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Rubrique Kiosque arabe

Ce que l'on doit à Nabil Khoury

Savez-vous que le prestigieux Al-Ahram, le quotidien du Caire, dirigé autrefois par le journaliste et confident de Nasser Hassanein Heykal, était en réalité un journal libanais ? Oui, ce sont les deux frères libanais, Bichara et Salim Taqla, qui l'ont fondé en 1876 à Alexandrie, avant qu'il ne soit transféré au Caire en 1899, et qu'il devienne un organe de presse public. C'est ce que rappelle, ces jours-ci, le quotidien koweïtien Al-Qabas, à l'occasion de la visite du pape en Irak, sous ce titre éloquent : «Nous sommes redevables aux chrétiens arabes, mais nous les avons abandonnés.» Remontant jusqu'à la période ottomane, le journal note que ce sont des associations culturelles de chrétiens arabes qui se sont opposées à la turquisation des pays arabes occupés. Il y a plus de deux siècles, rappelle-t-il, l'évêque Douihi a adressé une longue lettre aux théologiens musulmans de Damas, leur demandant de regarder plutôt vers leurs frères chrétiens. Ceci, au lieu d'aspirer à avoir «des relations religieuses avec des étrangers (les Turcs) à Istanbul», et il insistait sur le fait que «le lien nationaliste était plus fort, et porteur de promesses». Al-Qabas évoque ainsi le rôle des chrétiens arabes dans la défense et l'illustration de la langue, avec l'introduction de l'imprimerie et la création de la première académie arabe.
Et il insiste, à cet égard, sur le rôle des penseurs chrétiens Botros Al-Boustani et Ibrahim Yazidji, tout en rappelant l'identité chrétienne de la plupart des auteurs de dictionnaires bilingues. Toutes ces personnalités considéraient que c'était un devoir sacré que de protéger la langue arabe, et elles ont d'ailleurs contribué à renforcer l'idée d'appartenance à une identité arabe.(1) Ce sont d'ailleurs ces idées et ces efforts, souligne le journal, qui ont abouti à l'insurrection arabe contre l'État turc en 1916, et qui ont relancé l'idéologie nationaliste arabe au XXe siècle. Parmi ces idéologues, le journal cite Antoine Saada, le nationaliste syrien qui a appelé à la formation de la «Grande Syrie», ainsi que l'autre penseur syrien Constantin Zariq. Sans oublier, ajoute-t-il, Georges Habache, le prestigieux fondateur du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). «Seulement, regrette notre confrère, la situation n'a pas évolué comme elle aurait dû le faire, et la proportion des chrétiens arabes a baissé de façon considérable durant ces dernières années. Alors qu'ils représentaient 20% de la population totale des pays arabes, au début du XXe siècle, les chrétiens ne sont plus qu'à 6% depuis quelques années. Et les historiens considèrent que cette baisse n'est pas due à des causes naturelles.»
Ils insistent sur le fait que les communautés arabes chrétiennes ont été sous la menace constante des organisations religieuses et terroristes, ce qui a provoqué un exode massif vers l'Occident. «Il faut dire que durant toutes ces années où les chrétiens ont vécu sous la menace de ces groupes sanguinaires, l'Arabe musulman est resté un spectateur passif, note Al-Qabas. Certains n'apprécieront pas sans doute cette réalité amère, mais la réalité est que nous avons abandonné nos communautés chrétiennes, nous sommes restés pieds et poings liés.  Oui, l'exode des chrétiens arabes a appauvri, culturellement et socialement, notre région et l'a rendue plus triste et moins attrayante à vivre. Plus important encore, nous leur sommes infiniment redevables: ils ont porté durant des siècles le fardeau de la sauvegarde de notre identité, de notre langue, et de notre existence, quand elles étaient en danger. Et on leur devait de les aider à rester sur la terre de leurs ancêtres, peut-être que la visite du Pape en Irak nous aidera à nous rappeler nos responsabilités», conclut le journal koweïtien. Quant à la référence au quotidien Al-Ahram, fondé par des Libanais d'Alexandrie, c'est sans doute au nom de ces origines que parmi ses plumes prestigieuses, figure Nabil Khoury,(2) fondateur de la revue Al-Moustaqbal. 
Nabil Khoury était un Palestinien d'Al-Qods, exilé de sa ville natale, une première fois, par l'occupation israélienne, réfugié à Beyrouth, puis exilé une seconde fois à Paris, où il a fondé sa revue en 1977. Lecteur assidu d'Al-Moustaqbal, dont Mohamed Brahimi El-Mili, l'un de ses chroniqueurs réguliers, me fournissait des numéros, j'ignorais jusqu'à 1980 que Nabil Khoury était chrétien. Cette année-là, Kaddafi, qui était quasiment au summum de son influence, décréta dans une interview qu'on ne pouvait pas être arabe et chrétien. Il enjoignait donc aux chrétiens vivant dans les pays arabes de se convertir à l'Islam, et c'est Nabil Khoury qui lui répondit de façon cinglante dans un éditorial de sa revue. Seul «L'homme aux deux exils», comme il s'appelait lui-même, avait eu le courage de répondre à Kaddafi, et avec le panache dont il avait la primeur. C'est un peu ses idées que vient de reprendre Al-Qabas, nous rappelant du même coup le souvenir de ce grand confrère disparu, qui n'a pas su survivre à la mort de sa revue.(3)
A. H. 

1) Les chrétiens du Liban ont été effectivement à l'avant-garde de la lutte contre la turquisation de l'enseignement, décrétée par Abdelhamid II dans les pays sous occupation ottomane. 
2) Né en 1929 à Al-Qods et décédé en 2002 à Beyrouth, il a aussi publié plusieurs romans, dont La nuit de l'arrestation du journaliste, et Celle qui dansait sur des bris de verre (récemment adapté au cinéma).
3) C'est tout dire : alors qu'il était plongé dans un coma fatal, un de ses amis avait dit : «Ramenez à la vie sa revue, et il se réveillera.»

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