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École : les «insti-tueurs»

Par Ahmed Tessa, pédagogue
L’Algérie post-indépendance a connu deux types d’enseignants : une écrasante majorité de brillants instituteurs (professeurs). Et malheureusement, surgit des ténèbres de la décennie rouge, une infime minorité «d’insti-tueurs».
L’immense homme de lettres égyptien Ahmed Chawki plaçait, à juste titre, haut la barre dans l’éloge à l’éducateur/instituteur : «L’enseignant aurait pu devenir un prophète. » André Malraux, homme de culture, a décrit l’instituteur sous les traits de la personne qui «institue l’humanité en l’enfant». C’est dire la noblesse de ce métier et la fascination qu’il avait chez les jeunes d’une époque révolue. Chez nous, notre Mouloud Feraoun national avait cette formule amoureuse : «C’est le plus beau métier du monde.» Comment expliquer cette aura qui entourait l’homme ou la femme qui éduque et instruit les enfants du primaire, alors que, de nos jours, c’est l’image dévalorisante qui, parfois, leur est collée – injustement ? Quoique… Rappel. En Europe et plus particulièrement en France, lors de la mise en place de l’Etat républicain, des luttes féroces eurent lieu. D’un côté, les opposants à l’instauration d’une République civile ; ils se recrutaient parmi les fascistes, les royalistes et les religieux. De l’autre, les républicains attachés aux valeurs humaines. Ils étaient viscéralement partisans de la paix entre les peuples, dans le strict respect de leurs religions, de leurs langues ou de leurs cultures. On les qualifiait de progressistes : des politiques, des enseignants, des syndicalistes et, parfois, des religieux. Beaucoup étaient des instituteurs qui payèrent un lourd tribut dans ce combat existentiel contre l’Eglise qui régissait d’une main de fer la vie sociale, plus particulièrement l’enseignement (contenus des programmes et des manuels, méthodes et recrutements). C’était au XIXe et début du XXe siècle. De nos jours, leur victoire a permis d’asseoir les fondements  pérennes d’une vie démocratique et, partant, de la République. Offrant, ainsi, aux enfants de l’Occident la possibilité de jouir d’une vie scolaire vivifiante, en osmose avec leurs besoins vitaux. La littérature française leur donnait ce titre, un peu désuet de nos jours : les hussards (les soldats) de la République. En Algérie, quand des adultes parlent de l’enseignant qui les a marqués, ils font souvent référence à leur institutrice ou instituteur du temps où ils étaient écoliers (maintenant on les appelle professeurs). Et par réflexe, nos instituteurs de l’époque aimaient rendre hommage au plus célèbre d’entre eux, Mouloud Feraoun. Emblématique de la profession, l’enfant de Tizi-Hibel, ce «fils du pauvre», a payé son attachement à la libération de son pays et aux valeurs de tolérance, de paix entre les peuples. Aux aurores de notre indépendance, il fut lâchement assassiné par les fascistes de l’OAS, avec cinq de ses collègues : Ali Hammoutène, Salah Ould Aoudia, Max Marchand et Robert Eymard. Dans un témoignage/hommage paru dans la défunte revue L’Ecole & la Vie, en avril 1992, son fils Ali écrivait : «A l’école de Taourirt-Moussa, il avait une classe à deux niveaux. Pour ses élèves, il était un modèle de correction. Il n’avait jamais un mot déplacé envers eux, ni d’attitude méchante.(...) Ils s’attroupaient souvent autour de lui pour discuter de questions communes ou domestiques. Il utilisait déjà les méthodes actives d’animation de groupes. Les activités tournaient autour de deux ateliers : celui du journal scolaire et celui du jardinage. A Fort-National, au collège dont il assurait la direction, en plus de celle de l’école primaire —, il enseignait le français, l’histoire, le dessin, l’instruction civique et parfois les mathématiques. Il faisait animer par ses élèves la coopérative de l’école et leur donnait cette ouverture sur autrui grâce à la correspondance interscolaire avec des élèves d’une école de Berrouaghia. Afin d’aider ma sœur dans ses cours de latin, mon père s’est mis à apprendre cette langue. A moi, il enseignait l’arabe classique et plus tard l’arabe parlé parce qu’au lycée je devais apprendre une 2e langue (l’arabe). Toujours à Fort-National, il avait monté à l’école une équipe de football avec les grands élèves. Il animait également le foyer rural avec des activités culturelles diverses telles que conférences, projection de films, bibliothèque itinérante…» A ceux qui s’étonneraient de cette débauche d’énergie dans différentes activités pédagogiques, il faut savoir que Mouloud Feraoun a été élève normalien dans la célèbre Ecole normale de Bouzaréah. On y dispensait aux futurs enseignants/éducateurs un programme de formation riche et varié : psychologie de l’enfant, pédagogie générale et pédagogie pratique (comment enseigner les différentes disciplines scolaires), notions de base en agriculture, reliure, dessins, activités culturelles, scientifiques et sportives dites d’animation. Il fallait être polyvalent pour faire face aux besoins des enfants. Le manque d’enseignants exigeait du directeur d’école ou de collège d’assurer des cours. Et les classes multiniveaux étaient fréquentes. A l’opposé, avec la fermeture début 2000, des Instituts technologiques de l’éducation (ITE), la formation des enseignants connaîtra une dérive monumentale : les ENS seront dans l’incapacité de répondre aux besoins colossaux du pays en enseignants. Moins de 10% de la demande sera satisfaite. Pire, le programme de formation des ENS connaît un manque flagrant en savoir et savoir-faire pédagogiques. Ne parlons pas de l’éthique professionnelle de l’éducateur : elle ne figure pas dans l’agenda des ENS. Tout est concentré dans la formation académique qui, certes, peut permettre au futur diplômé de maîtriser la spécialité (langue, maths, physique ou autre), sans pour autant lui donner les outils nécessaires pour mener à bien la prise en charge de ses futurs élèves. Point ou peu de psychologie de l’enfant adaptée à la vie scolaire ; encore moins de pratique sur le terrain (ou très peu). Cette façon de concevoir la formation des enseignants a tiré vers le bas la profession sur les plans pédagogique et moral. Que dire de cet enseignant encore stagiaire, fraîchement recruté en externe — sans formation si ce n’est les séances théoriques des ateliers d’été — qui demande à ses élèves de venir acheter des cours clandestins chez lui ? Il emboîte le pas aux charlatans et maquignons de la pédagogie qui ont défiguré la noble profession. Il vous répond : c’est normal ! Espérons que les efforts déployés actuellement par le MEN en vue de la professionnalisation de la formation seront suivis d’effets positifs au niveau des ENS. La Conférence nationale d’évaluation de la réforme de juillet 2015 a dressé un tableau noir de la formation des enseignants — tant initiale (ENS), que continue, sur le terrain. Ses recommandations pourront faire redécoller la machine vers… la qualité.
Martyrs du savoir
En cette Journée mondiale de l’enseignant, on ne peut passer sous silence le martyre de ces enseignantes et enseignants qui ont bravé la mort pour allumer le flambeau du savoir et de la connaissance chez leurs élèves. Hommage vibrant à tous ces «éveilleurs de conscience », fauchés à la fleur de l’âge : on aura une pensée émue en souvenir de quelques martyrs du Savoir et de la Démocratie. Les 11 enseignantes de Sidi Bel-Abbès ; cette enseignante de français d’un lycée de l’est d’Alger, surprise par l’explosion d’une bombe placée sous son estrade, à la première séance de la matinée. Les membres inférieurs déchiquetés. Dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital, elle a eu ces mots : «Les élèves sont-ils sains et saufs ?» Elle rendra l’âme en cours de route. Cet autre professeur de français froidement égorgé devant ses élèves à Beni Yenni. Et tant d’autres qui n’ont pas répondu à l’interdiction d’enseigner le français et l’EPS. Ne méritent-ils pas que leurs noms soient donnés à des établissements scolaires ? Reconnaissance posthume et minimale, aussi, à ces retraités, aujourd’hui décédés dans l’anonymat et qui ont laissé des trésors de valeurs morales à leurs anciens élèves. Quand il ne tue pas physiquement, «l’institueur » déshumanise ses élèves. Il tue en eux leur élan vital à s’exprimer, à créer, à s’épanouir, à vivre leur enfance/adolescence. «L’insti- tueur» leur concocte des programmes et des méthodes qui le rendent allergique à l’école : enchaîné entre les quatre murs de la classe, durant toute la journée. Il (l’insti-tueur) lui refuse de chanter — si ce n’est des chants «officiellement actés». Il l’empêche de danser, de bouger pour s’affirmer, s’exprimer, vivre son enfance. Il le formate selon ses fantasmes et d’adulte schizophrène : Histoire du pays tronquée et falsifiée, philosophie transformée en théologie, religions instrumentalisée en idéologie sectaire, langue sacralisée outrageusement, EPS et musique méprisées… Alors que comme tous les enfants du monde, notre futur adulte a sa propre langue, le jeu ; sa propre patrie, le plaisir de jouer en apprenant aussi. Sa religion ? L’amour et l’affection dont il est assoiffé et qui l’aident à se valoriser, à se motiver, à s’élever, grandir moralement, intellectuellement et physiquement. L’insti-tueur des temps modernes mène le même combat que les hommes à soutane européens de la fin XIXe/début XXe siècle : étouffer l’esprit critique de l’enfant, l’éloigner de l’esprit scientifique dont le principe de base est «de douter de ce qui est certain» (Claude Bernard). Lui couper les ailes de son envol vers les Lumières de l’Humanité. Boosté par les nouvelles technologies et les médias acquis à leur idéologie, les institueurs sont plus dangereux que les évêques, les curés, les moines ou les sœurs d’Eglise d’antan. Une vérité qui n’a pas l’air de déranger certains cercles en haut lieu.
A. T.

POÈME

L’instituteur
Telle une bougie allumée, tu as consumé
ta vie jusqu’à l’extinction.
Pourquoi ?
Eclairer le chemin des jeunes pousses
qui t’ont été confiées.
Que de nuits veillées, de bibliothèques
visitées, d’ouvrages consultés.
Pourquoi ?
Dénicher le sésame de ton obsession :
la réussite.
Pas la tienne, mais celle de tes élèves.
Eveiller des consciences à la vie, stimuler
des aptitudes en jachère.
Pourquoi ?
Nourrir dans leur cœur le goût de l’effort,
l’amour des études.
Ahmed Tessa
(In Que faire? Pour une Ethique
éducative au service des élèves)

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