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Le trumpisme : entre ruptures et continuité

Donald Trump, quarante-cinquième président des USA, élu le 8 novembre 2016, est à la manœuvre depuis donc un peu plus de deux ans, non seulement aux USA, mais aussi au-delà des frontières de son pays, au Moyen-Orient, en Asie, en Europe, en Afrique et en Amérique latine, c’est-à-dire partout dans le monde. Son parti,  les républicains, avait la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, mais depuis les élections des Midterms du 6 novembre 2018, les démocrates y sont devenus majoritaires. Au Sénat, les républicains ont remporté deux sièges supplémentaires et restent donc majoritaires. Trump n’a pas obtenu le «raz-de-marée» républicain qu’il voulait ni la déroute totale des démocrates qu’il espérait, mais cela ne l’a pas empêché de crier victoire. On peut le comprendre : il a fait personnellement, sous le fameux slogan «Make America great again !», une campagne électorale dense, extrêmement active, et sans doute dispendieuse pour lui et ses supporters, même si chacun a pu constater de visu que le président a utilisé, pour ses déplacements électoraux,  Air Force One, avion propriété de l’Etat. 
Trump est entré en politique tardivement, vers l’âge de 69-70 ans. Fait remarquable, il est devenu président des USA  sans avoir jamais exercé une quelconque fonction publique ni aucun mandat local, ni avoir été élu une seule fois comme gouverneur, député ou sénateur au niveau fédéral. A vrai dire, il ne fait pas partie de l’establishment politique. C’est un homme d’affaires, un incontestable businessman qui a fait fortune dans l’immobilier. Cet arrière-petit-fils d’émigrés allemands est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grosses fortunes américaines. Dans l’imaginaire et le mythe yankee de «l’american dream», il est l’archétype du «boss», patron capitaliste  qui a réussi à la sueur de son front. Avec sa grande et forte stature, ses cheveux blonds flamboyants, ses yeux bleus d’acier, sa peau blanche indemne de toute pigmentation colorée, sa manière de se tenir et de parler, il est aussi l’archétype du pur Aryen et du pieux chrétien-évangéliste. Il n’y a rien d’étonnant qu’il soit sociologiquement et socialement parlant plus proche du  Ku Klux Klan que des Noirs, des suprématistes que des Latinos et autres métèques, mot pris ici au sens étymologique, des évangélistes fanatiques que des croyants tolérants, des riches que des pauvres, des judéo-chrétiens que des Arabes, des musulmans et bien d’autres espèces d’individus... Tous ceux qui se reconnaissent en lui, et plus particulièrement ses proches collaborateurs, ses secrétaires d’Etat ou ministres, ainsi que ceux qu’il a nommés aux plus hautes fonctions publiques dans la diplomatie et dans les services de renseignement et de sécurité, et auxquels il a fixé des feuilles de route, n’ont  d’autre attribution en réalité que celle d’appliquer ses décisions et, si besoin est, d’en expliquer le sens et la portée à l’opinion publique, s’ils en sont capables. 
A l’évidence, Trump décide seul et s’il s’empresse immédiatement de rendre publiques ses décisions grâce à ses tweets, c’est probablement de crainte  que quelqu’un d’autre n’en revendique la paternité. De son penchant avéré pour le réseau Twitter, qui lui permet d’envoyer à tout instant, tous azimuts, de son bureau ou encore de son avion Air Force One  ses messages incisifs, si peu diplomatiques et parfois carrément brutaux ou offensants, certaines gens en infèrent que ce président est un homme d’Etat à la fois impétueux mais avisé, très moderne, qui ne s’embarrasse d’aucun formalisme convenu et qui de plus est un communicant hors pair. Les gens de son camp ou de son clan se réjouissent bien évidemment de tous les tweets qu’il émet et en font leur miel. Cependant, il se trouve que beaucoup d’autres gens, qu’ils fussent citoyens américains ou non, voient en lui un chef d’Etat redoutablement réactif, aussi ringard qu’un  monarque absolu des temps anciens, un egocentrique maladif et un égotique susceptible d’avoir des comportements excessifs et incontrôlables. Cela les rend mal à l’aise et les inquiète au plus haut point. S’en rend-il compte ? Probablement. Le président Trump peut d’un mot couper les vivres à une organisation universelle telle que l’Unesco, ruiner l’économie d’un pays tel que l’Iran et le déstabiliser, ou bombarder la Syrie, la Libye ou un pays du Sahel sans aucun état d’âme,  bouleverser l’ordre international ou bloquer le fonctionnement normal de l’ONU, jeter à la poubelle des traités bilatéraux âprement négociés ou des conventions multilatérales, comme  celle de Paris sur le climat, élaborées et mises en forme après de nombreuses et laborieuses conférences diplomatiques ! Ce chef d’Etat  a plus d’une fois ces deux dernières années, par ses décisions aussi intempestives que méprisantes, nié les droits de certains peuples opprimés et spoliés — je pense ici aux Palestiniens et aux Rohingyas — et sciemment provoqué le désarroi chez  les quelques alliés traditionnels des USA, et souvent créé la panique dans les chancelleries et les organisations multilatérales. Trump exècre le multilatéralisme et s’emploie à rétablir l’unilatéralisme sous la férule des USA et son commandement. Il semble aspirer à un leadership mondial, n’admet comme interlocuteurs valables que les présidents Poutine et Xi Jinping, de l’éternelle Russie et de l’immense Chine. Pour montrer qu’il travaille et davantage encore qu’il le seul maître à bord chez lui, il organise de temps à autre dans son Bureau ovale des séances de poses devant les caméras de TV, pour signer publiquement quelque document officiel qu’il brandit ensuite fièrement devant l’assistance. Ses signatures  en dents de scie, qui s’étalent en longueur sur quasiment les deux tiers d’une page 21/27, fascinent autant qu’elles intriguent. Elles sont, on l’imagine facilement, du pain béni pour les graphologues, les psychologues et les psychanalystes qui y trouvent matière à analyses et à diagnostics psycho-cliniques.  
Parmi les décisions phares qu’il a prises, citons : le détricotage systématique des réformes engagées par son prédécesseur dans le domaine de la santé publique et de l’assistance sociale aux Américains les plus défavorisés, le projet d’édification aux frais du Mexique d’un mur de protection contre l’invasion des métèques de l’Amérique centrale, entre les USA et le Mexique, le durcissement de la police des étrangers, l’édiction d’interdits contre les musulmans, le transfert de l’ambassade US en Israël de la ville de Tel-Aviv à celle d’El-Qods, le parti pris flagrant en faveur d’Israël, la tension avec la Corée du Nord et la résurgence de la menace nucléaire dans cette région instable du monde, puis avec l’Iran contre lequel il prend unilatéralement les mesures économiques et financières dans le but avoué de le ruiner, les mesures douanières contre les produits provenant de certains pays concurrents, fussent-ils des pays amis ou alliés, les bras de fer engagés avec des pays alliés, le refus de financer certaines institutions universelles, etc.
Sur un autre plan, notons que malgré, d’une part, la récurrence des attaques armées contre les enfants des écoles,  les élèves et étudiants des établissements secondaires et supérieurs, et les agressions contre certains lieux publics tels que les supermarchés ou les débits de boissons, ou encore les salles de spectacles, et d’autre part, l’augmentation significative du nombre des victimes de ces lâches attaques, le président Trump refuse de faire droit aux requêtes de plus en plus nombreuses qui lui sont adressées en vue, sinon de prohiber, du moins de réglementer de la manière la plus restrictive que possible la détention des armes à feu. Il justifie son refus en invoquant le 2e amendement de la Constitution, qui n’a pas été modifié d’un iota, depuis le 15 décembre 1791 – il y a donc 227 ans ! – et qui consacre expressément le droit de tout Américain de détenir des armes à feu pour sa défense. Comment peut-on ériger en un droit de l’homme inviolable, sacré et imprescriptible une prescription sécuritaire archaïque puisqu’elle date du temps où il était prudent de porter à la ceinture un colt de gros calibre et de ne voyager que dans les diligences pourvues de convoyeurs armés de fusils de type Winchester ? Trump n’aime pas le pinaillage ou l’ergotage. Sa conviction n’est sans doute pas basée sur une analyse juridique du texte du 2e amendement. 
Il lui suffit d’être conforté dans sa position de refus par le National Riffle Association (NRA), un des plus influents groupes de pression américains, qu’on classe parmi les plus généreux pourvoyeurs en capitaux des politiciens et des partis politiques américains. 
Par contre, Trump aime malmener la presse qu’il accuse de diffuser des fake news, de le harceler, de se livrer  à du «bashing». C’est dans un contexte tendu qu’il a récemment fait expulser d’une salle de conférences de la Maison-Blanche un journaliste américain régulièrement accrédité mais qui posait des questions apparemment dérangeantes. Peut-être créera-t-il un jour ses propres médias avec des journalistes à sa solde ? Il en a les moyens. Ainsi donc, il apparaît clairement de ce qui précède que le président Trump sacralise le droit à la détention et au port d’armes à feu — qui vont de l’arme de poing au fusil d’assaut — mais viole, quasiment sans état d’âme, le 1er amendement de la Constitution qui interdit au Congrès de limiter la liberté de la presse. Thomas Jefferson, 3e président des USA (1801-1809) et l’un des rédacteurs de la Constitution, disait : «Notre liberté dépend de la liberté de la presse» et «Je préfère une presse sans gouvernement à un gouvernement sans presse». 
Sur un autre registre, il est frappant de constater que le président Trump respecte les principes posés dans ce que l’on appelle la doctrine Monroe, du nom du 5e président des USA (1817-1825). On peut les résumer ainsi : les USA interdisent aux Européens de s’ingérer dans les affaires des pays de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, et en contrepartie les USA s’interdisent de s’ingérer dans les affaires européennes. 
C’est ainsi qu’est apparue l’expression «zones d’influence» et que se fait le partage géopolitique du monde. Grâce à cette politique frappée du coin du réalisme et du  pragmatisme, exposée en quelques mots par le président James Monroe, lors d’un discours devant le Congrès, que les USA ont pu poursuivre tranquillement leur expansion territoriale soit par l’occupation armée soit par l’achat de territoires. C’est de cette époque également que date l’expression «the dollar diplomacy». Les USA obtinrent de l’Espagne, moyennant finances, la cession de toute la Floride d’où ils ont chassé les Indiens seminoles. Ils ont aussi reconnu l’indépendance du Mexique, du Pérou, de la Colombie, du Chili et de l’Argentine. C’est encore à cette époque, que fut décidée la création du premier Etat noir d’Afrique : le Liberia, avec pour capitale Monrovia, en hommage au président Monroe. 
Sous la présidence de Theodore Rosevelt, 26e président des USA (1901- 1919), un important amendement fut introduit à la doctrine de Monroe, qu’on appelle depuis lors «le corollaire de Roosevelt».

Cet amendement  permettait aux USA de jouer, sous le prétexte affiché de les protéger, le rôle de grand policier dans l’Amérique centrale et d’y recourir, si besoin est, à la politique dite du «Big Stick» ou politique du gros bâton. 
Signalons ici que Theodore Roosevelt fut chef de la police à New York. Mais notons à sa décharge, qu’il a mis en œuvre à l’encontre des trusts et des big corporations une politique progressiste et sociale, et qu’il a également initié une politique «écologique», avant terme, en prenant des mesures pour promouvoir la protection des espaces naturels, la création de parcs nationaux et la lutte contre le gaspillage.
Trump aurait-il des points de ressemblance avec Thomas Wilson, 28e président des USA ? Ce président pacifiste et non interventionniste, voire radicalement isolationniste se refusa, alors que l’Europe occidentale était devenue un infernal champ de bataille où des millions de gens mouraient dans les pires conditions, à engager les USA. Mais lorsqu’il décida de le faire, il prononça un important discours en 14 points, qui reste à ce jour un document de référence. Des nombreux points de cette déclaration historique du Président Wilson, il nous suffit de citer ici les suivants : reconstruction de l’Europe dévastée ; rétablissement du libre-échange par l’abolition des droits et taxes de douane ; libre accès à la mer pour tous les Etats ; démocratisation ; désarmement ; mise en œuvre et respect du droit des peuples à l’autodétermination ; multilatéralisme ; création de la Société des Nations (SDN)... A la simple lecture de ces quelques points, on peut dire que Trump n’est pas un wilsonien.
Quant à Franklin Delanoë Roosevelt, 32e président des USA (1932-1945), il dut rompre lui aussi le traditionnel isolationnisme américain, en lançant dans la bataille les USA, le 27 juillet 1941. 
Les USA ne sont donc entrés en guerre que tardivement, car les Allemands occupaient déjà quasiment tous les pays de l’Europe occidentale situés entre la frontière est de la Pologne et les côtes atlantiques de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, et entre le littoral des pays scandinaves qui bordaient la mer du Nord. 
De plus, Les Allemands se préparaient à débarquer en Angleterre et avaient déclenché  le 20 juin 1941 contre l’URSS l’opération Barbarossa devant, pensaient-ils, les mener à Moscou via Stalingrad. Ils n’ont pu débarquer en Angleterre et furent défaits par l’Armée rouge et le fameux «général Hiver» ! Roosevelt fut longtemps réticent à engager son pays dans la Seconde Guerre mondiale, malgré l’insistance obstinée de  Winston Churchill dont le pays était menacé d’invasion et les appels pressants du général de Gaulle dont le pays était occupé. Il ne s’y décida en fin de compte que lorsque la flotte et l’aviation nippones attaquèrent, le 27 juillet 1941, la base militaire de Pearl Harbour, située dans l’océan Pacifique. Le général de Gaulle que les atermoiements américains agaçaient et inquiétaient soulignera dans ses Mémoires de Guerre «l’ambition qu’avait Roosevelt de faire la loi et de dire le droit dans le monde» ! Il y a dans Trump quelque chose de F. D. Roosevelt, c’est-à-dire un fort désir d’être le leader incontesté du monde occidental. C’est tout, mais c’est très inquiétant.

En conclusion : 
A l’image de sa signature en dents de scie, il y a chez Donald Trump des hauts et des bas. On voit dans son action politique et sa gouvernance du pragmatisme et de l’idéologie, un anti-multilatéralisme viscéral, de l’isolationnisme en même temps que de l’interventionnisme, une volonté de rupture avec les errements passés, et un fort désir de continuité par rapport aux aînés les plus anciens, un amour délirant pour le pouvoir et l’espoir fou de parvenir à instaurer à son bénéfice, son leadership sur le monde.
S. Z.

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