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Rubrique Contribution

Contribution Hommage à Benabdelmalek Ramdane et ses compagnons

Dans diverses communications, l’historien Fouad Soufi a déploré le peu de recherches relatives à l’histoire du 1er Novembre 1954, comme évènement fondateur à l’origine du déclenchement de la guerre de Libération nationale, à l’échelle de tout le territoire algérien.
Il est vrai que la connaissance des évènements de cette période est restée prisonnière d’une historiographie rivée principalement à la nécessité de rétablir l’ordre et la sécurité dans les Aurès d’abord, en raison de l’importance des attaques perpétrées dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, et du nombre de victimes. La Kabylie et l’Algérois viennent en second lieu. L’Oranie n’est pas en reste, contrairement à un préjugé infondé(1), puisé dans les communiqués officiels, adressés à l’opinion des Français d’Algérie, pour les rassurer.
La dépendance de l’écriture de l’histoire, à partir des archives écrites ou orales, ne dispense pas de se poser des questions sur les réalités sociopolitiques qui ont prévalu et qui ont dicté aux hommes du moment le passage à la lutte armée.
Se contenter de reproduire les gros titres des journaux contemporains de l’évènement est une autre manière d’en réduire la portée réelle et d’occulter ce pourquoi les premiers insurgés de Novembre 1954 ont engagé le combat ou comment «la prise de conscience collective» a mûri, au point de se cristalliser dans la définition d’un programme commun d’actions exécutées dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, au nom du droit à l’insurrection.
Dans cette modeste contribution, je propose aux lecteurs une courte présentation du maquis du Dahra, où de nombreuses actions ont eu lieu. Elles furent menées, au nom du Front de libération nationale (FLN) naissant, par des groupes d’Algériens, acquis à l’idée d’indépendance, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, principalement sur le territoire de la commune mixte de Cassaigne/Sidi-Ali.
Le Dahra dépendait de la Zone 5/l’Oranie placée sous la direction de Larbi Ben M’hidi. Benabdelmalek Ramdane, un de ses adjoints qui a organisé et dirigé les attaques dans la région de Cassaigne/Sidi Ali (Mostaganem), est tombé au champ d’honneur le 4 novembre 1954, à la suite d’un accrochage avec les forces de l’ordre françaises. Il est l’un des premiers martyrs de la révolution algérienne.

Le Dahra, terre de résistance
Le choix de l’implantation du maquis dans le Dahra ne s’est pas fait au hasard. Ce pays montagneux, situé à l’est de la ville de Mostaganem, s’étire de l’embouchure du Chelif au mont du Chenoua, à l’ouest. Au nord, les monts du Dahra longent la mer Méditerranée ; au sud, ils sont limités par la vallée du Chelif. «Par son étendue, le Dahra occupe la troisième place, après les Aurès et la Kabylie.»
Au cours du XIXe siècle, les populations de cette région ont opposé une vive résistance aux troupes coloniales françaises.
Le triste souvenir des «enfumades du Dahra» survenues au mois de juin 1845 est encore vivace dans la mémoire des descendants de cette région. Il est associé au combat que mena Mohammed Ben Abdallah, plus connu sous le nom de Boumaza. Le général Pélissier est l’auteur du massacre de la grotte de Nekmaria, connue sous le nom de Ghar El Frachich où la tribu des Ouled Riah fut exterminée. De l’avis de ses pairs, il était coupable «d’un acte déplorable, d’un meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi vaincu, sur un ennemi sans défense». Tel est le sens qu’il faut accorder à l’entreprise de la pacification, pour ouvrir la voie à l’établissement de la domination française par le recours à la violence et aux spoliations. La traduction de cette politique se concrétisa par le cantonnement ou resserrement des populations de la région sur des terres moins fertiles et la création de villages de colonisation.
A la fin du XIXe siècle, 6 centres de colonisation sont créés sur le territoire de la commune mixte de Cassaigne. Ils disposent de plus de 1200 hectares prélevés sur les terres du douar Chouachi. Ce sont Bosquet/Hadjadj, Cassaigne/Sidi-Ali, Lapasset/Sidi Lakhdar, Ouillis/Ramdane Benabdelmalek, Picard/Khadra, Pont du Chelif/Sidi Belattar.
A la veille du déclenchement de la guerre de Libération nationale, la commune mixte de Cassaigne/Sidi Ali a une population totale de plus de 68 000 habitants dont 66 800 sont Algériens. La majorité de la population rurale vit de l’exploitation de lopins de terre ou trouve à s’employer dans les fermes coloniales. La proximité de la ville de Mostaganem offre quelques débouchés au port mais le chômage est grand et la paupérisation de la population est quasi générale.

Le Dahra, lieu d’entraînement pour les militants de l’OS
A la faveur de la Seconde Guerre mondiale et de la rapide évolution du mouvement national, la diffusion des idées politiques pénètrent plus massivement les campagnes algériennes. L’idée de la libération de l’Algérie du joug colonial fait son chemin et imprègne l’imaginaire collectif.
Aussi, l’adhésion aux partis nés durant cette période a-t-elle progressé. On enregistre ainsi entre 300 à 400 affiliés ou sympathisants au PPA-MTLD pour le seul douar Chouachi. Les échos de la vie politique dans la ville de Mostaganem qui abrite toutes les tendances nationalistes parviennent dans ce milieu rural et contribuent à encourager une plus grande mobilisation des esprits.
En raison de ses caractéristiques géographiques, les monts du Dahra furent choisis par les chefs de l’Organisation Spéciale (OS), créée en février 1947, comme lieu de préparation à la formation paramilitaire. C’est ainsi qu’au mois d’août 1948, les militants de l’OS s’adonnent à des exercices d’endurance en traversant tout le Dahra, de Novi/Sidi Ghilès (Cherchell) aux environs de Aïn Defla, dans la vallée du Chelif.
Au printemps 1950, l’organisation de l’OS fut découverte par la police française qui procéda à de nombreuses arrestations dans le milieu de ses militants.
Le procès des «47» de l’OS, qui eut lieu à Oran, le 6 mai 1951(2), révéla à l’opinion publique leur existence et leur projet. Parmi eux figurent Ahmed Zabana, Hadj Ben Alla et Hamou Boutlelis. Les conséquences de cette crise entraînent la dissolution de l’OS prononcée par la direction du parti. Entre sa dissolution et sa reconduction (2e congrès du MTLD, avril 1953), les militants de l’OS qui ont réussi à échapper à la police entrent dans la clandestinité totale.
C’est dans ce contexte que de nombreux militants de l’OS, originaires du Constantinois, trouvent refuge dans l’Oranie. C’est le cas des militants Benabdelmalek Ramdane de Constantine, de Abdelhafid Boussouf de Mila, Larbi Ben M’hidi de Biskra, Barkat Slimane de Annaba/Bône, Didouche Mourad d’Alger, Amar Ghazali de Aïn Beïda... S’ils parviennent à vivre dans la clandestinité totale, c’est qu’ils trouvent à l’échelle locale, auprès des militants du parti PPA-MTLD de l’Oranie, toute l’aide nécessaire dont ils ont besoin. Il existait dans les principaux centres urbains de l’Oranie : Oran, Mostaganem, Tlemcen, Aïn Témouchent, Mascara, Relizane, Maghnia, Nedroma, Palikao/Tighennif, Saïda, Tiaret, des sections du parti. Durant la décennie 1945-1954, le PPA-MTLD essaima dans l’arrière-pays des villes et s’implanta dans les centres périphériques.
Cette lente pénétration du parti dans le monde des campagnes allait, non seulement élargir sa base sociale, mais constituera, au moment décisif, le creuset de la résistance patriotique. Ainsi la commune mixte de Cassaigne/Sidi-Ali abritait une grosse section du PPA-MTLD, comprenant quelque 400 adhérents répartis essentiellement dans les douars Chouachi, Belhadj, à Ouillis, Bosquet/Hadjdadj, à Naimia, fraction du douar M’zila. Il est évident que la proximité avec Mostaganem où la section était particulièrement active, exerçait une réelle influence dans tout l’arrondissement.
Cette influence était renforcée par l’emprise religieuse à Cassaigne/Sidi-Ali du cheikh Ziane Mohamed Abdelbaki qui ne ménageait pas son soutien au PPA-MTLD. Parmi les militants du PPA-MTLD de la région de Sidi-Ali/Cassaigne émergent les noms de plusieurs militants qui ont su créer une dynamique dans ce milieu rural, placé sous haute surveillance de l’administrateur de la commune mixte, assisté des caïds et des gardes champêtres. Ce sont, parmi tant d’autres, Mohamed Bechlaghem Ould Ketroussi, originaire de Chouachi et qui dirigeait la médersa «L’éducatrice» d’obédience PPA, à Mostaganem, Bordji Amar, Benamane Benothmane (il avait été placé en résidence surveillée à Aflou, en 1943), Sahraoui Abdelkader.

A la veille du 1er Novembre 1954
Dans l’état actuel des connaissances, la documentation est très fragmentaire et ne permet pas de donner un aperçu exact ni de l’implantation(3) réelle du parti ni des préparatifs au passage à la lutte armée.
La crise du PPA-MTLD jette le désarroi dans les rangs : cadres et militants de base sont divisés entre messalistes et centralistes. La reconduction de l’OS, à l’issue du second congrès du MTLD, au mois d’avril 1953, et la création éphémère du CRUA, au mois de mars 1954, ne parvient pas à ressouder les rangs du parti déchiré mais ouvrit la voie au rassemblement des anciens de l’OS dont quelques- uns venaient d’être libérés de prison, à l’exemple de Hadj Ben Alla, Ahmed Zabana, Ouadah Benaouda, Guedifi Benali, Aït Zaouche Mammar(4).
Au lendemain de la réunion des «22» (juin 1954), quatre de ses membres se retrouvent à la tête de l’organisation de l’insurrection, au niveau de la Zone 5 qui recouvre l’Oranie.
Ce sont Hadj Ben Alla, Larbi Ben M’hidi, Abdelhafid Boussouf et Benebdelmalek Ramdane. Tous sont des professionnels du parti et ont en partage l’expérience acquise dans les rangs de l’OS. Avec ses compagnons, Larbi Ben M’hidi, membre de la direction de la Révolution, s’attela à mettre sur pied, en un temps extrêmement cours, une organisation en mesure de déclencher l’insurrection, une fois la date fixée.
Selon les rares témoignages, il échut à Benabdelmalek Ramdane de préparer les groupes du Dahra. Ses contacts sont Amar Bordji, Mohamed Belhamiti, Douar Miloud, Sahraoui Abdelkader. Ces pionniers de la Révolution sont des enfants du pays. Tous sont des militants du MTLD qui ont pris leurs distances par rapport aux tensions qui déchirent le parti. C’est avec eux que Benabdelmalek procède à la désignation «des groupes de choc» et qu’il décide des actions à exécuter.
Au préalable, dès le mois de septembre, ils se rencontrent régulièrement, plus d’une fois, à Oran, à Mostaganem, El Hachem(5) et dans les différents lieux boisés du Dahra : les forêts de Sidi Youcef, Sidi Slimane (Zentis), Ouled Arbi. Selon Mohamed Benhamiti, dit Bendehiba, le PC de Benabdelmalek Ramdane fut établi au djebel Chorfa, au douar Achaâcha.
Le 31 octobre 1954, les hommes sont réunis à Aïn Abid, ils reçoivent les dernières instructions concernant les actions à mener. Tous ne disposent pas d’armes à feu, mais ils sont déterminés à déclencher la lutte armée, pour la libération de l’Algérie.

Le 1er Novembre 1954 dans la région de Cassaigne/Sidi-Ali
Plusieurs actions ont ciblé des fermes coloniales dont le sabotage du transformateur électrique et des lignes téléphoniques, ainsi que la gendarmerie de Cassaigne/Sidi-Ali. Au cours ce cette nuit, vers 1h15, des groupes de partisans pénètrent dans la ferme Monsenegro, située non loin de Ouillis. Le gérant de la ferme voisine, Mira Alexandre, est alerté par le bruit du portail de la ferme Monsenegro.
Il reconnaît Hamiti Affif et Kassous Ahmed. Le passage inattendu d’une voiture, conduite par Jean-François Mendez, accompagné de Laurent Francois(6), provoque un tir de coups de feu, dont la responsabilité revient à Douair Miloud. Ayant entendu l’appel au secours du gérant, les deux jeunes gens se dirigent vers la gendarmerie de Cassaigne. Là, pour la seconde fois, devant la porte restée fermée de la gendarmerie, ils essuient plusieurs coups de feu, tirés par Abdelkader Sahraoui qui atteignent mortellement Laurent Francois.
L’attaque de la gendarmerie échoue pour plusieurs raisons. L’arrivée de la voiture de Mendez et Laurent surprit le groupe de Sahraoui qui s’empressa de tirer sans se rendre compte que c’étaient des civils. Ceux-ci venaient donner l’alerte à la gendarmerie. «Ils tirent sur la cloche pour réveiller les gendarmes.» La présence fortuite de Mendez et Laurent, et les coups de feu décident de la retraite des hommes de Belhamiti et de Sahraoui. Par prudence, ils renoncent à s’introduire à l’intérieur de la caserne et à s’emparer de l’armurerie, alors qu’ils avaient commencé à couper les barreaux d’une des fenêtres de la façade ouest du bâtiment.
Malgré les appels au secours de Mendez, la porte de la gendarmerie resta close. Il dut se rendre vers le centre de Cassaigne pour alerter les gardes de nuit, l’administrateur adjoint de la commune et le docteur Gibert. Tous ensemble, ils se rendent à la caserne de la gendarmerie où les premiers soins sont donnés à François Laurent, blessé grièvement. L’autre cause de l’échec est liée au fait que le sabotage du transformateur électrique situé au centre de Ouillis a été empêché, à la suite de l’intervention du garde de nuit Megheni Abdallah.
La plongée de la région du Dahra dans une totale obscurité aurait été plus propice à l’attaque de la gendarmerie. Mais seules les coupures des lignes téléphoniques(7), à différents endroits, ont isolé la région du Dahra de la ville de Mostaganem.
Pratiquement, le même scénario se reproduisit à la ferme de Jeanson, située à Bosquet/Hadjadj. Le garde de nuit, Boutlelis Ahmed, alerté par les aboiements de son chien, se retrouva en présence de cinq hommes. Attaqué, le garde se défend et tire sur ses agresseurs deux coups de feu. Enfin, les attaquants des deux fermes ont été reconnus et leur signalement fourni aux gendarmes.
Au matin du 1er Novembre 1954, le Dahra se réveille dans une atmosphère de guerre. Le préfet Lambert, informé successivement de la découverte du cadavre du chauffeur de taxi Samuel Azoulay, puis de l’attaque de la gendarmerie de Cassaigne, prend les mesures d’urgence, en mobilisant toutes les forces de l’ordre disponibles : troupes, gendarmerie, police.
Des renforts sont spécialement envoyés à Cassaigne où les premiers renseignements réunis ont permis d’identifier les auteurs des différentes actions. Aussitôt les recherches commencent en vue de leur arrestation. On traque ceux qui furent reconnus, mais également les militants du MTLD et ceux qui possèdent une arme de guerre. Le 2 novembre 1954, les gendarmes procèdent à l’arrestation de 7 hommes. Parmi eux, les responsables de l’attaque de la gendarmerie (Abdelkader Sahraoui Ould Mihoub et Mohamed Belhamiti dit Bendehiba). Les jours suivants, les arrestations continuent au gré des enquêtes, voire des dénonciations.
Le jeudi 4 novembre 1954, un ratissage est organisé au nord de Bosquet/Hadjdadj, dans la forêt de Ouled Sidi Larbi. Au cours de l’accrochage, dans le ravin de l’oued El-Abid, Benabdelmalek Ramdane, «Si Abdallah», tombe au champ d’honneur tandis que Miloud Douair est gravement blessé. La Révolution venait de perdre l’un de ses fondateurs. Il était âgé de 28 ans.
A la date du 18 novembre 1954, le rapport de la gendarmerie signale l’arrestation de 58 hommes qui sont immédiatement placés sous mandat de dépôt à Mostaganem, tandis que 11 autres sont activement recherchés. Parmi eux, Amar Bordji, considéré comme le responsable régional.
Celui-ci mourra en martyr, les armes à la main, le 22 décembre 1954. Sa mort, rapportée en première page de L’Echo d’Oran triomphalement, ne met pas fin au «terrorisme» car le déclenchement de l’insurrection n’est pas circonscrit à cette seule région. Il est étendu à l’ensemble des régions de l’Algérie et au niveau de l’Oranie, des foyers insurrectionnels se sont déclarés à Oran, dans la région de Turgot/Terga et Saint-Lucien/Zahana.
Un groupe de partisans dirigé par Ali Cherif Cheriet s’apprête à attaquer la caserne d’Eckmühl dans le but de s’emparer des armes et munitions. L’opération s’acheva par un revers mais fit une victime civile, en la personne du chauffeur de taxi, Samuel Azoulay. Le second objectif fut confié au groupe dirigé par Ahmed Zabana qui devait allumer un incendie à la base aérienne de Lartigue/Tafraoui. Il fut ajourné en raison de la défection du groupe de protection, placé sous les ordres de Abdallah Sotra.

Le groupe de Ouaddah Benaouda
Mardi 3 novembre, non loin des grottes de la plage Sidi Djelloul(8)/Terga, le groupe dirigé par Ouaddah Benaouda dit «Si Ahmed» attaque des gendarmes et des gardes champêtres (le garde champêtre Emile Peyre est blessé). Ce groupe dispose de 15 hommes répartis en 3 sous-groupes, placés, respectivement, sous les ordres de Kouini Abdelkader, dit Naceur, Oussaâd Salah et Berraho Kada, dit «l’horloger».
La riposte des forces de l’ordre coloniales fut un vaste ratissage qui se continua toute la nuit du 3 au 4 novembre, grâce aux renforts venus de Sidi Bel-Abbès, Rio Salado/el-Malah, Aïn Témouchent et Oran. Il aboutit à l’arrestation de Berraho, blessé, et de Kerarma Benaouda et Benbouha Habib, dit «Bouha», Yahia Ben Lakhal, Belhadj Mohamed, dit «Hamou», Bengana Salah et leur chef Ouaddah.
Après les interrogatoires à la gendarmerie de Rio Salado/El-Malah, la police découvre l’importance de l’organisation de ces partisans originaires de Rio Salado et de Aïn Témouchent. Ces «bandits», comme les désignent la police et la presse, obéissent aux ordres de leur chef Hadj Ben Alla. Ils ont pris connaissance de la proclamation du FLN et l’appel de l’ALN et sont donc acquis à la lutte armée en vue de la libération de l’Algérie de la domination française.

Le groupe de Ahmed Zabana de Saint-Lucien/Zahana :
«les libérateurs de l’Algérie(9)»

Le garde forestier François Braun est tué à la maison cantonnière située au lieu-dit «La Mare d’eau» (entre Saint- Lucien/Zahana et Oggaz), lors d’une attaque menée par Zabana et ses compagnons au soir du 4 novembre 1954. Ils récupèrent un fusil de chasse, une mitraillette et un revolver.
Aussitôt, les recherches sont lancées par la police et la gendarmerie françaises. Elles sont facilitées par les informations détenues par la PRG(10) depuis la fin du mois d’octobre 1954. Le groupe de Zabana était-il infiltré ? Aussi les recherches furent-elles orientées immédiatement du côté de la forêt de Moulay Ismaël (région de Oued Tlélat et Sig). Une compagnie de zouaves de la caserne d’Eckmuhl arrive en renfort pour prêter main-forte aux forces locales. Le 8 novembre 1954, la grotte Ghar Boudjlida (à 3 km d’El-Gaâda) est encerclée. A l’issue d’échanges de coups de feu, Zabana, Abdallah Fettah et Mohamed Mechraoui sont grièvement blessés tandis que Brahimi Abdelkader tombe au champ d’honneur. La fouille de la grotte permet la récupération de nombreux documents dont des manuels techniques (cours d’électricité), 7 cartes d’état-major de la région, des règlements de manœuvre de l’artillerie, un aide-mémoire des Forces françaises libres (FFL)(11).
Les interrogatoires permettent de reconstituer, à peu de choses près, les groupes des insurgés de novembre 1954, d’identifier les principaux responsables dont beaucoup étaient affiliés à l’OS.
On repère les lieux où ils tenaient leurs réunions. On apprend alors, à la lecture des bulletins de renseignement quotidiens, que l’Oranie est réellement en effervescence, sous la direction de Larbi Ben M’hidi, Hadj Ben Alla, Houari Souiyah, Abdelhafid Boussouf… Des coupures de lignes téléphoniques, des pierres placées sur les rails, des incendies de dépôts de liège (Hafir, CM Sebdou), des distributions de tracts du FLN sont signalés ici et là. Ils se poursuivent au lendemain du 1er Novembre 1954.
En conclusion, l’histoire de cette période commence à peine à être étudiée, elle n’a pas encore livré tous ses secrets. On aurait tort de croire que cette histoire se résume aux seules tentatives d’attaques dont la plupart ont échoué(12) et à la longue liste de l’arrestation des premiers insurgés ou nationalistes figurant dans les fichiers de la police française. Une telle conjecture est erronée à double titre…
Du côté des autorités françaises, bien qu’elles aient pris connaissance de la proclamation du FLN, elles se sont complues à ignorer la question de l’indépendance, confondant les insurgés de novembre 1954 avec des malfaiteurs, des fauteurs de troubles ou des bandits. S’adressant aux maires du département, le 5 novembre 1954, le préfet Lambert d’Oran n’hésite pas à déclarer : «Ces actes de banditisme sont le fait d’individus isolés.»
Pourtant, dans les documents récupérés lors de l’arrestation de Zabana, la police trouve la lettre qu’il n’a pas eu le temps d’envoyer à ses parents et où il leur déclare : «j’ai choisi le sacrifice de ma vie pour l’indépendance de ma patrie.» Et les Algériens, qu’en pensent-ils ? Sont-ils tous pour l’ordre colonial ? Sont-ils sensibles aux prémices de la guerre qui commence ? Ont-ils conscience du tournant qui se profile ?
Les rumeurs les plus contradictoires sont rapportées par les indicateurs de la police. Entre ceux qui sont dans l’expectative sont signalés ceux qui invitent leurs compatriotes «à faire quelque chose, tout de suite» (à Ghazaouet), alors que certains appellent, ouvertement, la population de Kristel «à se joindre aux forces de la libération». En fait, en l’absence de canaux d’expression, c’est la rumeur qui sert de baromètre pour apprécier l’état d’esprit des Algériens ou du moins leurs inquiétudes. Au crépuscule du 5 novembre 1954, un jeune à Tlemcen raconte que «les journaux ont annoncé que lorsque le ciel sera rougeâtre, la guerre entre musulmans et Français éclaterait».
Quant aux nouvelles des Aurès, elles sont amplifiées à souhait. Leur réception conforte l’horizon des possibles et les attentes collectives. A la lumière de ces quelques fragments, l’évènement prend déjà un tout autre sens.
C’est dire que si «l’ère de la commémoration» de l’évènement est nécessaire, afin que nul n’oublie, sa mise en perspective n’est possible que s’il est connecté à «une histoire, mais aussi à une géographie culturelle et sociale» qui reste à faire.
O. S. T.

1) «L’Oranie, dont les principaux chefs viennent du Constantinois, a des moyens limités….», écrit Guy Pervillé dans Atlas de la guerre d’Algérie, publié en 2003, aux éditions Autrement. Faut-il rappeler que le PPA-MTLD regroupait, dans les années 1950, quelque 20 000 militants et 18 000 adhérents et sympathisants répartis à travers tout le pays. Pour ne citer que l’Oranie, des sections du PPA-MTLD existaient à Oran, Tlemcen, Mostaganem, Aïn-Témouchent, Mascara, Saïda, Tiaret, Relizane, Chlef/Orléansville, Ghazaouet, El-Bayadh/Géryville, Béchar. Sans compter les sections de l’UDMA, du PCA et des cercles culturels relevant de l’Association des Ulémas musulmans algériens, qui ont contribué à tisser les fils d’une identité nationale…
2) Ils sont suivis d’autres procès, celui des «56» à Blida, des «121» à Annaba/Bône et des «27» à Béjaïa/Bougie.
3) Si l’organisation du parti est connue, la composition humaine l’est beaucoup moins, au vu de l’instabilité due aux arrestations et à la destruction des documents. Les seules données que la police française fournit dans ses propres archives ne sont pas toujours fiables. Dues aux informateurs et autres indicateurs, elles exigent d’être lues avec beaucoup de précaution.
4) Tous les noms cités ont fait partie du groupe des militants de l’OS, arrêtés au printemps 1950. Ils furent condamnés à trois ans de prison et trois ans d’interdiction de séjour.
5) Il relève aujourd’hui de la commune Sayada, ex Pélissier, non loin de Mostaganem. El-Hachem était un lieu de passage obligé entre Mostaganem et le Dahra.
6) Tous deux revenaient de Mostaganem et rentraient à Picard. François Laurent est un civil, il n’appartient pas à la brigade de la gendarmerie comme le prétend Mohamed Belhamiti.
7) Rapport gendarmerie Mostaganem, 3 novembre 1954, ANOM, département Oran//159
8) Au lieu-dit Camerata
9) Titre rapporté par l’Echo d’Oran du 6 novembre 1954.
10) Anom, département d’Oran, //159, rapport PRG du 9 novembre 1954.
11) Les FFL représentent les forces armées ralliées à la France Libre dirigée par le général De Gaulle.
12) Les actions menées contre les casernes à Batna, Blida, Oran, à Cassaigne ont toutes échoué.

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