Comme s’il résidait à Tamanrasset, Aïn Témouchent ou quelque village
du pays profond, Saïd Bouhadja s’est «offert une virée algéroise »
avant-hier. Les choses étant au point où elles sont, on aurait remplacé
le terme «offert» par «permis» et personne n’en aurait relevé
l’incongruité lexicale. Et ce n’est ni la faute des Algériens ordinaires
qui n’ont pas été habitués à rencontrer leurs responsables politiques au
détour d’une rue ou sur une terrasse de café. Ni celle de la presse qui
en a fait le relais. Pas plus habituée que le citoyen lambda à croiser
les hommes de pouvoir dans les lieux publics, elle en a fait un
événement politique. Peut-être bien à raison, d’ailleurs. Le président
de l’Assemblée nationale sirotant un café en terrasse au cœur de la
capitale en serrant volontiers les mains tendues et en acceptant avec
bonheur quelques sollicitations providentielles pour des «selfies», ça
ne pouvait pas relever des choses normales de la vie ordinaire. Survenue
dans la foulée du fantastique et fantasque feuilleton qui se déroule au
Palais Zighoud depuis des semaines maintenant, la vraisemblance d’une
mise en scène à dessein est trop évidente pour ne pas être appréhendée
en tant que telle. Ce qui ne gâte rien, M. Bouhadja n’a rien fait pour
qu’on puisse voir autre chose dans sa balade algéroise. La balade des…
gens heureux ? Selon ce qui a été rapporté par les confrères, ça en a
tout l’air, même si leur présence sur les lieux balaye déjà l’hypothèse
de la «spontanéité» qui fait le… charme des rencontres imprévues. Mais
la spontanéité, on ne va pas s’appesantir là-dessus, puisque personne ou
presque n’en a évoqué la possibilité. Interrogeons-nous plutôt sur le
reste. Le président — on allait écrire le président sortant — de
l’Assemblée nationale a-t-il voulu tirer son baroud d’honneur par sa
dernière sortie ? Possible. Dans ce cas, il savait où ça pouvait faire
un tant soit peu mal et il a appuyé dessus. Il ne s’attendait peut-être
pas à ce que des gens viennent serrer sa main ou lui proposer une photo
mais il s’attendait à ce que sa «virée» se sache. Partir pour partir,
autant sauver ce qui peut être encore sauvé. En cédant à l’injonction,
il aurait terminé comme un apparatchik ordinaire dont il n’y a plus rien
à tirer. En «résistant» jusqu’au bout, il tirerait une salve de dignité.
Une salve parfois suffisante pour redorer un blason et ça a peut-être
commencé dans ce café de la Grande Poste. L’Algérien lambda a une telle
aversion pour le système qu’il est capable de faire de Bouhadja un
héros. Mais… s’il restait ? Difficilement envisageable, bien sûr. Mais
c’est peut-être aussi ce qu’il est venu suggérer en terrasse. Dans un
cas comme dans l’autre l’épreuve Bouhadja n’aura pas été banale. C’est
déjà ça de pris sur le long fleuve tranquille.
S. L.
S. L.