Clap de fin du colloque
international sur «Le royaume des Massaessyles : Syphax et la rencontre
de Siga, 206 Av. JC». Deux cents invités entre spécialistes et
communiquants au fait du sujet, étudiants doctorants et professeurs
d’université en histoire ancienne ont eu à vivre trois journées dédiées
à la recherche de la vérité sur une période demeurée jusque-là l’apanage
des thèses d’historiens outre Méditerranée. C’était très fort
perceptible au demeurant en filigrane des exposés qui se voulaient
didactiques. Quoique le personnage central, Syphax, était de tout temps
au cœur des communications et avec lui celle qui deviendra, dit-on, son
égérie, c’est toute la dimension du royaume Massaessyle, longtemps
méconnue ou ignorée qui surgira fortement des débats. En effet, comment
pourrait-on prétendre un quelconque rôle d’influence à Syphax s’il ne
pouvait se prévaloir de la force de son royaume, voire de sa puissance
devant deux entités politico-militaires, l’une Rome en pleine ascension
et belliqueuse et l’autre Carthage pour qui les temps sont de plus en
plus durs, preuve en est la perte progressive de ses possessions tant en
Italie qu’en Espagne. C’est que l’empire romain se réveille avec un gros
appétit et surtout des ambitions hégémoniques sur tout le bassin
méditerranéen, dans les deux rives nord et sud s’entend. Détruire
Carthage devient une priorité militaire ou même un fantasme pour ses
généraux desquels sortira Scipion l’Africain. Rome savait toutefois que
Carthage, quoique dans le déclin ne pouvait être vaincue par ses seules
armées de légionnaires. Il lui fallait donc mobiliser des forces
supplémentaires qu’elle va chercher chez le voisin des Carthaginois avec
lequel ils sont d’ailleurs liés par un traité d’amitié. Les manœuvres de
fond vont avoir lieu au début du deuxième siècle avant Jésus Christ.
Chacune des deux puissances rivales va donc tenter de rallier à sa cause
le roi Syphax. Parce qu’il a sous ces ordres une armée équipée et
organisée et surtout un front intérieur reposant sur une richesse
économique prouvée. Syphax en est conscient mais il ne veut pas jouer
les va-t-en-guerre, son âge, son expérience l’ont doté d’une sagesse
bien utile dans l’adversité. Il va en user. Carthaginois et Romains
ignorent ses atouts et veulent un monarque à disposition. Mais ce
dernier qui reçoit les émissaires des deux rivaux en même temps à Siga
préfère plutôt, nous apprennent les conférenciers, jouer au monsieur
bons offices, c’est-à-dire, un médiateur mû par le désir de paix et même
éviter qu’une guerre ne se déplace d’Europe vers l’Afrique. Ses efforts
resteront vains car Rome à d’autres visées. Tout bascule, semble-t-il,
avec l’entrée en scène de l’énigmatique Sophonisbe, fille d’Asdrubal, un
général représentant la noblesse carthaginoise. C’est le coup de poker
classique, marier sa fille au roi numide pour s’assurer son soutien
contre la guerre impérialiste romaine. Les noces sont alors fêtées et
l’alliance scellée, une grave erreur affirmeront certains analystes dans
ce colloque international d’Aïn-Témouchent. L’alliance liant Syphax à
Rome est rompue, elle lui en tiendra rigueur jusqu’à la fin. Mais quel a
été le rôle réellement joué par la princesse carthaginoise, son emprise
sur le roi numide qui le mènera à sa ruine ? Véritable nœud gordien,
chaque historien, européocentriste qui plus est, ira de sa thèse : c’est
la faute à Sophonisbe qui a mis sous le boisseau sa passion amoureuse
pour Massinissa en faveur de la raison d’Etat et à Syphax dépeint comme
un amoureux transmis, un roi avachi par la passion qui ne peut refuser à
sa fraîche épouse. C’est la deuxième guerre punique. Syphax, lui en
première ligne, engagera son armée contre les troupes romaines. Il est
battu mais arrive à échapper à ses ennemis. Deuxième bataille sous
l’instigation de son allié qui lui assure que des troupes arriveront
pour les soutenir. Il est défait et fait prisonnier. Il finira ses jours
à Rome mais semble-t-il avec le confort qui lui revient par respect à
son ancienne alliance et à son rang. Le Mausolée de Syphax qui se dresse
à Oulhaça, Siga, et que nous n’avons pu visiter malgré notre déplacement
sur les lieux, attend un geste des autorités du pays pour un transfert
symbolique de ses cendres. Et Sophonisbe ? Elle tentera de «se tirer
d’affaire» en épousant l’autre roi numide Massinissa, l’empereur Scipion
s’y oppose et va même la réclamer à Massinissa. Et pour éviter une mort
atroce entre les mains des Romains, elle se donne la mort en buvant du
poison reçu des mains de son ancien amour. Arezki Metref s’y est
intéressé de plus près, elle est selon lui une création de Tite-Live qui
ne l’avait pas en sympathie. «Elle demeure aussi floutée qu’un
personnage de fiction dont la réalité est modulable selon le zoom de
chaque auteur. Son geste lui vaut toutefois de passer définitivement à
la postérité, prenant ainsi la succession de Didon dans la liste des
héroïnes africaines sacrifiées au nom de la raison d’Etat». Mieux, «Elle
passera de l’histoire à l’art» et là encore, ce sont les Occidentaux qui
la feront revivre mais à leur goût, c’est-à-dire en la dévaluant au
maximum et à travers elle, son vieil époux Syphax. De la renaissance au
18e siècle, nous dit A. Metref, elle fera l’objet de 20 tragédies
classiques et 12 opéras dans les principales langues européennes. Et en
1430 déjà, Andréa Montagna en fera une peinture tandis que le Hollandais
Rambranbt représente Sophonisbe, la coupe de poison. Le cinéma n’est pas
en reste, Nabil Boudraâ dans son étude Sophonisbe apparaît dans une
image négative comme dans le film Scipion l’Africain sorti en 1937. En
1663, le dramaturge Corneille s’en sert pour une pièce de théâtre. Il
reste cependant qu’on ne sait toujours pas vraiment qui est Sophonisbe
morte en 203 AV. JC. Les plus à plaindre ou blâmer, dit-on, ce sont nos
auteurs qui ne produisent pas, chacun dans son créneau, un
contre-discours développé par les occidentaux. Mohamed Hassine Fantar
appelle les auteurs à se saisir du sujet et des personnages sujets du
colloque. Selon un intervenant, des œuvres ont été produites dans le
cadre de Constantine, capitale de la culture islamique. Ce fut un flop
car de plus, les auteurs ne maîtrisaient pas leur sujet. Il reste
néanmoins que le point positif de cette rencontre de spécialistes ou
tout simplement des amoureux de l’Algérie ancienne, que le royaume des
Massaessyles en sort réhabilité et grandi aux yeux de tous, une sortie
sur le territoire d’Aïn-Temouchent démontre combien est belle et
attractive la région et donc sujette à toutes les convoitises. Aux
ruines romaines dirions-nous, s’ajoutent les ruines des caves à vin de
la colonisation française qui s’imposent à la vue. Et pour peu qu’ils
fassent preuve d’une grande exigence, les étudiants de l’université
d’Alger sous la conduite de leur professeur, Mohamed El Hadi Harèche,
coordinateur du colloque assureraient la relève escomptée. Ces trois
jours studieux auront ainsi abouti à quelques recommandations dont la
«mise en place d’un musée régional dédié au royaume des Massaessyles et
au roi Syphax» ; «impulser un programme national de fouilles sur les
grands tombeaux numides avec des équipes pluridisciplinaires» «Entamer
des démarches auprès de la Maison des monnaies pour frapper des pièces à
l’effigie de Syphax». A l’instar de Massinissa pour Alger, une statue de
Syphax dans la wilaya d’Aïn- Témouchent ; «Envisager des démarches
auprès des musées étrangers recelant des œuvres retraçant le portrait de
Syphax et la rencontre de Siga pour des autorisations de duplications en
vue d’enrichir le fonds national».Incontestablement les chantiers sont
vastes. Pour la wilaya d’Aïn-Témouchent qui s’ouvre au tourisme
notamment culturel, Syphax renverra bien l’ascenseur en attirant les
foules autour de son tombeau, frustrés que nous n’ayons pas réussi à
l’approcher, encore une fois, faute de temps…
Brahim Taouchichet
Brahim Taouchichet