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Contribution Chaîne du froid et toxi-infections alimentaires collectives


Par Farouk Zahi
En dépit des messages délivrés par le ministère du Commerce sur écran de la téléphonie mobile, il ne se passe pratiquement pas un jour sans que la presse signale, çà et là, des cas d’intoxication alimentaire collective. Bien intentionnés, ils portent cependant préjudice à l’image  du pays auprès des visiteurs ou résidents occasionnels, déjà écornée par de tragiques épisodes botuliques d’il y a quelque temps. 
La communication sociale, avant d’être une science, est d’abord un art car elle s’adresse à une multitude sociale qui sait faire la différence entre les circonlocutions alambiquées et la platitude d’une évidence mal présentée à l’exemple d’un dessin animé basique montrant une caricature de hérisson recommandant aux enfants de ne pas se baigner dans les barrages. 
Après cette digression, revenons au problème qui nous préoccupe, à savoir cette mirifique chaîne du froid. On incrimine le plus souvent la mauvaise conservation des produits alimentaires, soit par méconnaissance des règles élémentaires, soit par insouciance délibérée, souvent sous-tendue par l’appât du gain. On parle volontiers de rupture de la chaîne du froid. Ce vocable est entré dans le jargon des non-initiés lors de la première campagne nationale de vaccination anti-poliomyélitique de 1972 introduisant la chaîne du froid. Il a fallu, à l’époque, beaucoup de patience et de persévérance pour que le personnel sanitaire du pays en charge de la vaccination appréhende toute la problématique du processus de conservation sécurisée du produit vaccinal. Ce produit biologique fragile est altérable au-dessus de +4°C, ainsi qu’à une température négative, c’est-à-dire à la congélation. 
Le transport posait de sérieux problèmes, la cabine frigorifique n’était pas à la portée de cette opération et les quantités ne la justifiaient pas économiquement. Aussi les colis de vaccins étaient recouverts de neige carbonique par l’Institut Pasteur d’Algérie et livrés aussi rapidement que pouvaient le permettre les moyens de transport utilisés. Stockés en chambre froide ou dans des réfrigérateurs, la livraison aux différentes unités opérationnelles se faisait à l’aide de glacières ou boîtes isothermes, contenant des ice-box. Les unités sanitaires des localités encore dépourvues d’énergie électrique étaient équipées de réfrigérateur à gaz. C’est dire toute l’importance de la logistique mise en place, pour éviter la rupture de cette chaîne du froid. Accolées sur la face des portières des équipements frigorifiques, des étiquettes recommandaient de ne les ouvrir qu’en cas de nécessité absolue. La raison en était évidente, la perte de charge thermique altérerait les produits entreposés. Ce n’est que bien plus tard, que fut introduit le thermomètre «mouchard» ; bandelette polychrome qui renseignait sur la température de l’entreposage. Les coupures prolongées du courant électrique constituaient la phobie des corps techniques et administratifs de l’administration sanitaire. La chaîne du froid alimentaire, quant à elle, est difficilement maîtrisable, de part la multitude d’opérateurs et l’absence de cadre disciplinaire. Les intervenants agissent, chacun à son propre compte. Le facteur moral joue, pour une large part, un rôle déterminant dans la préservation de cette chaîne ; du fabricant du produit dit périssable, au distributeur, au transporteur, au livreur jusqu’au commerçant. Chacun de ces acteurs peut, par son mauvais rôle, créer la tragédie. On peut citer à titre illustratif quelques exemples d’incurie : des transporteurs arrêtent, sans état d’âme, les compresseurs du camion frigorifique par l’arrêt prolongé du moteur du véhicule, pendant tout le temps qu’aura duré la halte. Certains commerçants dégonflent avec une pointe d’aiguille le couvercle du pot de yaourt ou tout autre produit laitier, pour déprimer «l’enflure», la date de péremption «faisant foi».
D’autres positionnent, sciemment, à la baisse le bouton de contrôle du réfrigérateur ou du comptoir frigorifique, afin de réduire la consommation électrique. Parfois c’est carrément l’arrêt de fonctionnement des appareillages pendant les pauses. 
Le seul problème que peut cerner le consommateur, qui est partie prenante et responsable de la préservation de sa santé, réside dans sa prise de conscience, à l’effet de se départir de cette insouciance, qu’il manifeste en achetant délibérément des produits périssables exposés à l’air libre. 
La consommation à l’aveugle des laitages,  fromages, œufs et viande hachée, notamment, induit des risques, parfois mortels. Les fast-foods (karantita, pizzas, mayonnaises) et autres pâtisseries non régis par une hygiène drastique constituent les meilleurs incubateurs microbiens.  Il est évident qu’il n’y a pas que la chaîne du froid qui est à remettre en cause, ce sont souvent l’état dans lequel  sont tenus les ustensiles de cuisine ainsi que l’état de souillure des mains du manipulateur. 
Une main nue dégoulinante d’huile de conservation de thon allant d’une pizza à l’autre ne peut être que porteuse de périls. L’absence d’eau courante, les tenues de travail souillées et l’état de santé des mains des «marmitons» peuvent être le point de départ des toxi-infections alimentaires dites collectives. Les mêmes causes créent les mêmes effets dans les foyers. 
C’est ainsi que des fêtes de mariages ou d’anniversaires se terminent, lamentablement, dans les services hospitaliers, avec le tableau dégradant qu’affligent les souillures humaines. Les rouleuses de couscous sont les premières à incriminer. Le panaris du doigt, les mains souillées par la toilette intime et non lavées fortement à l’eau et au savon, les multiples manipulations participent à l’ensemencement des germes microbiens. 
La conservation prolongée du couscous et des viandes bouillies dans un endroit «chauffé» par la tabouna (lessiveuse) est le meilleur moyen de faire proliférer ces micro-organismes. La hausse de température est le facteur le plus favorable pour l’incubation. 
Il est rare  de constater des incidents après l’ingestion d’aliments juste après leur cuisson, sous réserve que le produit de préparation ne soit pas déjà avarié. Le sandwich  frites-omelette-viande hachée est de loin le plus dangereux. Ces composants sont tous susceptibles d’être contaminés. 
L’utilisation plusieurs fois répétée de l’huile de friture en fait une denrée presque frelatée. Que dire du «cachir», dont les jeunes  raffolent pendant leurs escapades estivales et dont la mauvaise qualité est dissimulée par un fort épiçage. Les cas de botulisme de sinistre mémoire ne sont pas faits pour rassurer le consommateur sur sa sécurité sanitaire et mise constamment en danger par les boucaniers de l’agroalimentaire. La pâtisserie participe pour une grande part aux intoxications collectives, de par son caractère festif et la dangerosité de la crème dite fraîche. D’ordre décoratif, cette dernière est appliquée sur les tartes, à l’aide d’un boyau en tissu à la propreté douteuse muni d’un embout métallique. La texture même de cet instrument est sujette à souillure. Les nouvelles habitudes alimentaires de la famille, néfastes déjà par leur côté hypercalorique, conduisent à de nouvelles mœurs de consommation, dont elle ne maîtrise pas encore les exigences techniques. La bonne vieille cuisine de nos grands-mères nous a rarement conduits à l’hôpital. 
En ce qui concerne le réseau d’approvisionnement en eau potable, mis à part les vices de réalisation, qui sont de la responsabilité du promoteur du projet (inexistence de clôture autour du réservoir, absence de vannes d’évacuation et parfois même de javellisateur), le gestionnaire de l’ouvrage, que ce soit la collectivité communale ou l’entreprise en charge de la gestion de l’eau, ne consacre pas assez de moyens à l’entretien périodique ; cet entretien ne nécessitant pas souvent de gros moyens financiers et humains. Le récente flambée épidémique de choléra vient rappeler, si besoin, l’impérieuse nécessité de lutter contre la saleté des mains et la dégradation de notre environnement par l’observance des règles d’hygiène individuelles et collectives.
F. Z.

 

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