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Rubrique Contribution

Vivre ensemble, vivre mieux (2e partie et fin)

Par Mme Amhis Djoher Ouksel, enseignante, auteure et poétesse
Aujourd’hui, face à la déferlante de la violence mondiale, une sérieuse réflexion s’impose. Un monde nouveau appelle un homme nouveau capable d’appréhender les problèmes de son temps et de trouver des solutions aptes à promouvoir les forces de progrès et de paix. 

De la violence
On ne peut rester insensible à la résurgence de la violence. Est-ce à dire que c’est un phénomène nouveau ? Non, dans un long parcours historique, on se rend compte que la violence a toujours existé.
Actuellement, les images de violence agressent le téléspectateur et leur itération les érige en «normalité».
De nombreux chercheurs, des spécialistes travaillent sur ce dossier. D’abord, identifier les causes profondes de cette violence, notamment les causes familiales et sociales. Il y a eu quelque part une défaillance ou incapacité à saisir les raisons de l’émergence de la violence.
Sans vouloir être exhaustif, on peut déjà tenter de comprendre ce phénomène que les mass média contribuent largement à banaliser. Les conditions sociales, le développement ont transformé la société. Cela s’est traduit par une sorte de relâchement éducatif, d’absence d’éthique, par un laisser-aller dans tous les domaines. Il est certain que les conditions économiques ont leur part de responsabilité car les inégalités sociales se sont aggravées.
En ce qui concerne notre pays, beaucoup de facteurs ont engendré des comportements violents : mauvaises conditions de vie, chômage, insuffisance de ressources, surpeuplement, exode rural, déracinement empêchent une intégration dans la société. S’y ajoutent l’ignorance et l’absence de culture. La famille ne joue plus son rôle de protection et de sécurisation. L’enfant n’a pas d’autre choix que de se manifester par l’agressivité, seul moyen d’être reconnu et qui se traduit par des actes violents. Ainsi même des procédés condamnables restent les seuls moyens d’affirmer son existence.
Il est de la responsabilité de tous les acteurs de la société de prendre conscience de ce phénomène car la violence est le miroir de la société. Il est des circonstances qui l’aggravent et aucune frange de la société n’est épargnée, surtout l’école, pourtant censée jouer un rôle éducatif.
On a toujours déploré l’absence d’éthique et l’incapacité à construire un monde meilleur. «Plus que les idées, plus que les sentiments, ce sont les vérités profondes de l’homme qui transforment le monde et si l’homme porte en lui assez de ferveur et de foi, de générosité et de courage, le monde de demain ne sera pas cette monstrueuse barbarie que nous pouvons craindre mais l’image d’un ordre fondé sur l’amour.» (Daniel-Rops).
L’histoire, même la plus violente, a montré que l’être humain porte en lui des ressources formidables de régénération, un désir de survie. Comme le Phénix, il renaît de ses cendres.
Les chances de changement sont en l’homme, en nous-mêmes, et chacun selon, ses possibilités, peut apporter sa contribution et ainsi éviter la deshumanisation : sauvegarder l’homme qui est en chacun de nous, œuvrer à développer l’amour du prochain, le sens de la liberté et le développement de l’intelligence, tenter constamment de se hisser vers le haut et non encourager la médiocrité, source de tous les dangers.
L’homme a besoin de respect, de dignité ; c’est le déficit de ces valeurs qui développe des formes d’agressivité multiples.
Il est urgent d’intervenir au sein de l’école qui reste le creuset fondamental de la socialisation et du vivre ensemble. 
Un monde nouveau est à naître qui exige des solutions adéquates par une réflexion soutenue par la justice, la générosité à même d’impulser le progrès et l’inscrire dans le cours de l’Histoire.

L’école : généralités
Il ne s’agit pas ici de développer le rôle de l’école et les méthodes d’apprentissage mais seulement de rappeler quelques généralités pour susciter la réflexion. 
L’essentiel est de savoir comment créer un climat favorable à la paix et au vivre- ensemble, comment enseigner aujourd’hui pour préparer l’enfant à la vie sociale. L’école n’étant pas à l’abri des turbulences sociales, de la violence, comment réduire le décalage entre ce qui est enseigné et la réalité sociale ? Comment concevoir l’éducation aujourd’hui ? Comment faciliter l’ancrage social face aux rapides changements de la société ?
Le but de l’éducation et de faire acquérir des connaissances ; il faut reconnaître qu’avec les nouvelles technologies, l’enfant a accès à des informations nombreuses dont parfois il ne maîtrise pas la signification. Il accumule des informations mais ne possède pas la Connaissance. «L’enseignement actuel ne se préoccupe pas de connaître ce qu’est connaître, c’est-à-dire les dispositifs cognitifs, leurs difficultés, leurs propensions à l’erreur, à l’illusion… Car toute connaissance comporte un risque d’erreurs et d’illusions.»(1) Nos sens peuvent nous tromper. «Ce sont de mauvais témoins pour les hommes que les yeux et les oreilles quand ils ont des âmes barbares.»(2)
Aussi, le rôle de l’éducateur est-il de préparer l’écolier, l’étudiant à l’intégration dans la société. Or, les sociétés évoluent en même temps que les codes et les comportements. L’éducateur ne peut pas ignorer la réalité ; il doit en tenir compte pour adapter, ajuster son enseignement. La mission de l’école est de développer l’aptitude à saisir les enjeux d’une société et s’y adapter.
La relation élève-éducateur aussi a évolué. L’enseignant exerce une profession alors qu’auparavant, c’était une mission, un sacerdoce. Il était un exemple auquel les apprenants s’identifiaient. Cette relation a subi les effets des bouleversements de la société. L’élève du XXIe siècle, en plus de savoir lire et écrire, acquiert beaucoup de connaissances grâce à l’internet. Il recherche constamment le dialogue pour comprendre, s’enrichir. L’enseignant doit répondre aux attentes, aux revendications, aux aspirations de cet apprenant nouveau. Les moyens techniques actuels participent à son éveil et à son épanouissement. Cependant, il est nécessaire de veiller à développer les «dispositifs cognitifs».
Apprendre à se prendre en charge, à développer le sens de la responsabilité, à être maître de son jugement, à réfléchir, à faire preuve d’esprit critique, à distinguer le vrai du faux, apprendre que toute vérité est relative. C’est tout cela qui développe son «équipement cérébral» et le rend apte à saisir les problèmes de sa société.  
On parle de plus en plus de «pédagogie prospective», une pédagogie qui anticipe l’avenir et tient compte des évolutions et des changements de la société.
On n’insistera jamais assez sur l’importance de la lecture. Il ne suffit cependant pas d’apprendre à l’enfant à savoir lire. Il doit être apte à aller au-delà des mots et développer ses capacités intellectuelles et affectives. 
La situation nouvelle d’une société en perpétuelle mutation appelle «à doter tous les enfants des ‘’outils’’ de la connaissance, c’est-à-dire des notions de base sans la possession desquelles aucune formation intellectuelle n’est possible et d’une méthode de travail les rendant capables de compléter ‘’seuls’’ l’instruction élémentaire qu’ils auront reçue à l’école».(3)
L’apprenant étant appelé à être le citoyen de demain et à apprendre à vivre ensemble, l’école se doit de développer chez lui les qualités qui lui permettront de s’intégrer d’une manière harmonieuse dans la société qui l’attend. 
En classe, il apprend à respecter les autres, à être responsable, à faire l’apprentissage de la liberté. Il se soumet au règlement, à la discipline ; il apprend à vivre avec les autres, à faire preuve de tolérance, d’amitié, de solidarité, à accepter l’autorité de l’éducateur sans rien perdre de sa personnalité. L’éducateur est une référence, maître du savoir, de la connaissance qu’il transmet aux jeunes générations. Il a valeur d’exemple et suscite le respect de l’autorité.
Toutes ces données méritent d’être développées car le chantier est vaste. A situations nouvelles, pédagogie nouvelle.  

Vers le sens civique : l’école, la famille
C’est dans les petits gestes simples de la vie quotidienne que se développe le sens civique. Dès son jeune âge, on inculque à l’enfant certaines valeurs et en premier lieu le respect de l’autre.
La porte de la maison, refermée sans bruit, l’enfant se retrouve dans un espace différent de celui de la famille. Saluer son voisin, descendre les escaliers sans crier pour ne pas déranger une personne qui se repose, un bébé qui dort. En descendant ou en montant l’escalier, libérer le côté de la rampe pour une personne plus âgée ou chargée… L’emballage du goûter ou des friandises doit être jeté dans une poubelle sinon mis dans le cartable. Ne pas jeter, ni dans l’escalier, ni dans la rue : une manière civique de participer à la préservation de l’environnement. Dans la rue, ne pas bousculer et si      cela arrive par inadvertance, s’excuser tout simplement. Dans la cour de la récréation, éviter les gestes violents, les mots grossiers. Être fair-play dans les jeux avec les camarades. Chaque geste est important et renforce le contrôle sur soi et l’esprit de camaraderie. 
En classe, la politesse est de rigueur comme il a été précisé précédemment. L’élève acceptera les règles et respectera le maître qui dispense le savoir.
Les livres et les cahiers seront bien tenus, couverts. Rendre un devoir sur une feuille déchirée ou sale est un manque de respect. Les enseignants veilleront scrupuleusement à ces comportements. Ainsi se créeront les bonnes habitudes qui deviendront des réflexes. Se plier à la discipline acceptée est un acte de liberté. Ce sont de petits gestes qui favorisent le vivre-ensemble et créent une ambiance amicale.
La classe est comme la maison, un lieu de vie. Ne pas dégrader le matériel, veiller à la propreté, c’est aussi une initiation à la vie civique et démocratique.
L’école qui dispense un savoir, des connaissances, prépare l’enfant à assumer son rôle dans la société, à réfléchir pour mieux prendre en charge les problèmes de son époque et ainsi participer à la vie démocratique et à son fonctionnement et créer les conditions favorables pour mieux vivre dans son cadre de vie.
L’enseignant, pour sa part, s’appliquera à donner l’exemple par sa tenue vestimentaire, sa compétence et surtout, il doit être à l’écoute des apprenants. L’autorité s’imposera d’elle-même par le respect qu’il inspire. Cette relation est fondamentale car l’apprenant s’identifie à son éducateur dont l’empreinte restera forte parfois jusqu’à l’âge adulte. 
L’école comme la famille a une influence morale sur l’enfant et l’adolescent et parents et éducateurs doivent être attentifs au développement des enfants. Celui-ci, par exemple, dès quatorze ans, manifeste un profond désir d’indépendance. Sa personnalité s’affirme dans l’affrontement avec les parents.  
L’école, la famille créent un climat de confiance qui fait naître la concorde, l’entente dans le respect et le sens de la fraternité. Or, malheureusement — et il faut en tenir compte — le père a perdu de son pouvoir. Il n’est plus le maître tout-puissant qui, par sa présence, son regard impose son autorité. De la famille élargie qui avait ses avantages et ses inconvénients à la famille nucléaire, la différence est très grande. Autonomie, indépendance ont été un choix avec l’évolution de la société.
A l’heure actuelle, une technologie de plus en plus performante a développé dans les familles des comportements nouveaux : absence de communication, isolement, fascination pour l’objet technique, tout cela a affaibli le tissu familial. 
L’école, lieu de protection de l’enfant, n’est pas à l’abri de la violence environnante et le non-respect des codes nuit à la création d’une atmosphère sereine. De même, il faut apprendre à vivre avec nos voisins et cultiver les bonnes relations de voisinage : amabilité, serviabilité, politesse sont nécessaires, favorisent le vivre-ensemble et sont une transition pour la socialisation. 
Instruire, éduquer, former, c’est préparer l’enfant, l’adolescent à devenir homme. Et comme l’écrit Victor Hugo, «chaque enfant qu’on instruit est un homme qu’on gagne». La formation morale est une priorité. L’école, la famille préparent à la vie sociale.

Un cri d’alarme
L’école a toujours été une préoccupation majeure des éducateurs. De nombreux questionnements se sont posés à des époques historiques différentes. Lorsqu’on parcourt tout ce qui a été écrit à ce sujet, on se rend compte de la complexité des rapports école/société, école/politique. Autrefois, l’école était un lieu sécurisant consacré uniquement au savoir et préparant très tôt au vivre-ensemble dans la société à venir. Or, la société évolue très vite et il devient difficile de construire un projet de société. Malgré toutes les théories, on assiste malheureusement à la faillite de l’école phagocytée par le dogme et les idéologies dominantes. Il existe peu de livres algériens de recherche à ce sujet et aucune réflexion fondamentale ne lui a été consacrée à ce jour. Beaucoup de théories dans les discours mais aucun contact avec la réalité algérienne. 
La démocratisation de l’enseignement a soulevé de nombreux problèmes et constamment, c’est l’échec recommencé. «Notre modèle éducatif» est à revoir de fond en comble. Les réformes ponctuelles ne résoudront rien. C’est une véritable révolution qui évitera de décérébrer nos enfants. 
Dès son jeune âge, l’enfant ne peut échapper aux influences des objets techniques qui envahissent son quotidien. C’est le rôle des parents et des éducateurs de veiller très sérieusement à l’usage modéré de ces outils remarquables d’ouverture sur le monde. C’est par le dialogue que parents et enseignants préviendront les dérapages. Il faut sans cesse expliquer, réfléchir, développer l’esprit critique, apprendre à sélectionner les informations. Tout ce qui s’écrit ou se dit n’est pas vérité. Favoriser le plus possible des occasions de convivialité et de communication. A la limite, toute cette technologie mal maîtrisée est un véritable danger et agit comme une drogue.
Il est temps d’aborder le problème de l’école d’une manière très sérieuse. C’est de l’intérieur, dans l’expérience scolaire, que l’on peut tenter de trouver des solutions. Beaucoup d’intellectuels posent les vrais problèmes mais sans suite. C’est grave, très grave de contribuer à fabriquer de l’ignorance et par voie de conséquence du sous-développement, de l’injustice, synonymes de violences.
A long terme, malgré toutes les potentialités de notre pays, on assiste au délabrement de la pensée et du pays tout entier.  L’école ne pourra jamais se transformer avec des modèles archaïques. On oublie trop souvent que l’enseignant travaille sur de l’humain malléable et fragile, et que son influence est considérable pour le développement de sa personnalité. Actuellement, le projet — si projet il y a — est destructeur et l’Algérie est en train de perdre ses valeurs, sa culture et son âme. Avant qu’il ne soit trop tard, on doit réagir pour éviter que l’école ne continue à fabriquer de l’ignorance, de la haine, de l’intégrisme et à s’éloigner de plus en plus des fondements de notre histoire, de notre mémoire. 
Pour le vivre-ensemble, développer l’amitié, la fraternité, l’amour, l’estime de soi, le respect des autres dans leur diversité. Être humain, tout simplement. 

Nécessité de repères
Au risque de me répéter, l’observation attentive de la société nous interpelle : déshumanisation, crise d’autorité, perte de valeurs, tout ce qui fait la cohésion d’une société a disparu. D’où l’urgence de protéger le citoyen. L’image de notre société est dégradée et de plus en plus inquiétante : violence, agressivité, maladies, mal-être, désarroi, désespérance, déliquescence des structures, pouvoir bureaucratique, émergence des extrémismes et des idéologies obscurantistes, tels sont les facteurs de l’instabilité, de l’inquiétude.
Le citoyen algérien n’arrive plus à se situer nulle part, ni dans son histoire, ni dans la culture de ses ancêtres, ni dans un espace géographique. Cette sensation de dépossession le fragilise, le déséquilibre. Il est sans cesse dans l’errance et la quête d’un ailleurs où il ferait bon vivre, tout simplement, dans un environnement stable.
Chaque être humain aspire à la paix et la recherche du vivre-ensemble est un besoin. La faillite des philosophies des «religions» interprétées à l’aune de l’ignorance, la résurgence des idéologies sectaires, tout cela nous interpelle. Comment influer sur les êtres humains sans tomber dans un idéalisme outrancier. Il y a une réalité et c’est à partir de là que doit se construire notre réflexion : vaincre l’ignorance avant tout, nourrir la pensée, favoriser les échanges et ainsi promouvoir une société nouvelle fondée sur la justice et le respect de l’autre. 
L’ouverture d’esprit permet de dépasser tout ce qui empêche l’homme d’aller vers le progrès et de s’inscrire dans le cours de l’histoire où l’humain occupera une place privilégiée : forger un homme nouveau. 
Les utopies sont devenues des réalités et seule la volonté, l’instruction, l’éducation sont à même d’amorcer le changement : vœu pieux certes, mais il est possible à moyen et long termes de changer le regard sur soi, sur le monde : réfléchir sur les causes profondes de ce dérèglement, analyser l’évolution historique et tenter au moins de comprendre, de dépasser les faux problèmes qui empêchent toute avancée vers la paix, la sérénité et une cohabitation harmonieuse. Connaître l’autre et ne pas s’enfermer dans les idées préconçues, les préjugés. Aller vers l’autre dans un élan de fraternité et d’amour. La haine n’a jamais été constructive, elle génère de la violence, parfois extrême et irraisonnée. C’est le rôle de la famille, de l’école, de la société d’œuvrer pour réaliser cet équilibre et favoriser le vivre-ensemble en tissant des liens fondés sur le respect de la dignité humaine. La violence est une réponse au mépris, à l’injustice, à l’inégalité. L’homme a besoin d’une reconnaissance dans la totalité de son être. Sans adhérer totalement à la théorie de Rousseau selon laquelle l’homme est naturellement bon et que c’est la société qui le corrompt, on peut tout de même réfléchir à ces rapports homme/société.   
Le problème est complexe mais il faut rejeter les attitudes défaitistes. Chaque contribution est un plus et comme le dit Saint Exupéry : «Un pas est un pas mais c’est un pas.»
Plusieurs considérations sont à prendre en compte : lutter contre les idéologies de supériorité. Il n’y a pas de vérité absolue et, selon Ibn Khaldoun, «il faut combattre le démon du mensonge avec la lumière de la raison». La raison et la foi ne sont pas incompatibles, bien au contraire, la pensée rationnelle renforce la compréhension éclairée d’une religion. 
Aller aux causes profondes pour tenter d’apporter une solution. Les pays affaiblis par les crises multiples, les dominations, la violence mondiale sont les cibles privilégiées des puissances de l’argent qui instrumentalisent la crédulité populaire, la religion pour donner de la crédibilité à leur action néfaste et légitimer les ingérences dans les pays étrangers.
En ce qui concerne notre histoire : en 1962, après sept ans de guerre, avec l’effondrement des structures coloniales, l’Algérie était à construire. Par méconnaissance des règles de la gestion, on n’a pas suffisamment réfléchi aux priorités. Ainsi, toute une jeunesse s’est trouvée désemparée, livrée à un vide existentiel dont les idéologues se sont emparés. Nous mesurons le désastre, plus de cinquante ans après l’indépendance : l’ébranlement des assises profondes de l’Algérie, les déviations, les confiscations qui ont retardé, voire empêché le pays de s’inscrire dans un développement harmonieux. Nous étions dans l’euphorie de l’indépendance retrouvée et parfois l’essentiel a échappé à nos dirigeants car le chantier de construction était immense. Que faire ? Par quoi commencer ? Quelle sera la vision future de l’Algérien ? Comment inscrire le citoyen dans une Algérie nouvelle après tant d’années de dominations, de conquêtes, d’aliénation ?
Certes, beaucoup a été fait dans tous les domaines, car l’Algérie, exploitée par le colonisateur à son unique profit, se trouvait, une fois rendue à sa souveraineté, dans un état lamentable et tout était à faire. Mais il faut se rendre à l’évidence, l’essentiel nous a échappé, et souvent nous avons attelé la charrue avant les bœufs. En tant qu’éducatrice, formatrice, une question lancinante me taraude. Pourquoi l’éducatif nous a-t-il échappé ? On constate amèrement les dégâts occasionnés par une gestion à l’emporte-pièce d’un secteur hautement stratégique. Comment préserver aujourd’hui nos enfants des projets obscurantistes qui, en plein XXIe siècle, nous renvoient à des époques dépassées ? Il est temps d’identifier toutes les forces occultes qui empêchent l’acquisition du savoir et de la connaissance, l’ouverture d’esprit, la réflexion, le sens critique, l’enrichissement de la pensée.
Après la lutte pour l’indépendance, une lutte plus importante est à engager : celle d’une école performante, ouverte sur le monde. L’école est au centre d’enjeux politiques et nos enfants sont souvent les otages d’esprits rétrogrades et formatés par un système qui hypothèque l’avenir de notre pays ; ils sont devenus objets de manipulations, d’instrumentalisation, incapables de s’autodéterminer et de participer au développement de leur cadre de vie. 
Le sectarisme et la pensée unique sont générateurs de tous les extrémismes. L’ouverture d’esprit soutenue par une éthique universelle est à même d’amorcer une étape vers le vivre-ensemble, car tout homme aspire à la paix dans un environnement harmonieux.   

La paix, est-ce possible ?
Aujourd’hui, avec la généralisation des moyens techniques de plus en plus performants, nous sommes constamment agressés par la force des images violentes, ce qui ne manque pas d’alimenter nos angoisses face à l’avenir. La planète entière est en ébullition ; elle nous renvoie l’image de violences, de génocides, de conflits, d’exodes massifs. On assiste, impuissants, à la résurgence de la barbarie et de la déshumanisation.
Il devient très très urgent d’agir pour tenter d’instaurer un climat de paix, il y va de l’avenir de notre pays et du monde entier.
Dans une longue histoire de dominations multiples, l’Algérien a intégré de grandes capacités de résistance mais, maintenant que le pays a été libéré, le citoyen doit œuvrer à sa construction. Nous sommes tous concernés et une grande responsabilité nous incombe pour réaliser un projet de société.
La famille, l’école, la mosquée, les institutions doivent conjuguer leurs efforts pour tenter d’œuvrer pour le vivre-ensemble. 
Le citoyen algérien, en particulier, n’a qu’un souhait, vivre dans un environnement en harmonie avec ses aspirations : la paix n’est pas un donné. Elle se construit et cela n’est pas toujours évident. Elle exige un effort collectif au plan des valeurs qui ont toujours contribué à la cohésion sociale. Or, depuis l’indépendance, des négligences graves dans la gestion du pays ont favorisé la médiocrité au détriment de la raison et de l’intelligence. Les conséquences sont là et visibles : ignorance, paupérisation, haine de soi, haine de l’autre, racisme, intolérance, arbitraire, sous-développement, délabrement de la pensée et de l’environnement. Un vaste chantier nous attend. Deux mots-clés doivent guider notre démarche : la sacralisation de la vie humaine et la fraternité.

Le dilemme 
Le dilemme face à l’évolution rapide de la société est le suivant : que faut-il changer ? Changer l’école ou changer la société ? Peut-on imager comme Yvan Illich(4) une société sans école ? Une théorie qui a fait son temps, ses adeptes et un engouement certain mais qui a montré ses limites. Est-il possible de dissocier l’école de la société ? N’est-ce pas utopique ? Cela mérite réflexion. Il est vital de résister à la culture de la violence par la valeur de l’exemple, la compétence, l’autorité et le respect.  Autant que possible, réduire le décalage entre la réalité vécue et ce qui est enseigné. Ne pas couper l’enfant de ses traditions, de ses rites et de ce qui fait sa richesse culturelle et surtout de sa langue maternelle.
L’ouverture d’esprit, l’esprit critique, la réflexion donnent les moyens d’appréhender les problèmes de l’époque et de préparer l’apprenant à une cohabitation sereine en société. L’enseignement civique est une étape pour la socialisation. Le problème linguistique soulevé à maintes reprises creuse une profonde fracture dans la société. L’école est trop idéologisée, ne favorise pas le vivre-ensemble et empêche l’épanouissement de l’apprenant. Celui-ci ne prendra pas conscience de l’importance de sa richesse culturelle et de sa diversité.
De nombreux éducateurs adaptent leur enseignement à l’évolution de la société et aux aspirations de la jeunesse tout en respectant les orientations des institutions. C’est de l’observation quotidienne des enfants que l’enseignant tire les leçons pour un enseignement plus efficace. On peut citer comme exemple l’incapacité à s’orienter même dans un lieu restreint. Demandez à un enfant de préciser le nom de sa rue, de sa daïra, de sa wilaya. La méconnaissance de son lieu de vie, de son environnement est un handicap. L’enfant doit savoir qu’il appartient à une commune de tant d’habitants qui vivent ensemble. Ce sont des repères indispensables pour l’orienter et renforcer le sentiment d’appartenance à une famille, à un groupe. C’est le rôle des enseignants d’inculquer les règles et, ainsi, initier l’enfant à la vie démocratique et développer son esprit critique et son sens patriotique.
Il est nécessaire de connaître comment s’organise la gestion du pays :
• Quel est le nombre de wilayas ? 
• Comment et par qui sont-elles administrées ?
• Quel est le rôle du chef de daïra, du président de l’Assemblée populaire communale, du secrétaire de mairie, du conseiller municipal ?
• Quels sont les attributions de chacun ?
• Comment se font les nominations ?
• Pourquoi voter ?
• Dans quel quartier habitez-vous ?
• Quel est le nombre d’habitants de votre commune ?
• Y a-t-il un centre culturel, une bibliothèque, une médiathèque, une salle de cinéma, etc. ?
• Y a-t-il une équipe de football ?
• Connaissez-vous l’histoire de votre village, de votre ville ? Le futur citoyen se doit d’être au courant du fonctionnement des institutions. Il est concerné.
C’est un projet à prendre en considération et à développer. 

Conclusion
Un État fort et juste qui exerce une autorité a valeur d’exemple. L’Etat possède les moyens d’intervention pour promouvoir l’Etat de droit. La réconciliation nationale et la cohésion sociale sont nécessaires pour faire front aux invasions et créer les conditions du vivre en paix. La société civile est à même de jouer un rôle de contre-pouvoir et contribuer à l’amélioration des conditions de vie du citoyen.
Avec un État coercitif, le peuple se démobilise, ce qui empêche le développement du sens civique. N’oublions pas que les évolutions sociales s’opèrent lentement. L’Algérie est un pays dont la souveraineté est récente.
Chacun doit apporter sa contribution et croire au rassemblement des énergies pour faire éclater le carcan idéologique qui a pris en otage un peuple entier. Notre avenir dépend de notre capacité de rassembler nos forces pour promouvoir le vivre-ensemble et instaurer un climat de paix, redonner à notre pays la joie de vivre, de créer, d’aimer, de semer des idées de fraternité et de liberté.
Au cours de mes lectures, j’ai été séduite par une phrase de Jean d’Ormesson : «J’ai beaucoup dormi. J’ai perdu beaucoup de temps. J’ai commis pas mal d’erreurs. Ce qu’il y avait de moins inutile sous le soleil, c’était de nous aimer les uns les autres.»(5) 
A. D. O.
Notes :

1) Edgar Morin. La voie, p.154.
2) op. cit.
3) Robert Dottrens. Introduction : éduquer et instruire.
4) Ivan Illich. Une société sans école. Ed. du Seuil, 1971. Libérer l’avenir. Ed. du Seuil, 1971.
5) Jean d’Ormesson : C’est une chose étrange à la fin que le monde. Robert Laffont, Pocket, 2010.

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