Des rêves, Amine il en a plein la tête. Petit, il espérait devenir un grand musicien. Il parcourrait le monde en grattant sur sa guitare, chantant l’amour et la liberté. Il rêvait d'aimer une créature divine, belle, sensuelle, pleine de grâce. Une fille douce et généreuse qui ferait de lui le plus heureux des hommes. Il voulait vivre dans un pays où tout est réglé comme du papier à musique, où la justice règne en maîtresse et où tout le monde est honnête.
Il trouverait du travail, gagnerait de l’argent, achèterait un logement, convolerait, fonderait un foyer, aurait des enfants, les adulerait, leur donnerait la meilleure éducation. Il voyagerait avec sa famille, ne partagerait que des moments de bonheur et dormirait en toute quiétude comme un poisson dans l’eau. Mais le petit Amine a grandi. Ses rêves se sont envolés.
Dans son pays, les gouvernants mentent, volent et sont riches. Ils le méprisent parce qu’il est pauvre. Parce qu’il vit dans un petit deux-pièces avec ses parents et toute la fratrie.
Il n’a pas appris la musique car son père ne pouvait pas lui offrir une guitare. Et puis il lui répétait sans cesse que l’art ne nourrit pas son homme. Il fallait qu’il interrompt ses études, se retrousse les manches et travaille pour l’aider à nourrir ses sept sœurs. «Tu es l’aîné et le seul garçon, tu dois assurer la relève, moi je me fais vieux.» Amine a trente ans aujourd’hui et est toujours célibataire.
La mal-vie, le mal-être empoisonnent son quotidien. Ses copains d’infortune n’ont qu’une idée en tête : fuir le pays par la harga. Lui ne peut pas le faire. Sa mère en mourrait. Alors il continue de rêver à des jours meilleurs.
Il ressasse sans discontinuer que son pays devra un jour ou l’autre changer. Qu’un jour, avec ses amis, ils se révolteront. Qu’un jour, ces fous qui les gouvernent seront tous chassés du pays qu’ils ont anéanti. Il a tellement cru à son rêve qu’il est devenu réalité. Amine s’est réveillé ce matin-là comme des milliers de ses compatriotes, ils sont descendus dans la rue, décidés à reconquérir l'Algérie qu’on a voulu leur confisquer.
