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Rubrique Contribution

Retour sur la grève du CNAPESTE Le syndicalisme entre populisme et islamisme

Par Yahia Ziani, psychologue
La grève «illimitée» déclenchée par le Conseil national autonome du personnel enseignant du secteur ternaire de l’éducation (Cnapeste), qui a duré trente jours, demeure la plus importante dans le secteur de l’éducation depuis plusieurs années. La gravité de la grève et son impact incitent à s’interroger sur ses finalités. La grève, dit un spécialiste des actions collectives, est d’abord le résultat d’un calcul entre le risque de gagner et le risque de perdre. Aussi, il n’y a pas de grève sans contrainte.(1)
Celle menée par le Cnapeste s’inscrit plus dans un rapport d’autorité (avec le pouvoir) que dans un rapport de lutte sociale. Loin de réaliser ses objectifs, cette grève s’est transformée en un rapport de force avec les autorités compétentes. Elle a été aussi l’occasion d’accentuer les attaques contre la ministre de l’Education. Si les réactions dudit syndicat entrent dans une guerre de propagande pour justifier sa position, fortement discutée et critiquée d’ailleurs, la méthode employée et le discours propagé durant cette grève (et après) révèle à quel point cette action est imprudente, voire aventureuse. Alors que le mouvement de grève a pris fin (ou presque), il importe de revenir sur le débat qui a marqué les trente longues journées de cette action.
La grève, un droit garanti par la loi, a été une arme utilisée par le Cnapeste pour imposer, non pas au ministère, mais à toute la société son diktat.
Le Cnapeste ose tout revendiquer et ne semble pas avoir des limites. En exigeant du ministère de limoger un tel ou tel responsable pour avoir appliqué la réglementation en vigueur, le Cnapeste se donne les airs de se présenter, non sans dédain, comme le plus radical des syndicats et le plus opposé à la tutelle.
De quoi le cnapeste est-il le nom ?
Un décryptage du discours du Cnapeste révèle que sa logique dominante est bien une logique d’affrontement permanent avec les autorités. Il suffit de lire le communiqué (3/2018) où le syndicat parle de «complots» et de «pourrissement méthodique» pour justifier la reconduite de la grève.
Or, si l’action syndicale a pour objectif principal de défendre les intérêts professionnels des travailleurs (quel que soit leur statut), il se trouve que le mouvement de grève illimité déclenché par le Cnapeste avait pour objectifs une démonstration de force d’un côté et, de l’autre, de se distinguer vis-à-vis des autres formations syndicales (en menant aussi une sorte de grève par procuration).
La radicalisation du mouvement de protestation par le déclenchement d’une grève illimitée, qui nous rappelle des manœuvres pratiquées durant une période de sinistre mémoire, n’est autre chose qu’une volonté de faire obstacle au processus de réforme.
Le problème est que, dans une conjoncture économique particulière, le Cnapeste n’éprouve pas le besoin de mener une réflexion de fond sur l’action syndicale et le rôle des enseignants dont il prétend la représentativité. Sur le site électronique du Cnapeste, l’on peut trouver une rubrique intitulée «la pratique du droit de la grève». Ainsi, en mettant en avant le droit de grève, et en l’utilisant comme outil de pression sur les autorités de tutelle, le Cnapeste se fige dans une crispation paradoxale.
D’un côté, il se prétend être à la défense des droits des travailleurs, de l’autre, il n’hésite pas à prendre le risque de transformer le mouvement de protestation en une prise d’otages de l’avenir des élèves, mais aussi des enseignants qui, au nom de la loi, se trouvent dans une situation illégale. Les intérêts du leadership et des délégués syndicaux étant assurés (au nom des droits syndicaux), la confrontation semble une affaire de rapports de force. Les objectifs ne peuvent donc être (que) d’ordre professionnel. Car le risque pris et la manière entreprise par le syndicat montrent qu’il est plus question d’un acharnement contre la ministre de tutelle que d’une défense des droits des enseignants. Ainsi, le syndicat s’est montré populiste, démagogue et contre-productif. Populiste, il l’est par son discours qui, se voulant défenseur des intérêts des enseignants, discrédite l’élite gouvernante (ministère de l’Education), l’accusant de priver les travailleurs du secteur de leurs droits. Ce discours s’appuie sur une instrumentalisation de l’opinion publique et des médias. Durant les semaines de grève, le Cnapeste, par la voie de son porte-parole notamment, a largement occupé les médias en menant une campagne offensive. Il est populiste aussi dans le sens où il se radicalise dans son action de dénonciation en faisant usage d’une rhétorique, d’une agressivité inhabituelle dans l’action syndicale, entravant ainsi l’esprit même de coopération et nourrissant le sentiment de méfiance (à l’égard de la tutelle). Démagogue, il l’est par les arguments simplistes, non fondés, qu’il met en avant. Il l’est aussi par la mesure conflictuelle, délibérément choisie, et le maintien d’une pression accrue sur les autorités comme ligne de défense.
Enfin, cette action syndicale, malgré la portée de la grève et la surenchère politico-médiatique qui l’a accompagnée, s’est avéré contre-productive puisqu’elle n’a pas été largement suivie, et puis, tout simplement, les revendications «intempestives», formulées sous la pression, n’ont pu être réalisées.

Quand l’islamisme s’invite dans une action syndicale
La grève déclenchée par le Cnapeste a été largement commentée par la classe politique, ce qui est d’ailleurs naturel puisque le caractère social d’une action collective ne peut être ignoré par les partis politiques. Dans le contexte social et politique actuel, le positionnement des partis n’a rien d’anormal puisqu’il en va de leurs mission, voire de leur raison d’être.
Toutefois, s’il est un parti qui a énergiquement soutenu la grève, c’est bel et bien celui du Mouvement de la société pour la paix (MSP).
Son chef, M. A. Makri, s’est montré dans plusieurs occasions comme le politique le plus proche de cette action, allant jusqu’à accuser la ministre d’agir contre les constances nationales et demander sa démission. Une de ses dernières attaques, et non des moindres, est d’accuser la ministre de «servir les intérêts de la France et de la francophonie (sic)».
La position du MSP quant à la grève illimitée du Cnapeste à qui il apporte un soutien inconditionnel, reflétant ainsi les intentions politiques et les orientations idéologiques, met en avant son intention malveillante.
Profitant du mouvement de grève des enseignants et, d’une manière générale, d’un climat social tendu, les islamistes tentent d’établir le contrôle sur une base importante des fonctionnaires d’un secteur stratégique, à savoir l’éducation nationale.
Si l’instrumentalisation des syndicats par les partis politiques n’est pas propre à l’Algérie, le mouvement de grève du Cnapeste a montré que les islamistes ont profité de la situation pour la récupération de l’action syndicale, l’affaiblissement de la ministre de tutelle et, in fine, se positionner comme une force solidaire avec leur action et capable de leur rendre justice. De l’avis d’un spécialiste, dans un tel contexte l’on présente «le bon militant combatif» contre «le méchant bureaucrate».(2)
À l’approche de l’échéance présidentielle de 2019, le MSP se veut une force proche du peuple et des préoccupations socioprofessionnelles des travailleurs. Aussi, la tenue de son congrès, tenu en ce mois de mai, est une opportunité pour le parti pour s’affirmer devant sa base comme une formation crédible et engagée à côté des revendications sociales.
Ainsi, le MSP intervient non pas comme un parti politique mais comme un justicier s’arrogeant le monopole de la défense du syndicat dans leur bras de force avec le ministère de l’Education nationale. Cette action est menée depuis plusieurs années. Le but est double : faire obstacle à toute réforme et contrôler l’école.
Revenir à Gustave Le Bon est toujours intéressant pour saisir les enjeux sociaux et politiques qui caractérisent l’évolution des sociétés. Dans un texte portant sur le syndicalisme et dont le titre «les incertitudes de l'heure présente» est révélateur, Le Bon évoque le désordre comportemental dans les sociétés, dont le syndicalisme peut être un de ses acteurs : «Si les syndicats groupaient seulement des intérêts matériels similaires, leur influence serait faible ; mais en associant des mécontentements et des haines, ils acquièrent une grande puissance révolutionnaire.»(3)
Faute d’être une puissance révolutionnaire, le Cnapeste se tient à associer les mécontentements, malheureusement nombreux, et les haines qui les enflamment. L’islamisme s’associe à cette action pour renforcer sa place dans les champ social et politique. Il veut en même temps occuper un terrain fertile, celui de la contestation sociale et de l’incertitude politique.
En somme, la grève illimitée menée par le Cnapeste durant plusieurs semaines a été un échec total. Elle montre, si besoin est, que le syndicat a constitué un acte de contrainte masqué sous le principe de la défense des droits des travailleurs. En outre par son caractère déterministe et offensif, reposant sur un usage machiavélique des médias et un appui des partis islamistes, le Cnapeste s’est avéré un syndicat radical qui ne soucie guère des incidences qu’implique une action aussi outrancière qu’elle puisse paraître.
Il n’est cependant pas interdit d’espérer que les autres organisations syndicales, voire le Cnapeste lui-même, puissent se faire une opinion juste et sereine du sens de l’action collective et de la pratique même de la grève en tirant les conclusions de cette mésaventure.
Y. Z.

1) Mancur Olson (1971), The Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press, 1st ed. 1965, 2nd ed. 1971.
2) Ivan Sainsaulieu, Conflits et résistances au travail, Paris, Presses de Sciences Po, 2017.
3) Gustave Le Bon, Lois psychologiques de l'évolution des peuples,14e édition, Paris, Félix Alcan, 1919.

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