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Rubrique Contribution

Pétrole algérien, les barils de la peur, lecture prospectiviste de l’ouvrage du Dr M. S. Beghoul

Par Pr Nadji Khaoua 
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Le hasard et un geste amical inattendu ont fait que je lise depuis peu l’ouvrage du Dr Mohamed Saïd Beghoul intitulé : Pétrole algérien, les barils de la peur.(1) Dès ses premières pages parmi plus de six cents, cette contribution dévoile au lecteur son importance, quant à la compréhension de la domination de l’économie rentière sur l’économie de production, à partir d’une analyse fine de l’évolution du secteur des hydrocarbures, de 1980 à ce jour.
Cet ouvrage constitue à mon avis une base incontournable pour un débat, jusqu’ici limité à des vases clos dont les peu nombreux membres ne disposent ni de toute l’expertise exigée, ni de toutes les données actualisées, ni n’adoptent tous certainement la bonne conception de l’intérêt national. Au-delà des choix idéologiques des uns et des autres aux commandes des institutions à différentes époques (étatisme, néolibéralisme rentier, …), l’intérêt national est cette valeur suprême qui lie les catégories sociales à leur Etat et que personne, aussi haut placé soit-il dans la prise de décision politique sur l’économique, ne doit passer outre.
 L’intérêt national devait à toutes les époques et doit aujourd’hui être placé au-dessus des considérations visant la promotion d’intérêts individuels ou/et de groupes. Cette promotion de l’intérêt national se doit d’avoir pour assise une nette perception de la situation socioéconomique. Ce pays reste à l’état de construction institutionnelle, économique et culturelle. Ne pas en avoir conscience entraîne l’adoption de diagnostics entraînant des choix politico-économiques contreproductifs. Ceux parmi les participants à ces débats fermés qui auraient l’intérêt national comme guide sont depuis 1979-1980(2) ceux qui n’avaient aucune possibilité pratique de décision. Présenté par une courte «Note sur le livre», signée par le précédent ministre de l’Energie(3), cet ouvrage est structuré en neuf parties, chacune d’elles comprenant plusieurs paragraphes (1re, 2e, 4e, 6e, 7e, 8e et 9e parties) et plusieurs chapitres (3e et 5e parties). Il vise à présenter et analyser deux domaines, liés entre eux dans le cas de l’Algérie.
Le premier est celui de la connaissance scientifique et technique de l’énergie et des industries liées aux hydrocarbures, leurs outils, leur évolution rapide ainsi que leurs acteurs dans le monde. Présentation est faite du complexe domaine de l’énergie en tant que branche du savoir, ses constituants, ses techniques, ses acteurs influents, leurs visées, leurs connexions d’ordre politique et stratégique avec les principales puissances, grâce à un approfondissement technique que ne maîtrisent si parfaitement que les spécialistes en matière énergétique.
L’ouvrage du Dr M. S. Beghoul a une importance certaine pour les filières de formation concernées et mérite de figurer dans les bibliothèques universitaires spécialisées et celles des instituts formant dans l’une ou l’autre des spécialités en hydrocarbures. Il mérite d’être traduit au moins en anglais et distribué à l’échelle internationale.
Le second domaine développé par ce livre sur plus de 400 pages concerne le secteur des hydrocarbures en Algérie, son essor à un moment donné et son évolution jusqu’à présent. Il montre l’influence primordiale que les usages rentiers des revenus issus des exportations des hydrocarbures ont imprimée au système économique, s’enfonçant de plus en plus dans une dépendance extérieure structurelle. Il souligne les critiques en termes de politique que de management qui peuvent être objectivement faites à la gouvernance d’abord politique de ce secteur. 
En particulier, cet ouvrage écrit par un spécialiste de terrain, connaisseur de son domaine d’évolution professionnelle, présente le «Plan Valhyd», son contexte et son objectif en écrivant : «Cinq années après les nationalisations, profitant des prix élevés du pétrole, le gouvernement algérien tablait sur la maximisation des revenus de l’industrie des hydrocarbures pour financer un développement socioéconomique du pays à même de s’extirper de la rente et se protéger contre les caprices et les aléas du marché pétrolier. Le gouvernement lança à cet effet, en 1976, le ‘’Plan Valhyd’’ qui consiste en la valorisation des hydrocarbures à l’exportation.»(4)
Dr M. S. Beghoul mentionne les noms(5) des initiateurs politiques du «Plan Valhyd», l’ex-chef de l’Etat et son ministre de l’Energie durant l’époque d’avant 1979-1980. Ces deux responsables politiques avaient désigné un responsable technique dirigeant la mise en place du «Plan Valhyd». Ce même responsable technique se retrouvera, des décennies plus tard, chargé au niveau gouvernemental des hydrocarbures et de l’énergie. Ensuite, l’auteur mentionne la période débutant en 1980, durant laquelle ce «Plan de valorisation des hydrocarbures» avait été stoppé. Bien des années après, lors de la gouvernance politique 1999-2019, les décideurs politiques de l’Etat avaient «ouvert» à l’échange international et son corollaire l’investissement privé de toute nature le système économique national. Cette ouverture envers le capital privé marchand, qu’il soit local ou international, avait en fait débuté lentement dès 1980 avec la politique dite de «restructuration des entreprises publiques», en fait leur parcellisation et le démantèlement de beaucoup d’entre elles. Cette tendance a pris de l’ampleur jusqu’à être dominante depuis la gouvernance politique 1999-2019.
Comment comprendre et analyser le fait que les exécutants techniques de l’application du «Plan Valhyd» avant 1980 aient été ceux-là mêmes qui avaient présidé durant la gouvernance politique de 1999-2019 aux bradages marchands tous azimuts des ressources en hydrocarbures, sans tentative sérieuse de valorisation nationale à travers leur industrialisation locale ? Comment ces mêmes individus, une fois ils dirigent techniquement la mise en place du «Plan Valhyd» et une autre fois, beaucoup plus tard, ils sont eux-mêmes les responsables des scandales de corruption touchant la compagnie nationale pétrolière Sonatrach durant une autre gouvernance politique, celle débutant en 1999 et s’achevant en 2019 avec l’émergence du mouvement populaire de rejet du «système» ? Si les mêmes exécutants se chargent à un moment d’appliquer un projet de construction d’une économie de production par la mise en place du «Plan Valhyd», mais à une autre période participent à la destruction de tout projet visant la construction de l’économie de production, détournant à leurs bénéfices privés par la corruption une part des ressources des hydrocarbures, la conclusion que l’on peut objectivement en tirer est que les choix politiques supérieurs sont eux les véritables guides de ces remises en cause fondamentales des choix économiques.
 Les choix politiques dans le domaine des hydrocarbures faits dès 1980 l’ont été sans considération de leurs effets stratégiques, ensuite socioéconomiques sur le pays, sa population et son système de production de valeur. Cette influence néfaste dépend des choix politiques qu’ont faits des décideurs centraux, sans considération des effets stratégiques et socioéconomiques que leurs choix entraînent en matière d’intérêt collectif sur la nature de l’économie et ses évolutions futures, ainsi que les impacts probables des évolutions enregistrées sur la qualité même des institutions et l’obligation d’augmenter le niveau moyen de bien-être des générations. Nous touchons là, compte tenu de la relative jeunesse des institutions toujours en construction dans un environnement politique et stratégique hostile, à une question fondamentalement de sécurité nationale au sens large que les décideurs spécialement ceux en fonction en 1980 ont négligée. Les «économistes du pouvoir», même s’ils se comptent sur les doigts d’une main à l’époque, étaient d’un haut niveau scientifique. La qualité de leurs publications plaidait pour eux. Il m’est amer de relever qu’aucun d’entre eux, strictement aucun, ne s’était opposé publiquement à l’arrêt du «Plan Valhyd» et aux revirements sournois et politiques enclenchés alors dans le domaine des hydrocarbures. Comme personne parmi eux ne s’est publiquement manifesté pour refuser l’énorme faute politique avant d’être économique de dissoudre toute structure gouvernementale chargée de la planification(6). Continuant à fréquenter de manière intéressée les cercles fermées du pouvoir de décision, ils ont eu de belles carrières personnelles dans la haute administration et dans la diplomatie, en détournant le regard, la voix et le stylo de toute mention patriotique des abysses de gâchis économique de ressources stratégiques et de dépendance systémique envers l’extérieur vers lesquels poussent les décisions politiques prises à l’époque, comme l’annulation du «Plan Valhyd».  Cette annulation n’était pas, loin s’en faut, la seule à cette époque de l’après 1979-1980. Elle était l’une parmi beaucoup d’autres successives et similaires(7) conduisant vers l’amplification des blocages de la construction d’une économie de production, socle de toute politique de construction d’un Etat moderne, moins dépendant de l’étranger et traitant, dans le temps long, d’égal à égal avec lui. Considérer l’intérêt national bien compris comme la plus suprême des valeurs est ce qui ressort tout au long des parties de ce livre, observation qui m’est rarement apparue dans les centaines, sinon les milliers d’écrits sur l’Algérie, ses institutions, son système économique, son état social à un moment ou à un autre. Ce livre se détache par son riche contenu et la qualité de son diagnostic, aussi complet que précieux, de l’état réel du système économique de ce pays au territoire si vaste mais paradoxalement en grande partie délaissé(8), malgré une panoplie de ressources diverses dont son Etat dispose théoriquement. Ce qui ressort de l’étude et de l’analyse de la place et des rôles dévolus aux hydrocarbures en Algérie est, selon ma lecture, l’observation d’un gâchis de plus en plus dominant les usages socio-économiques imposés au pays par souvent des individus imprimant, sans aucune espèce de critiques ni de contre-pouvoir, leurs désidératas inconsidérés à tout un pays. 
Ma constatation ancienne(9) est que la prégnance de ce gâchis économique et managérial prôné par le «politique» dans le mode de valorisation des hydrocarbures remonte au tout début de la décennie 1980. 
J’observe que dans son précieux ouvrage, Dr Mohamed Saïd Beghoul abonde dans ce sens et fait ce même constat, en le datant également au tout début des années 1980, mais avec plus de précision en citant la décision politique brutale de l’arrêt-annulation, inexpliqué à l’époque, du «Projet Valhyd». 
On touche là un domaine où le questionnement nécessaire du management des hydrocarbures ne suffit pas, loin s’en faut, d’apporter l’éclairage voulu et de répondre de manière satisfaisante aux questions posées. L’auteur, sûrement à cause de sa connaissance concrète de certains des «acteurs» et de leurs motivations «politiques», a choisi de ne pas s’encombrer de développements qui risquaient de dévier les objectifs de son ouvrage. Le dépassement du «Plan Valhyd» étant acté, le gâchis économique, malheureusement à portée stratégique pluri-décennale, n’a fait qu’exploser, par la suite, la population ayant manifesté son rejet, parfois de manière désordonnée vite enfumée politiquement (1986 jusqu’à 1988, 1989, 1990…), et parfois pacifiquement et collectivement comme depuis le 22 février 2019 jusqu’au début 2020. Peut-on escompter que ces erreurs stratégiques dans la construction d’une économie de production, objectif supérieur au cadre étroit des politiques économiques sectorielles et à toute politique de « réforme », soit superficielle soit intéressée car visant la priorisation d’intérêts privés en lieu et place des intérêts supérieurs de la collectivité nationale et de son devenir, n’existeront dorénavant plus ? Peut-on espérer et observer que les fautes stratégiques du passé telles que celle de l’arrêt du «Plan Valhyd» et celles qui lui sont similaires dans leurs impacts sur la construction d’une «économie de production», ne se reproduiront plus ?
Peut-on escompter que dorénavant les politiques, au sens large, s’enracineront sur un seul socle, celui de l’intérêt national avant toute autre considération interne ou internationale, personnelle ou collective liée aux intérêts d’une personne ou d’un groupe quels qu’ils puissent être ? Peut-on escompter que les élites universitaires, à l’engagement patriotique vérifié et aux compétences dûment prouvées, seront dorénavant lues dans leurs travaux et écoutées dans leurs analyses ?
N. K.

Références :
-1- Dr Mohamed Saïd Beghoul, 2021. Pétrole algérien, les barils de la peur. Imprimé par IM-Alger. ISBN : 978-9947-0-5895-4.
2- Je considère que les années 1979-1980 de par les changements politiques inattendus qui s’y sont déroulés, comme la source par excellence qui explique une bonne partie de l’évolution problématique de ce pays à ce jour.
3- Mr Abdelmadjid Attar.
4- Cf. Dr M. S. Beghoul. Op. cit. p. 240.
5- Cf. Dr M. S. Beghoul. Op. cit. p. 240 & 241.
6- Vers avril 1980, un «économiste», d’un relatif renom à l’époque, avait animé une conférence pour nous les étudiants de graduation de l’Université de Annaba. Il nous avait, avec un brin de colère, dit textuellement : «Il n’y a pas de planification. Cela n’existe pas !» Récompensé quelques années plus tard par un macaron ministériel, celui des finances, son passage gouvernemental n’a pas duré et il avait été dégommé de la plus brutale des manières.
7- Exemples : L’arrêt du «Barrage Vert», l’application de l’arabisation de l’enseignement universitaire, le démantèlement des entreprises publiques, le bradage des « biens vacants», des politiques dites «AICR», «AIV», des politiques agricoles... 
Cet ensemble de décisions politiques s’imposant à l’économie, prises au même moment historique, représente bien, non pas une réforme salutaire de correction des erreurs du passé à ce moment-là, mais bien un blocage stratégique de la construction d’un état moderne.
8- Territoire vaste s’étendant sur plus de 2,38 millions de kilomètres carrés, mais délaissé complètement, car même l’étroite bande littorale où se concentrent les populations, les agglomérations et les activités, est également délaissée en matière d’organisation urbanistique, d’environnement, de qualité des services disponibles, d’investissements productifs, de création d’emplois non précaires, etc.
9- N. Khaoua. 2016. Modèle économique et logique politique en Algérie. AFEP, Mulhouse, France.
10- N. Khaoua. 2017. Development Crisis in Algeria : Colonial Roots linkages and Institutional Failure. Eadi Nordic 2017, W.G. Postcolonial Perspectives on and within Development. Bergen. Norway.

 

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