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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Les filles du bord de mer

Comme pour la plupart des grandes villes de la rive sud de la Méditerranée, le passage d’une saison à une autre était à peine perceptible à Bonneville (actuelle Annaba). Excepté l’été avec ses longues et caniculaires journées, le reste de l’année, toute la région baignait dans un climat doux, tempéré.
N’étaient les vitrines des grands magasins, somptueusement décorées en prévision des fêtes de Noël et de fin d’année, on aurait facilement pu croire à quelque journée printanière. Petites bourgeoises bon chic, bon genre, très coquettes, ayant le goût des belles toilettes, aussi jalouses de leur liberté que soucieuses de leurs nombreux autres privilèges, les Bonnevilloises plaçaient leur bien-être au tout premier plan de leurs préoccupations quotidiennes.
Il faut dire que la présidente du conseil municipal, une douairière d’un certain âge, issue d’une des plus riches et des plus anciennes familles de la région, bien aidée dans sa tâche par des conseillères très actives, avait à cœur de faire de la cité un lieu où l’émancipation de la femme s’accompagne de toutes les libertés rendant possible son total épanouissement.
A Vénus Beauté, un grand salon de coiffure tenue par Lucienne, une Alsacienne mariée à un Algérien et installés depuis fort longtemps à Bonneville, l‘ambiance était très festive. Accueillies avec des dragées et du chocolat, les clientes repartaient presque toujours avec une rose ou un œillet à la main, le sourire aux lèvres.
Les journées étaient très animées, l’Institut ne désemplissait pas. Tous les salons et les espaces de coiffure, d’esthétique ou de manucure et pédicure étaient très sollicités par des clientes exigeantes, voire habituées à être traitées avec bien des égards pour les unes, raffinement pour les autres. Sabrina, l’unique fille de Lucienne que la mère préparait pour la relève, disposait de son propre espace à l’institut, un petit studio où elle faisait ses devoirs et qui servait également de coin repas ou de repos pour la maman et sa fille. A 16 ans, la jeune fille qui préparait également son baccalauréat était très éveillée et savait allier études et travail ce qui faisait la joie de ses parents. Très gracieuse et pleine d’attraits, elle tenait de sa mère ses yeux d’un bleu cristallin et ses cheveux blonds. Elle était d’une rare élégance. La dizaine de filles qui travaillaient à l’établissement, toutes du bord de mer et aussi jolies les unes que les autres, avaient été sélectionnées selon des critères précis, puis formées par Lucienne. A force de sérieux et de volonté, elles avaient fini par devenir de véritables professionnelles, excellentes sur tous les rapports et bien appréciées par les clientes très attentives aux détails. Malgré leur emploi du temps chargé, elles trouvaient toujours un moment pour passer dire bonjour à Sabrina, lui demander conseil quand Lucienne était absente ou faire un brin de causette.
Cela lui allait droit au cœur et l’encourageait dans son travail. De son côté, dès qu’elle avait un peu de temps libre ou juste pour se changer les idées, la jeune fille qui s’entendait bien avec toutes les employées n’hésitait pas, histoire de faire le tour du propriétaire et marquer sa présence, à aller les voir à l’œuvre. Avec leurs doigts de fées et leur charme, chacune excellait dans sa profession, au grand bonheur des habituées du salon.
De temps à autre, quand il n’était pas trop pris par son travail de président du conseil d’administration d’une importante société de ravitaillement maritime, Lotfi,le père, rendait visite à Sabrina au lycée pour voir où elle en était avec ses études. Comme il était l’un des principaux donateurs de l’établissement et que toutes les élèves de sa classe étaient en pleine période de révisions pour la première partie du baccalauréat, il n’avait pas de peine à obtenir l’autorisation pour la sortir.
A l’occasion, Lucienne confiait le Vénus Beauté à une de ses assistantes, puis tous les trois faisant relâche pour un après-midi, un déjeuner en famille à La Grande Terrasse ; une auberge très mignonne située en hauteur sur la corniche où l’on pouvait s’offrir de succulentes grillades de poisson frais. Une amitié toute particulière liait le couple à Mireille l’aubergiste, qui était comme Lucienne, une véritable Strasbourgeoise.
Dès qu’elle les voyait arriver, elle n’hésitait pas, le visage rayonnant de joie et les yeux pétillants de cette gaieté des gens affables, à venir en personne les accueillir. Après les avoir installés à l’une de ses meilleures tables, toute proche du bord de la falaise avec une vue imprenable sur Bonneville, son port, sa petite baie, sa plage, elle faisait visiter au couple son vivier, très renommé dans la région. Lorsqu’ils revenaient au bout d’une dizaine de minutes, Lotfi et sa femme avaient déjà arrêté le menu et choisi les boissons. Comme Lucienne était très généreuse, tous les serveurs et les serveuses se mettaient en quatre pour leur être agréables.
Le déjeuner à La Grande Terrasse était toujours un véritable régal. Comme le couple et leur fille s’attardaient souvent à table, le père et la mère éprouvaient toujours après le repas le besoin de faire un petit somme, de fermer les yeux ne serait-ce qu’une trentaine de minutes.
Laissant Sabrina seule, ils se faisaient alors accompagner dans une chambre à l’étage que Mireille mettait aimablement à leur disposition. Pour faciliter la digestion et échapper au doux engourdissement provoqué par le copieux repas, Sabrina s’était accordée une petite balade aux alentours de l’auberge. Avec sa tenue de lycéenne, un chemisier blanc à pois bleus et petit col sur une courte jupe plissée bleu-marine et des chaussures à talons plats, la jeune fille restait belle à croquer et était d’une fraîcheur toute juvénile. Tentée par la vue des vagues qui venaient mourir sur la grève argentée, elle emprunta prudemment un sinueux chemin escarpé pour descendre la falaise jusqu’à la petite plage déserte une centaine de mètres plus bas.
Ses chaussures à la main, elle se laissa facilement griser par l’air marin et la beauté du site. Attirée par la mer et le ressac des vaguelettes, elle n’hésita pas à mettre les pieds dans l’eau. On était à la mi-mars et il faisait déjà un après-midi radieux, printanier, avec un ciel d’un bleu azur. Sans être vraiment brûlant, l’éblouissant soleil était chaud.
Ses rayons sur l’eau jouaient sur les vagues et scintillaient comme des myriades de petits poissons. Un temps idéal pour se faire dorer au soleil. Sans hésiter, la jeune fille avait retiré son chemisier, mettant à nu ses épaules et son dos neigeux, avant de s’asseoir nonchalamment sur le sable fin et chaud, les jambes à demi allongées et prenant appui sur ses deux mains tendues.
Les yeux mi-clos, elle ressentit aussitôt le petit air marin, frais et doux à la fois, lui caresser lentement tout le corps jusqu’à la faire frissonner. Dans une étourdissante extase, un doux enivrement d’air pur, elle se laissa submerger par cette griserie.
Un moment après, un groupe de jeunes gens qui couraient sur la plage en riant sortit Sabrina de sa torpeur en la frôlant et en lui expédiant une giclée de sable sur les épaules et la nuque. La jeune fille sursauta, s’épousseta, se retourna visage au soleil, puis ferma un instant les yeux. Malgré des traces fraîches de pieds sur le sable, la plage semblait toujours déserte.
Sabrina chercha bien des yeux. Elle vit alors au loin des filles s’ébattre au bord de l’eau comme des cygnes avant de se mettre à nager. Très vite elles s’éloignèrent du rivage, puis nagèrent si bien qu’elles disparurent. Toutes voiles dehors, un bateau fendait l’eau en gagnant le grand large avant de disparaître à son tour derrière l’horizon. «Je n’ai quand même pas rêvé !... pensa Sabrina perplexe en se levant. De plus, les traces des pieds sur le sable sont bien là !...»
Lentement, toujours pensive, la jeune fille plia sa chemise, la posa sur ses chaussures, puis les bras en croix et le regard lointain elle rentra dans l’eau. «Mon Dieu !... même si ce n’est qu’un rêve…, Faites que je puisse le revivre ne serait-ce qu’un court moment, fit-elle d’une voix haletante avant de fermer à nouveau les yeux.»
L’instant d’après, oubliant le clapotis de l’eau clair et froide contre ses petits pieds, elle sentit un frôlement dans son dos et le souffle chaud d’une respiration dans sa nuque. Le cœur battant à tout rompre, elle ouvrit les yeux puis baissa les bras jusqu’à sentir d’autres mains, très douces, prendre les siennes. Elle se retourna. Une fille de son âge, à la beauté irréelle, au sourire angélique, était là et l’invitait à venir jouer avec elle. Sans hésiter, Sabrina se laissa faire. Comme dans un enchantement, les deux filles s’étaient aussitôt mises à courir sur la plage.Tout était pour elles source d’exclamations, puis de joyeuses courses-poursuites sur le sable fin et doré. Comme des écolières espiègles un jour de vacances, tout était motif à des cris stridents, des éclats de rire. Surgissant à l’improviste des flots comme des naïades, aussi belles que des nymphes, quatre jeunes filles du bord de mer se mêlèrent à elles en riant, encadrèrent chacune d’elles et les accompagnèrent dans leurs petits jeux. Elles les avaient certainement observées depuis longtemps et remarqué leur juvénile gaieté avant de les rejoindre, certaines de l’accueil enthousiaste qui leur sera réservé, pensa la jeune fille.
Puis, deux filles glissèrent leur bras sous ceux de Sabrina et la soulevèrent du sol avant que tout le groupe ne se mette à courir dans de grands éclats de rire, tantôt le long de la grève argentée, tantôt sur les flots, leurs pieds touchant à peine l’eau. Après un moment, alors que Sabrina goûtait au doux abandon entre les bras de ses nouvelles amies, celles-ci l’amenèrent sur le sol ferme et la laissèrent, avant que toutes les filles ne la quittent aussi vite qu’elles étaient venues en riant joyeusement.
Après quelques énergiques brasses, elles s’éloignèrent du rivage en fendant l’eau calme telles des sirènes, la laissant de nouveau rêveuse comme au sortir d’un mirage, d’un sortilège.
A La Grande Terrasse, Lotfi et Lucienne, qui avaient terminé leur petit somme, cherchèrent du regard Sabrina. Celle-ci était toujours à leur table, à l’ombre d’un grand parasol, la tête reposant sur ses bras croisés et semblant dormir profondément. Avec grande douceur, lentement, comme elle l’avait toujours fait, sa mère la réveilla.

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