Nerveux, excité, comme chaque vendredi, Youcef vérifie les effets qu’il a préparés pour le grand jour. Il regarde le drapeau soigneusement repassé que sa mère a délicatement posé sur le dossier de la chaise.
«Ah ! l’écharpe aux couleurs de l’emblème, il ne faut pas que je l’oublie.» Il l’a achetée la veille chez le voisin d’en face. Il en a vendu tout un stock en moins de deux heures.
C’était la dernière. Il jette un œil sur son téléphone, plus qu’une demi-heure. Cette fois il n’ira pas à la mosquée. Il veut être parmi les premiers à la place du 1er-Mai. Il partira avec tous les jeunes de son quartier de Diar Essaâda à pied. Il aura juste le temps d’avaler quelques bouchées du couscous que sa maman a préparé tôt le matin. Mais rien ne passe.
«Depuis l’historique 22 février, je ne peux plus rien faire, même les taches les plus banales. C’est comme si l’heure s’est suspendue. Tout le monde est focalisé sur le jour J. C’est exactement comme quand on prépare la cérémonie d’un mariage. Toute la tension, l’énergie vont dans les préparatifs.»
Il enfile son tee-shirt tricolore, se regarde dans la glace, met son chapeau vert, blanc, rouge, lit pour la énième fois les deux pancartes floquées de slogans qu’il a écrits. Il s’est enfermé la nuit dans la cuisine avec Sofiane, son meilleur ami. «Au fait, qu’est-ce qu’il fabrique, on avait dit 11h, il est moins cinq minutes et il n’arrive toujours pas ?» Il n’a pas fini sa phrase que la sonnette retentit.
- Te voilà enfin !
- Désolé, j’attendais Samy, il devait me remettre le drapeau. Les écharpes, il n’en avait plus.
- Ne t’inquiète pas, je suis sûr que les copains auront une en plus.
- Et tes écriteaux ?
- Zut ! je les ai oubliés dans le couloir. C’est à cause de ma mère. Elle voulait à tout prix que je mange avant de sortir. Alors je voulais lui faire plaisir. Je ne sais pas si c’est pareil pour toi, mais moi, je suis tellement pressé d’être avec les autres que ça descendait difficilement. Alors, en rebroussant chemin je les ai posés dans le hall. J’appelle ma sœur pour lui dire de me les ramener. J’ai passé un temps fou à écrire, tu ne peux pas savoir comment je me suis appliqué. Ça m’a pris deux jours.
Sofiane récupère ses affiches dont il est fier, et les deux rebelles dévalent les escaliers rejoindre le groupe qui les attend au seuil de l’immeuble. Ils ont tous rendez-vous avec le peuple qui n’abdique pas. «On inondera les rues, on sera encore des millions.»
