Sur plusieurs kilomètres, entre Baïnem et Aïn Benian, des dizaines
d’hommes se tiennent devant chaque commerce d’alimentation générale.
Nous sommes à moins de deux heures du couvre-feu et un passager qui
n’est pas forcément « au parfum » ne peut pas s’empêcher de s’interroger
: c’est quoi, ça ? Qu’est-ce qui se passe ? C’est que c’est difficile à
comprendre, quand on a définitivement intégré que les Algériens sont
maintenant conscients du danger et en conséquence observent les
recommandations de base en matière de protection sanitaire. Là, il y
avait franchement trop de monde dehors, la proximité sur les trottoirs
aux abords des épiceries fait peur et la nonchalance dans les postures
inquiète. On se touche presque, on se parle les yeux dans les yeux
parfois avec moins de 50 centimètres entre deux visages. Qu’est-ce qui
se passe ? On attend l’arrivée du lait. Eh, oui, le confinement, les
précautions, les masques, le gel hydroalcollique, les masques, le lavage
des mains, c’est bien. Mais il faut aussi du lait et de la semoule, on
n’y peut rien, c’est comme ça. Il faut surtout le lait des Algériens
ordinaires, celui qui se vend à 25 dinars le litron à l’emballage
sommaire. Allez savoir pourquoi c’est toujours ce lait-là qui manque, en
temps normal, comme en temps de coronavirus. Le lait des moins fragiles
à 100 dinars le berlingot sera toujours disponible. « Les » laits de
luxe pour riches parvenus, n’en parlons pas. Entre Baïnem et Aïn Benian,
ce n’est pas vraiment une localité de laissés-pour-compte. Mais il y a
tellement de nouveaux vulnérables, de récents déclassés qu’on ne sait
plus qui est qui. Peut-être que ceux qui attendent aussi dangereusement
le lait à 25 dinars sont inquiétants. Ils vous diront qu’ils sont
surtout inquiets. Il faut du lait pour les enfants et s’il était aussi
disponible que les autorités nous le disent, peut-être qu’on ferait
l’économie de ces scènes. Ceci se passe à Alger et pas vraiment dans un
quartier de laissés-sur-le carreau. On imagine alors ce que ce doit être
ailleurs, là où la difficulté est une seconde nature. Alors, vivement le
confinement général ? Oui. On ne voit pas comment on pourrait y
échapper. Mais le confinement général, c’est aussi le lait disponible,
les achats organisés, les ravitaillements réguliers et infaillibles et
la confiance de rigueur. Si on se bouscule déjà dans le demi-confinement
ou le confinement volontaire, on imagine ce que ce sera dans un « vrai
confinement ». Est-on prêt à ne sortir que pour les courses ? Est-on
prêt à organiser les achats dans des conditions de sécurité sanitaire et
de sécurité… alimentaire ? Il manque du temps pour poser les questions.
Il faut pourtant y répondre et surtout… faire.
S. L.
S. L.