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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Mourad El Annabi, le caricaturiste au pied de «la grande dame» -1re Partie

Par Omar Haddadou
La perception artistique corsetée, l’émancipation créative et le porte-mines claustrés, Mourad porte dans sa grosse valise frappée d’ex-libris de migrant désillusionné, un attirail sommaire de dessin, de vieux bâtonnets de fusain, de crayons graphites et un pan de la «Coquette» d’Algérie. A main levée, une décontraction et une dexterité confirmées, il réalise plaisamment des portraits et gagne fièrement sa journée en Hexagone.
Sa ville ensoleillée, à l’opalescence et à la luminosité captivantes, qu’il aurait aimé accompagner dans un élan ascendant où chaque rêve, chaque quête deviennent réalité. Mais Annaba la muse a beau faire proprement son lit pour bien pioncer, prendre son mal en patience, tester les succédanés à effet thérapeutique, les sortilèges habitent ses pensées et la nuit, aux visées revanchardes, lui taille de sacrées croupières. Ses jeunes se lèvent flapis, végétatifs.
Le fil d’Ariane rompu, ils interrogent la mer, se taillent une bavette, cigarette après cigarette. Sur le sable d’une plage édénique, ils abandonnent casquettes, objets personnels et une partie de leur juvénilité. Les migrants sont partis... Mourad, les a vus ! Porteur de touches allégoriques accomplies, valant discours filandreux et rhétoriques, le caricaturiste a beau ébiseler son savoir-faire pour épouser les contours coniques de la réussite, accrocher ses mousquetons aux cordages de l’émancipation professionnelle, le maillage bureaucratique et ses ukases annihilatrices ont failli l’aiguiller vers une harga calamiteuse et des beuveries irréparables. Il y échappera grâce au rayonnement de son coup de crayon esthétique, trempé dans les impertinences de la satire graphique et la touche emphatique illustrative que l’entourage apprécie. Son aura locale connaît quelques jours de gloire. Frappé d’infâme dépréciation, son métier artistique pique du nez et n’enchante nullement les hauts perchés. Comme ce délégué municipal qui, d’un revers de main, balaye son projet personnel.
Atterré, l’artiste ramasse sa lettre de motivation, ses émotions, et, la mort dans l’âme, se liquéfie dans l’incertitude des beaux rivages de la plage Chapuis.
Par voie aérienne, anticipé d’un détour sur l’espace relationnel pour un visa providentiel, il ira chercher un brin de reconnaissance de portraitiste en Hexagone, emportant Medinet Zaoui dans son cœur. Avant de poser ses bagages loin de sa terre natale, le caricaturiste entreprend de changer, au gré des obstacles, son fusil d’épaule en vu de trouver une issue l’épargnant d’un départ précipité. Désenchanté, il s’aperçoit des dysfonctionnements criants de la sphère de l’entrepreneuriat où tout est cadenassé, scellé et marqué du sceau de la quadrature du cercle : «Les miroirs de ma force créative, se dolente-il, me renvoyaient l’image d’une carrière professionnelle prometteuse en Algérie.
J’ambitionnais de porter à bras-le-corps le projet de mise sur pied d’une école de jeunes caricaturistes à Annaba. Tout s’y prêtait. Sites éblouissants, ville inondée de luminosité, jeunesse avide d’apprentissage. Idée sardonique ! lui susurre le spectre des déconvenues.
Le coût du matériel des Beaux-Arts, les rouages bureaucratiques cabalistiques, m’ont délesté de tout énergie et débarqué de mon nuage.»
Conscient des potentialités touristiques que recèle cette magnifique métropole littorale algérienne, Mourad s’investit pleinement dans le montage d’un dossier administratif, soumis à instruction aux élus locaux, pour cette fois-ci, créer un village de vacances en bord de mer. Une option délassante aux retombées économiques et financières non négligeables, impactant significativement la courbe résorbante du chômage à Annaba.
Là encore, «makech !» donnera la mesure des frustrations à petite échelle : «Puisque c’est comme ça, donnez-moi, ya sidi, les poubelles à recycler !» tempête l’artiste, furibond, à la face des élus locaux, bien endimanchés. Manque de peau, le créneau porteur souffre lui aussi de carences. Il faut chercher ailleurs… Ailleurs s’appellera battre interminablement le pavé sur le front de mer, tirer des plans sur la comète et fumer bézef, en attendant le retour providentiel de «Zedji Baba Salem» pour une quête solidaire.
Le désarroi amorçant un dénivelé prononcé, Mourad est acculé à poser son chevalet au pied de la Grande Dame à Paris sans se mettre en mode vibreur avec l’Algérie.
Une curiosité où le flux touristique est aussi pérenne qu’un rapide des montagnes. La recette journalière du migrant est corrélée à l’affluence des étrangers, Américains, Chinois et Japonais qui ne sont point regardants sur le prix de l’illustration bancroche.
Des visiteurs guillerets, venus flagorner, «se prosterner» devant un vieil ouvrage métallique de l’ancienne exposition universelle, initialement dressé comme antenne émettrice-réceptrice, nullement pressentie à un succès planétaire, jadis violemment décrié par les illustres écrivains, tels que Guy de Maupassant et Alexandre Dumas. Mourad n’a cure de la petite histoire. Antenne, épouvantail ou Ammar Bou Zouar ferraillé, le retentissement ne fait pas partie de son système d’exploitation. Campée sur ses jarrets évasés, la charpente métallique lui sert de devanture pour lancer son propre grappin sur la foultitude d’étrangers, ramasser le maximum de pèze et rentrer dans sa coquille : «Pourquoi suer sang et eau et maintenir l’intérêt sur le discours politique qui se défausse de sa mission d’inscrire par exemple la protection sociale et les bas salaires comme priorités ? Moi, ma politique, ce sont djibi (poche), mes parents et ma santé, le reste c’est du pipeau !» Recadré dans son élément originel, le dessinateur s’épanouit dans l’exercice de sa passion, crayonnant en une quinzaine de minutes les disparités physionomiques, fusionnant les éléments ébauchés, peaufinant plantureusement l’image clownesque, avant de se voir gratifié d’une vingtaine d’euros la pose (évitons SVP l’opération arithmétique ! Le gars a déjà payé le tribut des galériens en exil).
D’où le bonheur d’interpeller les touristes dans leur langue respective, aussi brillamment qu’un polyglotte assermenté des combinaisons linguistiques. Un impératif édicté par la haute saison pour gagner sa vie et se payer une vraie pause en Algérie. Histoire de recharger les batteries et repartir du bon pied. Aujourd’hui c’est Achoura, et l’abstinence est de rigueur : «J’espère qu’Allah me pardonnera, glisse El Annabi.
Deux clientes dont je viens de remettre les caricatures m’ont serré la main. D’autres, c’est carrément la bise. Stop, Mourad ! L’arbitre central réclame faute. Le joueur réplique : li dharourati ahkem (aux impératifs, les jugements respectifs). Merci pour la haute couture, Momo ! Tu ne risques pas de chômer à Paris en tant qu’exégète modéré.
Comment faire, mon frère, je dois subvenir à mes besoins, assister e’chikh ou laadjouz (les parents) à un âge très avancé. Je me suis fixé une priorité : les sauver à tout prix.» Validé ! L’échange de poignées de main vif et chaleureux témoigne de la réussite d’un expatrié aux prises avec les épreuves de la vie. Vingt-deux ans durant qu’il reporte fidèlement ou charge grossièrement les traits de ses modèles sur du Canson A 3, avec un professionnalisme, une acuité visuelle et une rapidité prodigieuses.
Et tenez-vous bien, pas une seule fois il a recourt à la gomme. Son côté attachant et sa verve intarissable désarment les touristes réticents, comme cette élégante Allemande, taillée comme un mikado, qui apprécie son entrain vasodilatateur, sa diplomatie d’instaurer derechef le dialogue déférent, tout en promenant fluidement sa mine de carbone sur le support cellulosé.
(à suivre)

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