Disons les choses crûment. Sans le mouvement populaire qui s’exprime depuis
neuf vendredis d’affilée, ces oligarques convoqués par la justice, qui avaient
un coffre-fort à la place du cœur, auraient continué à faire fructifier
joyeusement leurs affaires. Pourquoi Rebrab, Haddad, les Kouninef et pas les
autres ? se demandent les Algériens. C’est le type de question piège dans
laquelle il ne faut pas verser. Tous ces gens aujourd’hui inculpés par la
justice et tous ceux qui doivent l’être – il n’en manque pas – sont le produit
de ce système politique autoritaire dont le mouvement populaire demande la fin.
Tous ces inculpés ont fait fortune grâce à l’import et aux protections dont ils
jouissaient au sein des appareils d’Etat. Et tant que ce système politique
perdura, il enfantera ce genre d’affairistes. Les quatre frères Kouninef, des
gens discrets, sont en garde à vue. Ils ont certainement des choses à se
reprocher. Mais sans l’appui du clan présidentiel, seraient-ils aujourd’hui à la
tête d’une des plus grosses fortunes du pays ? Ali Haddad, moins discret qu’eux,
a vu trop gros et trop tôt. Sa trop grande proximité avec Saïd Bouteflika lui a
joué un mauvais tour. Les Algériens ont encore en mémoire ces images lamentables
diffusées le 30 juillet 2017 lors des obsèques de Rédha Malek où on le voyait
avec Sidi Saïd entourant Saïd Bouteflika et lui glissant à l’oreille je ne sais
quoi, qui faisait rire ce dernier. Ce jour-là, Abdelmadjid Tebboune, l’infortuné
Premier ministre, qui se trouvait à proximité des trois larrons, et qui s’était
prononcé prématurément, quelques jours avant, en faveur d’une séparation entre
la politique et les affaires, faisait une tête comme ce n’est pas possible. Il
avait compris que la porte de sortie était tout indiquée. Le 15 août, il est
limogé trois mois après avoir été nommé Premier ministre. Même pas le temps de
chauffer son « koursi ». Issad Rebrab est un cas différent. Bien que victime de
pratiques l’empêchant d’investir, ceci expliquant cela, il paie, dit-on, sa
proximité avec le général à la retraite Mohamed Mediene et un affichage trop
voyant avec des chefs d’Etat occidentaux. Mais à la différence des autres
oligarques, Rebrab, qui s’est bâti une image d’investisseur y compris à
l’étranger, dispose d’une certaine sympathie populaire y compris en dehors de la
Kabylie. Et, par les temps qui courent, ça compte, d’autant que contrairement
aux autres oligarques, son nom ne figurait pas dans la « short list » que le
mouvement populaire veut dégager. Et puis il y a les autres. Chakib Khelil, qui
après avoir été accusé dans les affaires Sonatrach, cité dans l’affaire Saipem,
a été réhabilité par Bouteflika, le procureur ayant lancé un mandat d’arrêt
international contre lui a été déchargé du dossier. Amar Ghoul, bien
qu’éclaboussé par l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, n’a pas été convoqué par
la justice parce qu’étant alors ministre en exercice ! Même cas de figure pour
l’ancien ministre Abdeslam Bouchouareb, ami de Saïd Bouteflika, lui aussi
éclaboussé par le scandale des Panama Papers alors que son nom figurait déjà
dans l’affaire Khalifa ! Et que dire de Ammar Saâdani, de Baha Eddine Tliba, ce
« quatrième B » ajouté aux trois autres « B » par le mouvement populaire de
Annaba et que Louisa Hanoune accuse d’avoir « vandalisé et pillé la ville de
Annaba » (TSA du 27/12/15) ? Et puis il y a tous ces pontes du régime Bouteflika
cités dans le procès Khalifa ! Rien ne permet de penser que les inculpations de
ces hommes d’affaires vont calmer les Algériens qui scandent chaque vendredi «
klitou el bled ya serrakine » (vous avez pillé le pays bande de voleurs). Un
slogan derrière lequel, les Algériennes et les Algériens signifient clairement
qu’ils ne veulent plus de ce système politique autoritaire qui a enfanté cette
race d’affairistes. Cela dit, une opération « mains propres» suppose une justice
indépendante du pouvoir politique. C’est trop demander ?
H. Z.
H. Z.