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Rubrique Contribution

ÉDUCATION RELIGIEUSE Le syndrome norvégien

Vu sur une chaîne algérienne de TV privée ce mardi 30 octobre 2018, un débat entre M. Khaled Ahmed, président de l’Association nationale des associations de parents d’élèves (Anape) et un enseignant d’éducation islamique (EI) membre d’une coordination non agréée et activant sous la tutelle d’un syndicat du secteur. A la pondération et au comportement sage de M. Khaled, nous avons assisté, médusés, à une avalanche verbale de son contradicteur : tout en colère haineuse et avec des cris à la limite du hurlement. 
Il ira même jusqu’à vouloir discréditer son interlocuteur, au mépris du respect qu’il doit à une personne plus âgée que lui. Cette pratique médiatique (hurler pour discréditer)  est très prisée par les wahhabistes quand ils passent sur les plateaux TV. Et lors de cet exercice, cet enseignant sera encouragé, il faut le souligner, par l’animateur de l’émission. 
Plus grave, emporté par sa colère, il lancera un appel à ses collègues pour se mobiliser afin de dénoncer ce qu’il qualifie de «dérive de la part de la responsable du ministère». 
En guise de «dérive ministérielle», il lancera à la cantonade une intox (fausse information) où il prétend que  la ministre a traité le collectif d’enseignants «d’association de malfaiteurs». Chose inimaginable et insensée quand on sait qu’il s’agit là d’un chef d’inculpation (l’association de malfaiteurs) prévu par des articles du code pénal et que seul un homme de loi, avocat, juge ou procureur de la République peut qualifier de tel. Jamais le plaignant ! Il est vrai que dans une société dévitalisée intellectuellement «plus le mensonge est gros, plus ça passe».
Le téléspectateur s’attendait à un débat de fond sur la pédagogie ; les méthodes d’enseignement, de sa discipline notamment ; la formation des enseignants ; les rythmes scolaires, voire sur les conditions matérielles où évoluent nos élèves. Cette attente était légitime au vu de la présence d’un enseignant, homme de terrain. Oh que non ! Selon la vision de nos deux compères, le journaliste et l’enseignant d’EI, ce sont là des thèmes  mineurs qui ne méritent pas 52 minutes de débats. Ces sujets, au demeurant décisifs dans toute politique éducative, ne pèsent pas lourd devant l’urgence déclarée, et ce, au nom du peuple algérien – dixit l’animateur et l’enseignant d’EI. Et cette urgence, la voilà : pourquoi l’absence de la bismallah (au nom de Dieu) dans les manuels scolaires  et les dangers de dépravation culturelle – comprendre occidentalisation — encourus par les enfants d’Algérie ? 

Rappel
Pour les non-initiés, il y a lieu de revenir sur l’historique de la discipline scolaire dénommée actuellement éducation islamique (EI). Cette dénomination est nouvelle, puisqu’à l’origine – de 1963 à 1990 –, elle portait l’intitulé suivant : éducation civique morale et religieuse (ECMR). Dans le sillage de l’avènement d’un courant politique en charge de la manipulation/instrumentalisation des sentiments religieux des Algériens, l’opportunisme et la bigoterie envahirent et la société et certaines institutions de l’Etat dont le ministère de l’Education nationale. Adoubés par les ministres de l’époque, les pédagogues officiels, pour être dans l’air du temps, crurent bon de retourner la veste en supprimant d’un trait de plume l’ECMR et la remplacer par l’EI. Ainsi, au début des années 1990, seront revus de fond en comble et le programme et les contenus des manuels de l’ECMR pour laisser place à ceux dédiés à  l’EI. 
Dans les nouveaux manuels, on verra fleurir des scènes d’horreur pour terroriser des enfants, à peine âgés de six ans : les «supplices de la tombe», le rituel de «la toilette des morts» et d’autres. Du Saint Coran, les élèves n’auront qu’une seule consigne : la torture d’une mémorisation (parcœurisme) de longues sourates inaccessibles à leur niveau de compréhension. Les manuels et les cahiers des élèves seront parsemés de hadiths, parmi les plus rigoristes. 
En réalité, c’est l’idéologie du wahhabisme qui sera inoculée à des millions de jeunes Algériens. L’adjectif «islamique» accolé à l’éducation n’étant qu’un leurre pour attirer les faveurs de l’opinion publique. Entre l’ECMR et l’EI, il y a un fossé idéologique.
 D’un côté, celui de la transmission des valeurs humanistes prônées par le Saint Coran : tolérance, respect d’autrui, ouverture culturelle, amour de la science…. A l’opposé, il y a  le formatage idéologique (wahhabiste) via des hadiths, sujets à caution mais choisis à dessein et qui , au demeurant, semblent plaire à cet enseignant. Concernant la bismallah, avant les années 1990, elle n’a jamais existé dans les manuels scolaires, toutes disciplines confondues, excepté celui de l’ECMR. Au remplacement de cette dernière par l’EI (année 1990), cette formule coranique sera introduite dans les manuels — y compris dans les disciplines profanes — mais aussi dans sa présentation écrite au tableau à chaque leçon du jour (dans toutes les disciplines). Elle est même imposée à tout élève interrogé : il doit impérativement introduire sa réponse de maths ou de physique ou autres par la bismallah. 
Dans l’ambiance de l’époque (années 1990) et encore davantage de nos jours, il est de bon ton d’exhiber son passeport wahhabiste. Les signes ostentatoires sont importés du golfe Arabique : tenue vestimentaire, séances de prière collective menée par l’enseignant ou le directeur/imam, et ce, dans la cour ou dans les salles de classe. Des moments de défoulement joyeux pour des écoliers qui ne comprennent rien à ce rite extra-scolaire. Dans certaines écoles privées notamment, on va plus loin : on leur apprend à jouer du muezzin, pour l’appel à la prière, du dhor ou d’el assar.
Cette débauche de tartufferie religieuse  gangrène  l’école algérienne depuis trois ou quatre décennies. Une gangrène qui a étouffé l’esprit critique et créatif de générations d’élèves algériens, tout en les éloignant de la pensée rationnelle, des sciences, de la philosophie et de l’algérianité, cet enracinement identitaire qui seul peut nous sauver de l’acculturation/déculturation. On ne peut s’empêcher de reprendre Nour-Eddine Boukrouh, observateur avisé de la société algérienne. 
L’intellectuel écrit : «… C’est ainsi que des individus sans formation théologique se sont imposés comme des imams écoutés dans leurs quartiers. Vidé de sa spiritualité et de son potentiel humaniste, l’islam est ainsi détourné pour un usage social permettant d’acquérir à bon marché de la crédibilité et de l’autorité. La sous-culture religieuse qui s’est propagée dans la société n’est pas destinée à encourager la piété, la spiritualité, et n’accompagne pas des comportements puritains. Elle sert plutôt à donner bonne conscience à une société à qui le marché (économique) a fait perdre le sens de la solidarité de la culture traditionnelle. Contrairement à ce qui se dit et à ce qui s’écrit, suggère Boukrouh, ce n’est pas le religieux qui domine dans la société musulmane ; au contraire, l’islam est dominé par les intérêts symboliques et matériels…» 
Au vu de ce cinglant réquisitoire boukrouhien, notre enseignant d’EI est interpellé pour réfléchir sur l’impact de son enseignement. 
Malgré les milliers de leçons d’éducation wahhabisée, qu’ils ont ingurgitées depuis des années, nos élèves ne peuvent s’empêcher de tricher, frauder ou copier pour avoir une bonne note ou réussir à un examen. Même si par ailleurs, ils affichent une religiosité ostentatoire. Est-ce cela l’objectif visé par son enseignement wahhabisé ? Sans parler de ces fléaux sociaux que sont  l’incivisme,  la corruption, la violence, la pollution sonore et physique, le harcèlement, la mysoginie. S’est-il penché sur les contenus des leçons (programme et manuel) que lui et ses collègues dispensent ? Pourquoi ne sont-elles pas (ces leçons) des remparts de conscientisation/prévention  face à ces fléaux qui sévissent dans notre société ? A-t-il réfléchi aux fâcheuse conséquences de l’emploi de cette funeste  méthode d’enseignement/apprentissage (bachotage de l’enseignant/parcœurisme chez l’élève) ? Non, pas la peine d’y penser ! Pour les wahhabistes, l’essentiel de l’endoctrinement consiste à afficher le paraître et non l’être, abuser de l’ostentatoire. Et quoi de plus frappant que ces signes extérieurs en provenance de la patrie du wahhabisme et que sont la bismallah, le niqab/hijab, le qamis/barbe. Il ne manque que le couvre-chef moyen-oriental sur la tête. 
Non, mille fois non ! L’Islam des Lumières, celui de l’Andalouise d’Ibn Rochd, n’a rien à voir avec ces us et coutumes saoudiens ! Parlant de la bismallah érigée en un combat sacré par ce collectif de professeurs d’EI, il y a lieu d’évoquer ce conflit entre deux prêcheurs algériens hypermédiatisés. Chemssedine el Djazaïri  a publié un livre en omettant d’introduire la «bismallah» (au nom de Dieu). Il se verra dénigrer par un collègue, wahhabiste pur jus. Et quelle fut la réponse de Chemessedine el Djazaïri en direct sur la chaîne TV où il officie ? «Pourquoi vous vous arrêtez à ce détail alors que vous n’avez pas lu le livre ? Et la bismallah en exergue d’un livre profane n’est pas prescrite par le Coran.» 
Clair et net. Que notre enseignant aille voir chez ce cheikh si son combat existentiel autour de la bismallah est légitime ­— religieusement parlant. Emporté par ses attaques «ad hominem» contre la ministre, notre  brave enseignant/justicier  se retrouvera englouti dans ses contradictions. Et le soutien ouvert du journaliste ne lui sera d’aucun secours.

Norvège
En se réfugiant derrière des recommandations du Hau-Conseil islamique et du Haut-Conseil de la langue arabe  ainsi que des ministères des Affaires religieuses et des Moudjahidine, l’enseignant/justicier croyait mettre en difficulté son contradicteur et donner de la crédibilité à ses fake news (fausses infos). 
Surprise ! M. Khaled Ahmed, calmement, lui asséna une réponse sèche qui le laissa sans voix : «sur ces questions sensibles, le MEN      collabore étroitement avec des partenaires institutionnels  dont ceux que vous venez de citer. 
Cette collaboration se fait dans le cadre de la Constitution, de la loi d’orientation et du programme présidentiel. C’est à ces institutions de dire ou de dénoncer ces dérives. Et jusque-là, aucune d’entre elles n’a émis la moindre réserve sur ces questions.» Voyant son complice  en difficulté, le journaliste – comme d’habitude sur certaines chaînes privées – mis sa casquette de militant pour nous asséner une contre-vérité qu’il croyait imparable. Il cria presque : «dans les pays développés, les matières structurant la personnalité ­— la langue, la religion et l’Histoire – sont dotées des plus forts coefficients et d’horaires plus importants que les autres disciplines scolaires.»  
Ah! la bonne affaire. A moins qu’il ne pense aux pays gérés par l’idéologie wahhabiste, aucun pays développé ne souscrit à ce fantasme contraire aux normes pédagogiques. 
A titre d’exemple, la norme internationale recommande à ce que le volume horaire hebdomadaire (VHH) de la langue d’enseignement ne dépasse pas 20% du volume global – toutes matières confondues. 
En Algérie,  ce VHH de la langue d’enseignement (arabe) avoisine les 60% au cycle primaire — après avoir frôlé les 70% il y a de cela une quinzaine d’années. Soit le triple de la norme internationale. Ce surdosage en volume horaire de l’arabe se fait aux dépens de matières telles que les sciences, les maths, l’EPS, l’éducation artistique, le tamazight et le français. Ces deux dernières se verront attribuer un horaire nettement en dessous de la norme recommandée par les linguistes et les pédagogues. Il est vrai qu’aux yeux des wahhabistes algériens, le tamazight et le français ne doivent pas avoir leur place dans le système scolaire. Pour ce qui est de la religion dans les écoles publiques de ces pays, la question est réglée depuis l’exclusion de l’Eglise des affaires de l’Etat. 
Le cas norvégien est d’ailleurs riche en enseignements. Avant l’arrivée massive de migrants dans  les années 1990, ce pays connaissait une pleine cohésion culturelle s’appuyant sur la religion chrétienne qui était enseignée aux écoliers sous forme d’éducation morale et religieuse. Les parents de confession musulmane et ceux de confession judaïque  élevèrent la voix pour s’opposer à cet enseignement religieux (le christianisme) en direction de leurs enfants. Unis pour la circonstance – syndrome d’Oslo ?! —,  ces deux communautés exigèrent que des cours de religion soient dispensés à leurs enfants — selon la confession bien sûr. Une expérience fut tentée, vite avortée : c’est à l’enseignant d’éducation chrétienne que furent attribués le cours d’éducation musulmane et celui d’éducation judaïque. Tollé auprès des deux communautés ! Les débats qui eurent lieu au sein de la société et des médias  furent transposés au Parlement. Vu l’impossibilité technique et matérielle de satisfaire les demandes des parents en colère, les élus du peuple norvégien décidèrent de «sacrifier» l’éducation chrétienne. Exit l’enseignement religieux dans l’école publique norvégienne ! Il se fera dans les églises, les synagogues ou les mosquées.
Et si la suppression de l’Education civique, morale  et religieuse (ECMR)  en Algérie était une décision bien calculée afin d’éviter un scénario à la norvégienne ? Notre Constitution reconnaît bien la pratique des trois cultes monothéistes – l’Islam, le christianisme et le judaïsme. A méditer !
A. T.

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