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Islam et science La langue arabe, un butin de paix

Par Ammar Koroghli
A l’origine, l’Arabie préislamique était un immense désert où vivaient les Arabes, assimilés à des nomades. Ils surgissent sur la scène de l’Histoire «à la vitesse d’un ouragan» avec la langue arabe comme véhicule.
La langue arable, vécue comme un patrimoine commun, libérait alors la parole. Sous forme de poésie essentiellement. Le poète avait alors un rôle important en temps de guerre comme en temps de paix. Il lui arrivait de subvertir l’ordre public. Beaucoup plus qu’un porte-parole, il a été l’historien de la tribu. D’aucuns pensent que c’est en grande partie à leur langue et à son génie intérieur, que les Arabes attribuent les triomphes de l’Islam.
Certes la langue arabe a véhiculé une culture orale mais vigoureuse ; elle a fait l’objet d’études, notamment après la décision de retranscription du Coran. Ainsi, connaître les règles de la langue et les codifier après analyse devint nécessaire à telle enseigne que cette démarche a porté sur des recherches en linguistique, en grammaire et en lexicographie de l’ère omeyyade à celle abbasside.
De langue liturgique, elle a été la langue de l’administration, mais surtout celle de la science (particulièrement avec le mouvement des traductions d’œuvres philosophiques et scientifiques, ainsi que par l’emprunt de vocables d’autres langues : du grec et du persan, voire du syriaque et du sanskrit). Plus tard, au XIIe siècle, l’hébreu et le latin ont emprunté à l’arabe pour s’enrichir aux plans philosophique et scientifique (mathématiques et médecine notamment).
Sans contrainte, la langue arabe s’imposa dans toutes les activités scientifiques ; nombreux qui, sans être arabes, l’utilisèrent pour rédiger leurs ouvrages, ainsi Maïmonide (juif), El Khayyâm
(Persan), Ibn El Yasmin (Berbère), Ibn Bachkoual (Espagnol). Cette tendance persista même lorsque les Turcs prirent le pouvoir en 1055 (les Seldjoukides) pour fonder en 1299 l’empire ottoman. La langue arabe a continué à être la langue dominante dans la production scientifique et philosophique.

Foutouhat islamya et dynasties
El Foutouhat El Islamya ont été l’œuvre de quelques milliers de cavaliers arabes ; y ont participé d’autres troupes recrutées parmi les populations conquises à l’Islam dont les Berbères d’Afrique du Nord. La civilisation qui naît autour de la péninsule arabique et le Croissant fertile (la Syrie, la Palestine et l’Irak) a eu pour fondement l’Islam. A cette région se sont greffés en effet, au fur et à mesure, la Perse, l’Egypte, l’Afghanistan et le Turkestan, le Maghreb, l’Espagne andalouse, l’Italie du Sud. Ainsi, l’Islam a hérité de tous ces pays répartis sur plusieurs continents. Maints éléments qui ont servi à l’essor de la science dont les musulmans furent porteurs.
Maints peuples ont contribué à cet essor : Arabes, Egyptiens, Libyques, Grecs, Berbères, Celtes, Wisigoths, Turcs, juifs, Africains… L’Islam a toléré les autres croyances des non-musulmans dont les Arabes musulmans ont récupéré les techniques, la culture et la science sans pour autant les forcer à la conversion.
La dynastie omeyyade, outre l’arabisation de l’administration et le développement du commerce, a participé à l’essor culturel par la construction des bibliothèques et encouragé la traduction des textes grecs, perses et syriaques et les premières réalisations artistiques.
En 750, la dynastie omeyyade est renversée par un violent coup d’Etat et ses chefs furent tués, un seul (Abderrahmane) réussit à s’enfuir au Maghreb et ensuite en Espagne où il a fondé une nouvelle dynastie. On retrouve ce procédé de coups d’Etat dans les Etats du Maghreb dont l’Algérie post-indépendance. La dynastie abbasside s’accomplit de 750 à 1258 (soit plus de quatre siècles) quoique les historiens tendent à penser que le pouvoir a commencé à échapper aux élites abbassides à partir de 1055 au bénéficie des Seldjoukides.
Ce, comme résultat du recours du pouvoir central abbasside aux mercenaires issus des tribus turques d’Asie centrale, alors utiles à la défense de l’Empire qui s’étendait sur plusieurs continents. Ils constituèrent l’ossature de l’armée qui finit par prendre le pouvoir.
Si le pouvoir de l’oligarchie militaire arabe a été ainsi supplanté, la tradition religieuse a été renforcée avec la naissance de grandes écoles théologiques et juridiques : Malik, Abou Hanifa, Achafi et Ibn Hanbal. Bien entendu, ces écoles ne sont pas exemptes de critiques.
Il en est de même de l’arabisation de l’administration avec une centralisation de l’Etat, contrôle de l’économie et une urbanisation des villes avec un développement de grandes villes (Damas, Baghdad, devenue capitale des Abbassides, Kairouan, Cordoue, Ispahan, le Caire, Samarcande). Autre caractéristique : l’apparition de nouvelles élites et lettrés à partir du IXe siècle au cours duquel s’était développé une activité de production de livres de toutes sortes et dans tous les domaines à l’endroit de publics variés : littérature, religion, droit, géographie, science… La société était alors ainsi divisée : El Khassa (l’élite politique, économique, intellectuelle) et la 3Amma (ouvriers, paysans, marchands). Il n’est pas certain que les sociétés du Maghreb se soient affranchies de cette «summa divisio».

Langue arabe et science
L’esprit scientifique est né en terre d’Islam dès lors qu’il s’est avéré nécessaire de transcrire le Coran par écrit. La langue arabe était alors peu utilisée à l’écrit et dominée par les parlers locaux de la péninsule Arabique. La translation orale qui a duré vingt ans jusqu’à l’avènement de Othmane en qualité de calife. Les compagnons du Prophète furent réunis pour retenir et discuter sept versions du Coran (Le Prophète aurait dit : «L’Ange Gabriel m’a permis jusqu’à sept lectures différentes du Coran.»)
Des sept lectures du Coran résulta un travail d’authentification faisant appel à l’analogie, l’induction, les recoupements ; ce qui caractérise une recherche rationnelle s’identifiant à un état d’esprit scientifique. Il y a là les prémisses d’une méthodologie scientifique. Et ce, avant la grande action en faveur de la traduction des œuvres grecques et indiennes pour l’essentiel et la recherche de manuscrits à travers le monde ayant un rapport avec les disciplines scientifiques.
Géographiquement, la civilisation musulmane s’étendit sous l’impulsion des Arabes (péninsule Arabique et Croissant fertile : Syrie, Palestine et Irak) et des musulmans arabophones de divers pays répartis sur plusieurs continents (Perse, Anatolie, Egypte, Maghreb, Espagne andalouse, Afghanistan, Turkestan, Sud de l’Italie…) ; ce, du IXe au XVe siècle. L’Islam s’est donc enrichi de l’apport de la science de toutes ces régions conquises par les Arabes musulmans. Il y a là un héritage non négligeable que l’Islam a su fructifier : le Maghreb, berbère par essence, qui s’arabisa et s’islamisa au fur et à mesure (il a été sous la coupe des Carthaginois, des Romains, des Vandales et des Byzantins), le Moyen-Orient composé de peuples d’origine sémite (Arabes, juifs, Araméens), ainsi que d’Egyptiens, de Grecs, de Turcs, de Nubiens, de Wisigoths, d’Africains noirs.
Dans l’ensemble de ce vaste territoire, les citoyens d’autres religions (juifs ou chrétiens) ont pu assumer de hautes fonctions : chefs des armées, ministres, médecins personnels du roi, comme ils ont exercé en tant que grands astronomes, mathématiciens...
Ainsi, Ibn Batriq a été médecin du calife abbasside, Ibn Toufil médecin d’Ahmed Ibn Touloun (fondateur de la dynastie toulounide), El Qahir nommé chef de la communauté chrétienne d’Egypte ; Ibn Chaprout a été ministre du calife Abderrahmane III de Cordoue et même au XIe siècle Ibn En Naghrilla a été une sorte de premier ministre à Grenade (Cf. Djebbar Une histoire de la science arabe).
L’Etat s’était alors inspiré des structures centralisées de Byzance et de la Perse, tant pour les Omeyyades que pour les Abbassides. Il en a été ainsi de l’administration et de la monnaie (le dinar et le dirham que l’on retrouve encore de nos jours au Maghreb). Sur le plan culturel, les Omeyyades ont construit des bibliothèques qui, après avoir été privées, sont devenues publiques. De même, ils entamèrent la traduction des textes grecs, persans et syriaques.
Les civilisations antérieures (byzantine, perse, wisigothique) ont été d’un apport certain pour l’épanouissement des réalisations artistiques et scientifiques arabes. C’est ainsi que s’était constituée également une oligarchie arabe monopolisant le pouvoir en vue de l’acquisition de la plus grande partie des butins résultant des conquêtes ; cette oligarchie a dominé le commerce international. Cette notion d’oligarchie se retrouve de nos jours dans ces pays, y compris en Algérie.
D’un point de vue religieux, l’avènement des Abbassides a permis la genèse des écoles théologiques à connotation juridique, notamment celles de Malik et Abou Hanifa et plus tard celles de Achafi’i et d’Ibn Hanbal. Cet essor économique et religieux, qui s’accompagna d’un centralisme au niveau des structures de l’Etat, a conservé le monopole de l’économie qu’il a contrôlé de plus en plus. Cette centralisation continue de nos jours de caractériser les pouvoirs au Maghreb. Le tout avec la conservation des langues locales des pays conquis à l’Islam, même si la langue arabe — langue du Coran — domina la liturgie. Ainsi, si Omar Khayyam a rédigé ses ouvrages scientifiques en arabe, il s’exprima en persan dans sa poésie.
Il s’agit là d’une civilisation essentiellement urbaine qui a vu se développer de grandes métropoles très peuplées : Damas et Baghdad (désormais capitale des Abbassides), mais aussi Kaïraouane (Maghreb) et Cordoue (Andalousie) sans oublier Ispahan (Perse), El Qahira (Egypte), Samarcande (Asie centrale).
Dès le IXe siècle, cette civilisation s’est caractérisée également par la production de livres dans maintes disciplines et à destination de tous publics. Ainsi des ouvrages scientifiques et littéraires, théologiques, d’histoire (Ibn Khaldoun), de géographie (Ibn Battouta), de mathématiques (Al Khawarizmi), de médecine (Ibn Haythem), d’astronomie (Al Birouni)… La langue arabe conçue comme butin de paix.
Il semblerait que l’activité scientifique ait été essentiellement financée selon le mode du mécénat. Il en a été ainsi au début chez les Omeyyades (avec Khaled Ibn Yazid et plus tard avec El Hakam à Cordoue), ensuite chez les Abbassides (El Mansour, El Mahdi, Haroun Rachid, El Mamoun), mais également des princes, des gens riches parmi lesquels des médecins et des marchands dont
certains ont pu léguer une partie de leur fortune à la science. D’où sans doute l’émergence d’une élite scientifique composée de grands noms : Ibn Sina, El Farabi, El Kindi, Ibn Rouchd… Une telle entreprise est-elle encore envisageable, l’Etat étant conçu comme premier mécène pour financer la recherche et la science ?
A. K.

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