La grève des enseignants des écoles primaires à un moment où l’essentiel
des Algériens lorgnent un projet de liberté pour le pays et investissent
la rue, dans la continuité et la détermination, pour y parvenir, est
doublement embarrassante. D’abord pour les grévistes eux-mêmes. Certes,
ils n’ont pas toujours été un exemple de rectitude dans la façon
d’organiser leurs contestations, d’exprimer leurs revendications et de
formuler des compromis possibles pour ne pas avoir à sanctionner par
leur action des écoliers déjà trop malmenés par une école en décrépitude
pour pouvoir supporter une menace sur le minimum formel : pouvoir… aller
en classe. Les débrayages dans les écoles, comme tous les autres qui
impactent directement la vie du citoyen, ont toujours souffert de leur
impopularité. Un peu plus peut-être, étant entendu que personne ne va
s’excuser de mettre l’avenir de sa progéniture au premier rang de ses
priorités. Mais cette fois-ci, la conjoncture aidant, la gêne devrait
s’accentuer. D’abord en raison de l’émanation de la grève : c’est suite
à des appels anonymes sur les réseaux sociaux que l’idée s’est
développée, avant d’être suivie, dans des proportions qu’on n’attendait
peut-être pas. Pour un secteur qui passe à juste titre pour avoir des
syndicats puissants et suffisamment autonomes, ce n’est pas très
gratifiant de se retrouver dans la posture de « suiveurs » même si,
rapidement, ils ont repris les devants dans l’opération. Quand on y
ajoute la nature des revendications, particulièrement les termes dans
lesquels elles sont formulées, on se rend compte de l’impréparation -
dans le meilleur des cas - de cette grève. En l’occurrence, les
syndicats de l’éducation nous ont habitués à mieux, à plus saisissable
et plus convaincant. Or, les vagues formules telles que « conditions de
travail» « faiblesse des salaires »… qu’on croyait déjà consignés dans
les engagements de la tutelle lors des conflits passés, ne sont pas
faites pour donner de la lisibilité. Embarrassant aussi pour l’opinion
la plus large. Ce n’est peut-être pas très juste que de considérer que
toute autre colère socioprofessionnelle est assimilable à une «
diversion » susceptible d’affaiblir la colère populaire centrée sur
l’essentiel, mais on n’y peut rien. Les plus apaisés peuvent y voir «
l’occasion qui fait le larron ». D’autres pousseront jusqu’à soupçonner
l’action « opportuniste » qui vient greffer des intérêts corporatistes
sur une situation générale plus vertueuse. Tout ce monde ne manque pas
d’arguments, y compris les enseignants grévistes, qui ont tout de même
beaucoup de raisons d’être en colère et d’agir en conséquence. Et puis
le pouvoir. Il a tellement montré plus de disponibilité à composer avec
les capacités de nuisance qu’à dialoguer avec les forces organisées
qu’il est encore capable de préférer « ça » aux colères plus
prometteuses, parce que plus… rassembleuses.
S. L.
S. L.