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Rubrique Contribution

ÉCOLE Aqlam Biladi ou la symbiose entre les langues

Finalement, le ministère de l’Education nationale aura tenu son pari. Loin des feux de la rampe médiatique, son département a organisé, tout au long de l’année scolaire 2017-2018 — au niveau des établissements scolaires du pays —, une manifestation culturelle et éducative. Le prix Aqlam Biladi (Aqbil), ou Plumes de mon pays, est dédié à la lecture et l’écriture  créatives auprès des élèves, en dehors du carcan scolaire. 
A l’origine, une  simple idée lancée par la ministre  lors d’une rencontre avec des femmes et des hommes de lettres algériens, à la clôture du Sila 2017. Voilà qu’Aqlam Biladi (Aqbil) verra le jour moins d’une année après. Le projet se concrétisera sur le terrain dans le sillage des activités de la lecture/plaisir initiées en expérimentation dès janvier 2016 et généralisées au primaire en 2018-2019. Le lancement officiel d’Aqbil se fera à partir des cimes du Djurdjura – ou la symbolique de l’envol. C’était lors d’un déplacement ministériel à Aïn-El-Hammam (wilaya de Tizi Ouzou), en décembre 2017. 
Ainsi, chaque mardi et samedi,  une douzaine d’activités sont programmées au sein des Club de création littéraire (CCL). Elles seront animées dans la joie et la convivialité entre enseignants de langues (arabe, tamazight et français) et leurs élèves. Ces derniers sont comblés de voir cette communion entre leurs professeurs. N’est-ce pas là une leçon magistrale que doivent méditer les partisans du monolinguisme exclusiviste ? Et  une belle leçon de solidarité/complémentarité entre ces trois langues ancrées dans le patrimoine culturel de l’Algérie. C’est cela l’école qui réhabilite l’algérianité : école du vivre-ensemble dans l’harmonie et la paix des langues et des cultures. Image surréaliste d’une Algérie réconciliée avec sa diversité/richesse culturelle ? Peut-être ! Mais elle est, depuis 2016, vécue au quotidien de ces clubs de création littéraire qui sont l’émanation des activités de la lecture/plaisir.  Assurément, le succès éclatant des activités de la lecture/plaisir – engouement et enthousiasme des élèves, des enseignants et des parents — ne pouvait que déboucher sur cette belle idée d’Aqbil. Cette manifestation culturelle a vu, dans sa première édition, l’engagement de près de 300 000 élèves habités par le désir d’exprimer leur talent d’écrivains en herbe. Elle s’est clôturée le mardi 6 novembre 2018 à l’Opéra d’Alger lors d’une cérémonie égayée par la présence joyeuse de centaines d’élèves et de leurs parents. Cet évènement convivial a été rehaussé par la présence de personnalités du monde culturel, écrivains, poètes et musiciens. Pas moins de 5 ministres ont accompagné leur collègue de l’Education pour honorer la centaine de lauréats, dans les trois langues et les trois cycles. 
Il y a lieu de signaler que pour Aqlam Biladi le caractère compétition (ou concours) n’a pas été retenu pour des raisons évidentes relevant de la pédagogie de la motivation. L’intitulé «Manifestation culturelle en milieu scolaire» lui a été préféré. La psychopédagogie moderne nous apprend que la compétition en milieu scolaire est aussi synonyme de pression, stress et frustration pour la majorité écrasante des «perdants». D’ailleurs, chacun des 300 000 élèves (des trois cycles) engagés dans cette première édition d’Aqlam Biladi a reçu  une attestation de participation. L’émergence des œuvres sélectionnées dans les trois langues (arabe, tamazight et français) a permis de récompenser leurs auteurs : trois œuvres primées par langue et par cycle (primaire, collège et lycée). 
Que faut-il retenir de cet évènement ? L’impact médiatique indéniable ? Ou les questions de fond qu’il nous renvoie ? Des questions fortement liées au devenir de la culture au sein de notre société, mais aussi de la pédagogie des langues qu’il nous faut impérativement revoir ? Il est évident d’affirmer  que l’école constitue le creuset de formation des futurs acteurs du monde culturel : écrivains, journalistes, artistes ou consommateurs actifs. Ils sont là sur nos bancs d’école les futurs Assia Djebar, Abdelhamid Benhadouga, Rachid Alliche (premier romancier algérien en tamazight) — pour ne citer que ceux-là. Femmes et hommes en devenir et  avides d’ouverture vers les autres cultures via les langues. Une avidité d’ouverture vers l’autre que nous avons touché du doigt lors de visites sur le terrain de cette activité rayonnante qu’est la lecture/plaisir, trois années durant. Constat validé par cet Aqlam Biladi trilingue (arabe, tamazight et français). En attendant que l’anglais rejoigne le peloton.

Historique
Il y a lieu de souligner qu’Aqbil est le prolongement naturel du projet de la lecture/plaisir entamé dès l’année scolaire 2015-2016 en phase-pilote et généralisé depuis septembre 2018 dans les écoles primaires. Espérons que les activités de la lecture/plaisir arriveront dans les collèges et les lycées par la suite. Les élèves et les enseignants de langue de ces deux cycles les attendent avec impatience. En réalité, afin de rendre à César  ce qui appartient à César, c’est Khalida Toumi, ex-ministre de la Culture, qui a eu la présence d’esprit de lancer le projet,  intitulé à l’époque «Promotion de la lecture en milieu scolaire». C’était en 2007. Le département de l’Education nationale n’adhérera à sa proposition qu’en 2010 où une commission mixte MEN/MC sera mise en place. 
Dans sa première mouture, le projet de «Promotion de la lecture en milieu scolaire» n’avait mis en exergue que deux objectifs stratégiques, à savoir  l’économique avec la redynamisation des métiers de la chaîne du livre et le culturel avec le regain de production créatrice chez nos auteurs. Le projet devait voir le jour en 2010-2011, ses grandes lignes tracées avec une tare énorme : le volet pédagogique avait été totalement occulté. En réalité,  le projet  moisira dans les tiroirs du MEN jusqu’à l’arrivée de l’actuelle ministre, en mai 2014. Dorénavant, le cap sera mis sur les aspects pédagogique et éducatif, le ministère de la Culture venant en soutien avec l’accès gratuit aux bibliothèques de wilaya et des dons de livres aux établissements scolaires. Il n’est plus question d’imposer aux élèves tant de livres à lire et à résumer dans des fiches. Imposer, c’est contraindre : pratique antipédagogique, tout comme récompenser matériellement des élèves «primés» et délaisser les autres qui ont participé. Il s’agit de créer des activités attrayantes (celles de la lecture/plaisir notamment) qui motivent tout élève, quel que soit sont statut en classe (excellent ou en difficulté). Des activités animées avec  doigté par l’enseignant et qui suscitent une adhésion spontanée de chacun. De belles réussites ont jalonné les trois années d’expérimentation  de la lecture/plaisir: l’expression orale et écrite de tous les élèves – sans exception — s’est grandement améliorée, à la grande satisfaction des enseignants et des parents. Comme nous le confirme le volumineux courrier envoyé par les acteurs du projet (enseignants, inspectrices, parents et élèves). 
Notons que  l’essentiel des activités de la lecture/plaisir se déroulent à la maison ou en Club de création littéraire (CLL), selon le bon vouloir de l’élève et à des moments qu’il choisit lui-même, sans qu’il soit instruit ou obligé : l’attractivité de ces activités est le plus puissant des stimulants. Cerise sur le gâteau, il constituera sa propre bibliothèque avec les Cahiers magiques qu’il engrangera tout au long de l’année, dessinant la traçabilité de ses lectures. Un cahier magique qui a créé de la magie en classe et à la maison. Une sorte de journal intime avec sa Minute-Livre où il illustre et raconte par écrit, après l’avoir fait oralement en 2 minutes devant ses camarades en classe. 
Y figurera sa Phrase du Jour ; phrase qu’il a aimée dans le livre lu. En psychologie génétique, le besoin d’activité cognitive est inné chez tout enfant : nul besoin de stimulant extérieur (note, classement, prix ou autre). La motivation intrinsèque (en son for intérieur) est la meilleure des voies pour amener l’élève à fournir l’effort nécessaire, à étudier dans la joie, à donner du sens à sa présence à l’école, à saisir la portée éducative de chaque discipline enseignée. Témoignage-phare, celui de ce médecin de Béjaïa : «Mes deux enfants ont délaissé les écrans et me harcèlent pour l’achat de livres à savourer.»  Cette situation familiale est vécue par beaucoup de parents dans d’autres wilayas. Comme quoi, le livre qui s’adresse à la sensibilité et à l’imaginaire de l’enfant  est irremplaçable. Pas le livre au contenu inaccessible à son niveau de compréhension ou réfractaire à son imaginaire/sensibilité comme le sont les livres d’endoctrinement idéologique.

Caravane
Le projet de la lecture/plaisir au primaire étant devenu réalité, des idées ont germé pour donner à ces activités un rayonnement extrascolaire. Ainsi, le MEN a initié un projet-pilote avec son homologue de la Culture au niveau du Centre culturel de Aïn-El-Hammam (ex-Michelet) et de la bibliothèque municipale de la ville. A cet effet, une convention a été signée entre le P/APC et le DE de Tizi Ouzou. Ce dernier a détaché une enseignante de français, bonne trilingue (tamazight, arabe et français), férue de littérature pour enfants et active tout au long de l’expérimentation du projet de la lecture/plaisir (2015 à 2018). Sous sa conduite pédagogique, les activités classiques de la lecture/plaisir et d’autres tout aussi attrayantes emportent l’adhésion des enfants de la ville et des villages environnants. Une ruche bourdonnante d’où s’élèvent les contes joués ou racontés par les élèves dans les trois langues, avec des traductions quasi spontanées d’une langue à une autre. Les autres modes d’expression ne sont pas négligés : expression corporelle, dessin, chants… Des enfants/adolescents qui se livrent au passionnant exercice d’écrivain ? Les ateliers d’écriture créative leur offrent cette opportunité et ils se bousculent au portillon. Métier de journaliste ? Ça  les passionne aussi. Les voilà sillonner les villages pour des reportages, des entretiens ou pour recueillir des contes du terroir qu’ils vont transcrire en langue maternelle et ensuite traduire dans les autres langues. Il est vain  de décrire ce foisonnement d’activités tant elles sont nombreuses et... captivantes pour les enfants/adolescents. Signe révélateur de leur bonheur : ils assiègent leur «ruche» les jours fériés, les horaires extrascolaires et les vacances. Le miel du savoir se récolte à tout moment, pourvu qu’il y ait du pollen et un bon apiculteur. Nos abeilles sont performantes en la matière.
Autre idée devenue réalité : la caravane du Vivre-Livre. Elle est originale mais ô combien pertinente. Ouvrir en une seule caravane des ateliers qui réunissent  toutes les activités possibles qui tournent autour du livre. C'est à Aourir, dans la commune d’Ifigha,  que l'Académie du Vivre-Livre a installé sa première caravane littéraire pour enfants (de 5 à 18 ans). Le panorama est à vous couper le souffle. Ce petit village dont serait originaire Ahmed Oulkadi, du royaume de Koukou, est niché sur une colline placée au centre d'une couronne de montagnes majestueuses. Admirez cette vue panoramique à 360 degrés sur les quatre points cardinaux : le Djurdjura au Sud, le Tamgout au nord ; à l'ouest, le mont Beloua qui surplombe la ville de Tizi-Ouzou en contre-bas et vers l'est, l'Akfadou qui plonge vers la Soummam. Aourir  domine la vallée de l'oued Sebaou avec ses vallons, coteaux et prairies qui déroulent la couleur verte dans toutes ses nuances. Au menu de cette première édition de la caravane littéraire de l'Académie du Vivre-Livre, les enfants se sont jetés, toutes neurones déployés, aux plaisirs ludiques et éducatifs de la lecture et de l'écriture créatives. Deux heures durant, en ce vendredi 23 novembre 2018 et sous l’œil bienveillant d’enseignants volontaires, les salles de l’école primaire du village ont vibré au son des contes récités, joués ou illustrés par les élèves. Des textes qu’ils ont su faire voyager d’une langue à une autre – sans complexe.
Comme quoi, les enfants d’Algérie n’ont rien à envier à leurs pairs des autres pays développés : il suffit de répondre à leur besoin vital de s’exprimer par tous les moyens dont ils disposent : la parole, l’écrit, la danse, le dessin, le théâtre, le chant…. 
Mais loin des cours moyenâgeux et ennuyeux de grammaire descriptive : le verbe, c’est quoi ? Et l’adjectif ? Et l’adverbe ? … Ces inepties d’antan qui perdurent malheureusement dans nos salles de classe. A l’évidence, les projets du MEN – les activités de la lecture/plaisir et Aqlam Biladi et d’autres de la même veine comme les anthologies littéraires à usage scolaire – s’inscrivent dans cette vision moderne de l’école. Il ne reste qu’à leur donner du souffle dans la durée et... dans des esprits adultes qui doivent eux aussi se moderniser. Ainsi les trois langues ancrées dans la société se verront saisies d’une frénésie de cohabitation symbiotique, fructifiant le génie créateur de nos futurs hommes et femmes de lettres. Un Nobel de littérature algérien(ne) dans l’une des trois langues, d’ici 2040 ? Rêvons : il ou elle est sûrement en train de fourbir ses armes dans ces clubs de création littéraire lancés depuis 2015 et généralisés en principe  dès cette année au primaire. Que vive la lecture pour nos enfants !
A. T.

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