit par se reprendre. «Va appeler ton père», lance-t-il au jeune. Lorsque ce dernier arrive, il lui demande d’évoquer l’histoire de l’une des victimes des évènements du 11 Décembre 1960. Avant de le faire, il raconte : «C’est comme si c’était hier. Tout Belcourt était sorti, il y a eu beaucoup de morts. La petite Saliha Ouatiki, douze ans, était sur les épaules d’un manifestant lorsqu’elle a été atteinte en pleine poitrine par un soldat français. Il l’a ciblée parce qu’elle portait un drapeau national. Aujourd’hui encore nos mères cachent soigneusement d’anciennes photos de cette foule qui portait des emblèmes nationaux. Les Français étaient devenus fous de rage. Et puis, très vite, les manifestations se sont étendues à de nombreux quartiers de la capitale.»
L’histoire qu’il devait raconter est celle d’une jeune fille alors âgée de 17 ans en 1960. Sa mère lui avait remis un drapeau flambant neuf pour défiler ce jour-là, mais, à peine sortie de chez elle, des soldats se sont précipités et l’ont emmenée pour la questionner sur l’origine du drapeau. N’en sachant rien réellement, elle a été torturée puis relâchée en fin de journée. Elle n’a jamais pu s’en remettre. Ni quitter Belcourt où les évènements d’hier se mêlent à ceux d’aujourd’hui dans son esprit confus.
A. C.

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