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Rubrique Contribution

Le 59e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie Les enjeux de transmission des conflits mémoriaux

Par le Dr Boudjemâa Haichour(*)
Je venais d’avoir mes quatorze ans lorsque le 5 juillet 1962, le peuple, dans la joie et l’allégresse, célébrait la fête de l’Indépendance et de la Jeunesse. Krim Belkacem mandaté par le CNRA et Louis Joxe, au nom de la France, ont signé l’accord portant cessez-le-feu le 19 Mars 1962 mettant fin aux hostilités dans un épais document de quatre-vingts feuillets, garantissant les conditions de l’autodétermination de l’indépendance de l’Algérie, validée par référendum populaire.

Krim Belkacem, au nom de l’Algérie, apposait seul sa signature, alors que du côté français, ce sont les signatures des ministres du général de Gaulle, président de la Ve République, les signatures de Robert Buron et Jean de Broglie qui s’alignent avec celle de Louis Joxe. Nous,  jeunes scouts, apprenions les différents hymnes de la liberté.
L’Algérie vit le 59e anniversaire de son indépendance nationale. Comment convient-il de lire l’épreuve des faits occasionnés par les difficiles négociations secrètes des Accords d’Évian dans l’entre-déchirement des passions et les traumas nés du passé colonial qui continuent de déchirer, dans la souffrance psychologique, mentale et sociétale, le peuple algérien. 
S’il est vrai que le président français a déclaré en période de campagne que le colonialisme est un crime contre l’humanité, ses propos ont été nuancés une fois élu président de la République française. La France officielle a-t-elle mal de regarder son histoire coloniale en face ? 
Comment continue-t-elle de glorifier la colonisation d’œuvre civilisatrice en se taisant sur les crimes abominables perpétrés contre les peuples asservis à l’esclavage ? 
Bientôt soixante ans depuis la signature des Accords d’Évian et rien ne semble avancer lorsqu’il s’agit de reconnaître les faits et la responsabilité politique de la période coloniale. 
En chargeant l’historien Benjamin Stora de lui proposer des préconisations aux fins d’apaisement, cette initiative «mémorielle» n’est pas allée au fond puisque la notion de repentance est rejetée du côté français qualifiée de «piège politique» par son rédacteur. D’ailleurs, cette réserve a été vivement critiquée en Europe, du fait que la France officielle a dénaturé le sens de ce conflit mémoriel.
Ce déni de l’Histoire rend encore plus complexe toute tentative de réconciliation entre les deux peuples. L’histoire de l’imaginaire colonial continue de cultiver des nostalgies assez souvent défendues par les ultras de l’Algérie française, qui confine à un autisme toute vérité historique sur le fait colonial. En réalité, une nouvelle génération sans lien direct avec la passé colonial de la France est en train de porter un regard neuf sur les différents aspects de l’histoire de la colonisation. «Le champ de recherche s’est progressivement structuré au confluent de l’histoire, de la sociologie et de l’anthropologie» autour du fait colonial. 
En cette période encore de confinement de Covid-19, mois des grandes chaleurs de ce juillet 2021, l’Algérie va souffler les 59 bougies de son indépendance arrachée au prix d’un million et demi de nos martyrs. L’émergence et la restauration d’un État à l’histoire plusieurs fois millénaire se place dans le concert des nations libres.

L’hymne national kassaman retentit à l’onu 
L’emblème national flotte un certain juillet 1962 parmi les drapeaux des pays reconnus en tant que membres de l’ONU. L’hymne national Kassaman retentit dans le hall officiel de ce que fut jadis la Société des Nations.
C’est le résultat d’une résistance populaire commencée en 1830 par l’Émir Abdelkader, Ahmed Bey, les insurrections populaires anti-coloniales des Ouled Sidi Cheikh, de Cheikh El Mokrani, de Cheikh El Haddad, des Touaregs, des Zaâtchas dans les Ziban, dans les Aurès, le Nord Constantinois, etc., couronnée d’une indépendance suite à une révolution des plus authentiques des mouvements de libération nationale. 
Dès le mois de décembre 1959, nombreux sont les représentants d’États présents à l’Assemblée générale de l’ONU exigeant la condamnation de la France pour sa politique en Algérie, tout comme en septembre 1955 lorsque la question algérienne a été inscrite pour la première fois à l’ordre du jour.
C’était l’époque où Antoine Pinay, ministre français des Affaires étrangères, quittait New York où l’Assemblée des Nations Unies adoptait une résolution condamnant la France. En 1958, le Groupe afro-asiatique gagnait du terrain en remportant un premier vote pour l’indépendance de l’Algérie.

La Question, La Gangrène et l’oubli
Au plan interne, la Révolution du 1er Novembre 1954 prend de l’ampleur en mobilisant le peuple grâce au FLN et son bras armé l’ALN. Côté français, ce sont les exécutions sommaires à la sauvette et la pratique de la torture révélée par Henri Alleg dans son ouvrage La Question suivi de La Gangrène.
Pierre Vidal-Naquet publiera son livre La Torture dans la République  que reprend, sous une autre forme, l’historien Benjamin Stora sous le titre La Gangrène et l’Oubli en 1991. Des méthodes barbares utilisées par Paul Aussaresses Perrin, qui donne sa version des faits de 1957 en reconnaissant avoir torturé et tué Larbi Ben M’hidi et Me Ali Boumendjel. Il revendique même la responsabilité des exécutions sommaires dans son livre Services spéciaux-Algérie 1955/1957 paru en mai 2001.

L’été de la discorde ou l’autre virage
Alors qu’en 1966, le film La Bataille d’Alger du cinéaste italien Gillo PonteCorvo obtient le Lion d’Or à Venise, l’Algérie venait de vivre une situation difficile de sa transition durant l’Été de la discorde, titre du livre d’Ali Haroun qui décrit la douloureuse année de 1962 où chacun se voyait être le plus apte à gouverner le pays qui sortait d’un siècle et trente-deux ans d’une colonisation la plus meurtrière de son époque.
Toutes les épisodes glorieuses de notre résistance anti-coloniale depuis l’Émir Abdelkader et Hadj Ahmed Bey, du Cheikh Bouamama, d’El Mokrani, des Zaâtchas, du Cheikh Al Haddad, de Lalla N’soumer… jusqu’aux massacres du 8 Mai 1945 et enfin la Révolution du 1er Novembre 1954.
Le peuple, sous la bannière du FLN/ALN qui a mené la guerre contre la plus puissante armée française, aidée par la logistique militaire de l’Otan, n’a pu freiner son élan révolutionnaire, déterminé à vaincre l’occupant pour vivre libre et indépendant.
Mais cette Révolution qui a accéléré la décolonisation des pays du tiers-monde n’a pu retenir les ego malgré leur héroïsme et la discorde entre les chefs. Selon la version des faits des uns et des autres, notre pays se trouvait dans une des plus difficiles situations.
L’OAS entreprenait la terre brûlée, le vol en incendiant toutes les richesses de notre patrimoine, y compris les moissons de cette bonne année d’un été au soleil torride. L’intention était surtout de saborder les Accords d’Évian en faisant peur aux pieds-noirs pour permettre l’exode des Européens sous leur fameux slogan «La valise ou le cercueil».

Savoir méditer sur les circonstances de ce temps
En fait, aujourd’hui, beaucoup semblent accuser cette période de notre histoire de n’avoir pas mis l’Algérie sur les bons rails. En vérité, chacun de nous doit méditer les circonstances qui ont prévalu en ce temps de désordre et de rapine des ultras. 
Ces derniers ont voulu mettre l’Algérie à feu et à sang. Les dirigeants de l’Algérie indépendante avaient, eux aussi, des ambitions quant à la prise du pouvoir dans cette belle Algérie libérée du joug colonial. Il faut se rappeler la session du CNRA qui s’est tenue à l’hôtel El Mehari de Tripoli le 27 mai 1962, dont le point focal de l’ordre du jour était la désignation politique chargée d’appliquer la Charte de Tripoli, et donc le projet de programme, c’est-à-dire la préparation du référendum, l’organisation d’une Assemblée constituante.

Crise de l’été 1962 et course à la prise du pouvoir
Le CNRA, composé de cinquante-deux personnes, a donné mandat au bureau politique pour entamer les consultations et enregistrer les candidats au niveau des wilayates. 
Il faut dire que les débats de cette session étaient dirigés par un bureau présidé par Mohamed Seddik Benyahia et composé de Omar Boudaouad et Ali Kafi. Hadj Ben Alla fut le premier à prendre la parole pour évoquer la crise qui secoue le FLN et le conflit EMG/GPRA.  Dès la fin de cette intervention, la session a pris une autre tournure qui durera trois jours, suite à laquelle Houari Boumediene proposera une commission qui regroupe Ahmed Ben Bella, Ahmed Boumendjel, Ali Haroun, Kaïd Ahmed et M’hamed Yazid.

Le futur état de l’Algérie indépendante sur les braises
Ils seront adjoints par Hadj Ben Alla et Abdelhamid Mehri, tandis que Abdelhafid Boussouf rajoute Khelifa Laroussi en tant que secrétaire de séance. Ce sont donc ces hommes qui détenaient le sort de l’Algérie indépendante entre leurs mains. Dès lors, le FLN devenait un appareil et il est dessaisi de ses responsabilités au profit de l’ALN. Mais il est précisé que la forme de l’État futur serait une République démocratique et populaire et non sociale. Les trois textes de cette Charte de Tripoli seront adoptés.
Au débat sur le bureau politique le 5 juin 1962, la commission a échoué et toutes les chances de réussite et l’éventualité d’une autre commission n’ont pas abouti aussi. 

La discussion se tenait dans un climat tendu laissant place à des mots déplacés, «des insanités» entre quelques membres du CNRA, ce qui va contraindre Mohamed Seddik Benyahia à suspendre les débats. La session n’a pu continuer du fait du départ précipité des membres du GPRA et d’autres qui ont quitté Tripoli.

Les travaux de la session du cnra de tripoli inachevés
Cette session du CNRA resta inachevée à ce jour. Ainsi se formèrent des clans. Chacun voulait gagner à lui sa clientèle au regard de la crise GPRA/EMG qui n’a pas trouvé l’issue attendue. Même si l’Histoire reconnaîtra que les révolutions dans le monde ont connu des luttes fratricides, l’Algérie a pu surmonter cette tragique période de discorde entre dirigeants, elle a quand même réalisé beaucoup de choses positives qui ont fait de notre pays une nation respectée.

Les générations doivent apprendre le récit national
Oui, les générations doivent apprendre le récit national de notre vaillant peuple laissant l’Histoire vérifier le bon grain de l’ivraie. Revenir aux sources de nos différentes crises qui ont secoué la marche de ce mouvement. 
C’est vers un destin où chacun rêve d’une justice sociale et d’une prospérité partagée loin des extrémismes de tous bords. Ce 59e anniversaire de notre indépendance doit être celui d’une nouvelle République pour booster l’Algérie dans le concert des nations développées. Cela demande beaucoup de patience et de solidarité nationale. 
Cette terre est celle de nos ancêtres qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour rendre à ce peuple, longtemps administré par le code colonial de l’indigénat, un vivre-ensemble de paix, de quiétude et de stabilité dans le respect de notre diversité.
Rendons donc hommage et respect à tous ceux qui ont lutté pour avoir écrit sur nos cahiers le mot « Liberté » par le sang de nos martyrs qui ont juré que l’Algérie vaincra malgré les épines qui continuent à joncher son sol sacré.

Les statues des esclavagistes remises en cause
La question coloniale et les crimes d’État durant toute cette période de colonisation doivent nous rappeler les exterminations et les enfumades. En ce moment même, le monde libre se réveille sur l’esclavagisme en déboulonnant les statues de ces marchands d’esclaves qui ont fait le bonheur amer de leurs peuples. Notre récit national doit veiller à ce que les jeunes générations tirent les leçons de ce passé colonial sombre et sanguinaire pour appeler à construire de nouveaux ponts de prospérité partagée avec les anciennes puissances coloniales par leur reconnaissance et leur repentance. On doit expliquer ce passé sans faire un reniement de notre histoire et de notre combat qui nous ont permis d’arracher notre chère indépendance. Ne serait-ce que pour le respect de nos martyrs qui se sont sacrifiés pour que vive l’Algérie libre et indépendante. La France officielle doit assumer son passé colonial, si elle tient à ses idéaux des droits de l’Homme de sa Révolution de 1789.
 Les membres du CNRA doivent voter les dix documents d’Évian, alors qu Boumediene considérait que c’est un pré-accord. Ô combien fut rude et ardue la finalisation des projets finaux et qu’il fallait attendre la ratification des documents par le CNRA. C’est Mohamed Seddik Benyahia qui préside la session du CNRA et Saâd Dahlab le rapporteur, aidé par Belkacem Krim, Bentobbal Abdellah, M’hamed Yazid. 
Ces négociations ont commencé à Melun, Lugrin, les Rousses et Évian 2. La résolution est votée par 45 voix contre 4 : Houari Boumediene, Ahmed Kaïd, Ali Mendjeli, et le commandant Nacer de la Wilaya V sur un total de 49 votants. Elle dépasse les 4/5 des suffrages requis pour la proclamation du cessez-le-feu. 
L’État algérien vient d’être restauré depuis l’État de l’émir Abdelkader. Cette République algérienne démocratique et populaire va exercer sa souveraineté pleine et entière.  La France reconnaît l’indépendance de l’Algérie en prenant acte des résultats de l’autodétermination du 1er juillet 1962. Pour la première fois, le territoire dans ses frontières actuelles est porté sur une carte déposée auprès de la Cour de La Haye.
B. H.
(*) Chercheur universitaire,  ancien ministre

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