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Maradona, l’homme de la métamorphose

Maradona un dieu ? Et pas seulement du stade. Sur un terrain de football, indéniablement. Il l’a prouvé maintes fois. Il a été classé, à l’issue d’un vote populaire initié par la Fifa de Blatter, qui ne lui était pas franchement favorable, meilleur joueur du XXe siècle, devant l’inatteignable Pelé. C’est d’ailleurs lors de la cérémonie de proclamation des résultats qu’il a crispé le directoire de la Fifa en dédiant son titre « au peuple argentin, aux Cubains, à Fidel Castro et à Che Guevara ».
Dieu ? En 1988, après la magie de la Coupe du monde de 1986 où il a humilié l’Angleterre, patrie natale du foot, des Argentins créent l’Église maradonienne, un mouvement religieux qui lui voue un culte.(1)
Cette église possède aujourd’hui entre 80 000 et 100 000 adeptes à travers 60 pays.
Maradona, un guérillero ? C’est Fidel Castro qui l’a surnommé « le Che du sport ».
Né dans un bidonville de Buenos Aires, en Argentine, un pays où 40% des habitants sont considérés comme pauvres, Maradona est toujours resté fidèle aux siens. Ce qui le conduira à se rapprocher de la gauche sud-américaine mais aussi d’ailleurs dans le monde. Il est l’un des rares sportifs de ce gabarit à avoir affiché, par exemple, son soutien aux Palestiniens, et à avoir dénoncé l’expansionnisme colonial d’Israël.
Lors de la Coupe du monde de 2018, il rencontre en Russie Mahmoud Abbas. Maradona : « Cet homme veut la paix en Palestine. Le Président Abbas a un pays à part entière. »
En 1987, lors d’un voyage à Cuba, il est fasciné par Fidel Castro comme il le sera, plus tard, par Hugo Chavez. Dans son naufrage causé par la prise de drogue, c’est à Cuba qu’il trouve son salut. Il retournera en 2000 puis en 2004 à La Havane se faire soigner pour son addiction à la cocaïne et pour son obésité. C’est « un deuxième père », reconnaîtra-t-il en Castro.
En 2005, animateur vedette sur une chaîne de télévision argentine, il interviewe Castro à La Havane pour son émission «La Noche del Diez».
En 2015, le Lider Maximo lui adressa une lettre pour le rassurer sur son état de santé. C’est dire l’amitié réelle entre les deux hommes.
Maradona n’hésite pas à exhiber fièrement ses tatouages à l’effigie de Castro sur son mollet droit et de Che Guevara sur son épaule droite. À la mort de Castro, il s’identifiera en toute simplicité : « Je me sens cubain .»
Maradona constitue un cas rare de sportif de son niveau revendiquant ouvertement et sans ambages des positions de gauche.
Il s’est particulièrement solidarisé avec les causes de la gauche latino-américaine : «Avec Fidel Castro, Chavez, Inacio Lula da Silva et Nestor Kirchner (…) je crois que l’on peut former une bonne alliance contre la pauvreté, la corruption, et rompre la relation filiale avec les États-Unis. »
Novembre 2005 : Sommet des peuples d’Amérique de Mar del Plata, en Argentine. Hugo Chavez appelle Maradona à la tribune. Le footballeur iconoclaste prend la parole. Il fustige George Bush, venu défendre son projet de libre-échange, qu’il traitera par la suite « d’ordure humaine ».
Maradona est aussi connu pour son franc-parler cru. Dans le beau documentaire qu’Emir Kusturika réalisera sur lui en 2008, il dit de Castro, combattant anti-impérialiste intransigeant, qu’il « a des c… grosses comme ça ».
Avec Hugo Chavez, ce fut le coup de foudre, au sens littéral du terme. Il confesse en 2005 : « Moi, j’aime les femmes, mais je suis sorti (d’un déjeuner) complètement amoureux parce que je connaissais Fidel Castro, Mouamar Khadafi, et maintenant je connais un géant comme Chavez. »
En 2018, il participe au meeting de fin de campagne présidentielle de Maduro, le dauphin de Chavez, au Venezuela. Il se rend disponible : « Je suis un ‘’soldat’’ de Maduro .»
C’est tout naturellement qu’en 2019, il soutient Evo Morales, chassé du pouvoir par un « coup d’État orchestré en Bolivie ». Maradona, le gosse qui a grandi dans l’extrême dénuement d’un bidonville de Buenos Aires, ne peut taire sa solidarité avec ceux qui combattent pour les siens : « Evo Morales, une bonne personne qui a toujours travaillé pour les pauvres. »
Dans son pays, l’Argentine, il a soutenu sans hésitation les époux Kirshner. Il est toujours présent quand la gauche au pouvoir a besoin de lui.
Maradona, disciple ? Par son engagement, et même si ce dernier est brut et relativement incantatoire, il se situe dans la lignée d’un autre géant du football que son militantisme à gauche, réfléchi et théorisé, a desservi. Il s’agit du Brésilien Socrates (1954-2011). Capitaine de l’équipe du Brésil au début des années 1980, il était aussi médecin, intellectuel, chanteur, journaliste…
Il fut le porte-drapeau du club des Corinthianes de Sao Paulo, autogéré par des joueurs impliqués dans la politique.
Socrates s’est engagé dans la lutte contre la dictature brésilienne entre 1964 et 1985. « Je suis un combattant (…) et je veux montrer aux gens, et surtout à ceux qui n’ont pas accès à l’éducation, qu’ils doivent et qu’ils peuvent vivre ainsi, avec toutes les libertés, avec tout le désir et l’amour de la vie .»
Quand on sait que les stars brésiliennes Neymar et Ronaldhino, ce dernier jouissant de l’admiration indue de Maradona, soutiennent le pouvoir clownesque de Bolsonaro, on ne peut qu’admirer encore davantage le positionnement des Socrates et Maradona.
Maradona ? Un homme de contradictions. Oui, et un héros
(ou un contre-héros ?) de roman, comme le décrivait l’écrivain Ariel Bernami. Ce dernier le perçoit comme un personnage de fiction. C’est aussi celui d’une tragédie. Ses allers-retours entre le sublime et le sordide sont ceux d’un homme qui s’élève et qui revient à sa condition dans un mouvement implacable. C’est l’homme de la métamorphose sempiternelle.
A. M.

1) Si la religion chrétienne possède son Pater Noster (Notre Père), celle vouée à Maradona s’est forgée son Diego Nuestro (traduit de l'espagnol) qui se chante ainsi : « Notre Diego — Qui est sur les terrains - Que ton pied gauche soit béni — Que ta magie ouvre nos yeux — Fais-nous souvenir de tes buts— Sur la terre comme au ciel —Donne-nous aujourd'hui notre bonheur quotidien — Pardonne aux Anglais — Comme nous pardonnons à la mafia napolitaine — Ne nous laisse pas abîmer le ballon— Et délivre-nous de Havelange. — Diego. (« Diego » a été adopté par l'Église maradonienne comme la conclusion des prières.)

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