Placeholder

Rubrique Contribution

Croissance économique Quelle stratégie pour l’Algérie ?

Par Farouk Nemouchi, universitaire
L’annonce par le gouvernement en 2016 de l’élaboration d’un modèle de croissance économique a laissé entrevoir la possibilité d’engager un processus qui éclaire les algériens sur les perspectives économiques du pays et qui met fin à une gestion par tâtonnement soumise aux aléas du moment. Force est de constater qu’aujourd’hui, les espoirs nourris par ce projet n’ont apporté ni des réponses à leurs interrogations ni dissipé leurs inquiétudes sur l’avenir économique du pays. Le taux de croissance annuel moyen au cours des 20 dernières années est inférieur à 3% et les prévisions des institutions financières internationales font état d’une baisse de l’investissement et du PIB à l’horizon 2021. Au moment où l’urgence est à la recherche d’une alternative qui appelle à des transformations profondes, le gouvernement, pour parer au plus pressé, n’a d’autre choix que de recourir au financement non conventionnel, c’est-à-dire l’endettement monétaire du Trésor auprès de la Banque centrale.
Lorsque la politique économique s’intéresse au court terme, elle agit sur les cycles conjoncturels et lorsqu’elle porte sur le long terme, elle se préoccupe de la croissance économique et du développement. L’action gouvernementale sur le plan économique se limite à redistribuer la rente pétrolière  lorsqu’elle devient importante et tente de contenir les effets des crises qui surviennent lorsqu’elle s’amenuise en demandant, notamment aux citoyens, de consentir à de nouveaux sacrifices. Le discours officiel justifie les difficultés économiques et sociales par l’instabilité du marché pétrolier et dès lors que les causes sont  exogènes, il faut accepter cela comme une fatalité. Il devient inopportun d’engager une réflexion qui met à nu les dysfonctionnements et les contradictions internes du fonctionnement de l’économie nationale. Il est également inutile de débattre des perspectives de développement et d’une vision qui définit des objectifs stratégiques sur le moyen et long terme et les instruments nécessaires à leur concrétisation. 
L’explication des déséquilibres par des facteurs externes encourage l’inertie sur le plan intellectuel et justifie, dans une certaine mesure, l’indigence, voire l’inexistence d’un débat sur les questions économiques dans les milieux de l’université, de l’entreprise et autres secteurs institutionnels. 
Durant les trois dernières décennies, l’Algérie a sévèrement pâti de l’absence d’un projet de développement et la crise actuelle rend plus que nécessaire le besoin d’établir un diagnostic sur 
l’économie nationale et de réfléchir sur une politique de développement en rupture avec les revenus des hydrocarbures. Les années 1970 ont été marquées par de riches débats théoriques entre les partisans d’un modèle de croissance fondé sur le développement du secteur des biens d’équipement (modèle des industries industrialisantes adopté par l’Algérie) et ceux qui estiment que la priorité doit revenir au développement de l’industrie manufacturière (le modèle de substitution aux importations). 
Au début de la décennie 1980, les nouvelles orientations économiques annoncent la fin du modèle économique à contenu industrialisant et ouvrent la voie à une politique de redistribution de la rente, sans perspective sur le plan stratégique. L’effondrement du marché pétrolier en 1986 a jeté le pays dans les bras du FMI qui impose des réformes  libérales inspirées par les initiatives du consensus de Washington. Les pays qui ont appliqué ces programmes dans les années 1980 et 1990 ont payé un lourd tribut sur les plans économique et social sans pour autant générer des effets favorables sur le niveau de vie des populations. Cela est vrai pour l’Algérie qui en a fait l’amère expérience, lorsque, sous l’effet de l’endettement extérieur, s’est engagée dans la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel. 
La critique fondamentale faite au programme du consensus de Washington est la volonté d’imposer des réformes globales selon des normes qui font abstraction des spécificités propres à chaque pays.
Les réformes prônées par le FMI, la Banque mondiale et le Trésor américain sont de plus en plus contestées et l’on assiste à l’émergence de nouvelles approches qui mettent en avant le souci d’une croissance économique durable et profitable à tous. De nombreux économistes suggèrent alors le dépassement des théories économiques traditionnelles qui stipulent que la croissance économique est le résultat de l’augmentation des facteurs de production : équipements et main-d’œuvre. En dépit des performances économiques remarquables, ce modèle n’a pas réduit la pauvreté et c’est ainsi que de nouvelles théories de développement ont apporté un nouvel éclairage sur les principales caractéristiques d’une stratégie qui assure une liaison forte entre croissance économique et développement.
- Une croissance économique endogène : des travaux théoriques et des études empiriques démontrent que  la pierre angulaire d’une croissance solide est le capital humain. 
Ce dernier désigne l’ensemble des connaissances, des qualifications, des compétences et des conditions de vie des individus. L’importance grandissante de l’économie du savoir stimule l’innovation technologique et en fait le moteur de la compétitivité des entreprises. Il ne suffit plus d’acquérir des machines et de disposer d’une main-d’œuvre abondante pour augmenter la production de biens et résister à la concurrence. 
Cette idée partagée aujourd’hui par des institutions internationales et des économistes justifie la nécessité de faire des investissements conséquents dans le secteur de l’éducation.
- Une croissance économique inclusive : elle établit la liaison entre la production de richesses et leur répartition et défend le principe de la réduction de l’écart entre riches et pauvres. Plus les richesses d’un pays sont réparties équitablement et plus la croissance sera forte. Plus l’accès de la population à l’éducation, aux soins et à tous les services de base indispensables à une vie décente est large et plus les richesses du pays augmentent.
Au moment où le gouvernement s’apprête à revoir la politique des subventions, il convient de faire preuve de prudence et ne pas obéir à des considérations conjoncturelles si l’objectif recherché est le progrès social pour tous.
- Une croissance économique créatrice d’emplois : pour faire baisser le chômage structurel, la hausse du PIB doit être supérieure à 4% par an et pour atteindre cet objectif, le taux d’investissement devrait dépasser la barre des 40%. Dans cette perspective, il est important de rendre attractifs les secteurs jugés prioritaires et à faible intensité capitalistique : l’industrie manufacturière, l’agriculture, le tourisme et l’économie numérique. Tels sont les grands traits d’une stratégie économique de long terme qui permet à l’Algérie de faire partie du peloton des pays émergents.
L’échec de la politique de diversification de la structure productive nationale et des exportations sur plus de trois décennies est la conséquence de l’absence d’une vision de développement. 
Dans le contexte de la crise actuelle, le pays a besoin d’un business-plan qui définit les grandes options stratégiques, les objectifs fondamentaux et intermédiaires, les modalités de leur réalisation et enfin le calendrier de  mise en œuvre. Pour cela,  la démarche consistant à agir sur le court terme et à se préoccuper des seuls équilibres macroéconomiques dans une optique strictement comptable ne fera qu’aggraver la crise. 
Pour installer l’économie sur une trajectoire de croissance, il faut au préalable identifier les causes majeures des distorsions économiques structurelles de façon à déterminer et hiérarchiser les réformes. A cet effet, les économistes proposent un diagnostic de croissance selon une méthodologie appelée HRV (Hausmann, Rodrik et Velasco) et dont le but est de déceler les facteurs qui freinent le plus l’investissement des entreprises et le développement de l’entrepreneuriat. La méthodologie HRV se démarque de la vision globalisante des politiques d’ajustement structurel et établit un diagnostic analytique qui cible les contraintes en tenant compte de la situation propre à chaque pays. 
Une fois que les obstacles sont mis en lumière, il est aisé de proposer des solutions selon une démarche adaptée et graduelle. Le point de départ du diagnostic est de chercher à comprendre pourquoi en dépit d’un discours officiel qui appelle à la diversification de la production depuis plus de trente ans, le pays reste toujours tributaire de ses revenus pétroliers et gaziers ?
A la fin de la décennie 1990, le marché pétrolier connaît un retournement de situation favorable aux pays producteurs et offre à l’Algérie une nouvelle opportunité de construire un projet de développement. Ignorant les leçons du passé  et en dépit des appels pressants en faveur d’une nouvelle alternative, l’accroissement notable des recettes d’exportation de pétrole et de gaz a ouvert la voie à une stratégie d’inspiration consumériste. D’un point de vue sociologique, cette doctrine place la consommation au cœur de la problématique économique. 
Si dans les pays développés le consumérisme est la conséquence logique du développement de l’économie productive et productiviste, en Algérie, il a entretenu l’illusion selon laquelle la richesse et le progrès social ont pour fondement un acte de consommation indépendant de son fait générateur qui est l’acte de production. Le fait de tourner le dos à l’investissement et à la production a occulté une vérité fondamentale, à savoir que c’est le travail qui est la seule source de la création de valeurs et le préalable à la consommation. 
Exporter les hydrocarbures et acheter des biens et services auprès de nos partenaires étrangers résument le programme économique mis en œuvre et c’est ainsi que tout a été organisé pour offrir le marché algérien aux firmes étrangères, sans contrepartie. 
Des décisions à portée stratégique sont prises pour stimuler les importations : signature des accords d’association avec l’Union européenne et adhésion à la zone arabe de libre-échange. 
L’idéologie consumériste a subordonné l’économie du pays aux intérêts du capital étranger et ses relais locaux dont l’action influente au sein des centres de décision économique est en contradiction avec le discours officiel qui prône la diversification de la production.  
Parmi les mesures adoptées pour intensifier l’ouverture du marché algérien aux biens étrangers, on peut citer l’introduction par les banques du crédit à la consommation, particulièrement dans le secteur de l’automobile. 
Dans les autres pays, cette technique de financement est un soutien à la production nationale à travers l’encouragement de la consommation. Comment ne pas exprimer aussi son étonnement lorsqu’on accorde des avantages fiscaux tels que le taux réduit en matière de TVA en faveur d’industries de montage dont plus de 75% des composants utilisés dans le produit final sont achetés auprès de fournisseurs installés à l’étranger. Dans un contexte de désertification industrielle, l’augmentation du taux d’intégration est un objectif de long terme et il serait utopique de penser que les exonérations fiscales à elles seules ont le pouvoir d’opérer des changements à caractère structurel. Si le taux d’intégration au niveau national reste dérisoire, le soutien apporté par l’Etat sous différentes formes ne sert pas l’investissement et la production nationale. En réalité, l’Etat gratifie les firmes étrangères de privilèges qui les dispensent de prendre le risque de réaliser des investissements conséquents en Algérie. Les grands constructeurs bénéficient d’un concours inespéré favorable aux politiques de délocalisation des activités de montage pour se consacrer au développement des opérations à forte valeur ajoutée qui se trouve en amont de la filière de l’industrie automobile. Si l’on veut réellement inciter les entreprises à investir davantage pour augmenter la valeur ajoutée et apporter une contribution plus importante au PIB et aux exportations, il serait plus judicieux d’accorder un taux réduit de TVA à celles qui réalisent un taux d’intégration égal au moins à 40%. 
Ensuite il est possible de moduler cet avantage fiscal en fonction des performances réalisées pour arriver à un taux nul pour les entreprises qui se lancent dans l’exportation. 
En poussant les entreprises à augmenter le taux d’intégration dans le secteur industriel, la création de richesses augmente, le chômage diminue et le coût en devises des intrants acquis auprès des fournisseurs étrangers se réduit. 
Choisir cette option, c’est faire preuve de patriotisme économique en plaçant les intérêts de l’économie nationale au-dessus de tout  autre considération.
Si l’idéologie consumériste a inséré l’économie nationale dans l’économie mondiale exclusivement par les importations, elle est responsable également du manque de dynamisme des entreprises nationales qui n’ont pas saisi l’opportunité pour investir et satisfaire la demande en biens de consommation. 
Parmi les raisons invoquées pour justifier l’absence de réactivité, les organisations patronales ciblent le problème de financement et font le reproche aux banques de ne pas jouer le jeu. 
En examinant de près la répartition de la valeur ajoutée, il ressort que cet argument manque de rigueur et de pertinence. Les entreprises nationales réalisent des profits substantiels et la confirmation peut être apportée par les statistiques de l’ONS. Le taux de marge moyen sur la période 2001-2015 atteint 75,32% et rend compte d’une forte capacité de financement qui dispense les entreprises de recourir au crédit bancaire et au marché boursier. 
L’énoncé de ces considérations est révélateur d’une économie de fonds propres par opposition aux économies dites d’endettement et de marchés financiers. Dans de telles conditions il est délicat de soutenir la thèse qui présente le système bancaire comme le principal obstacle à la croissance économique. De même qu’il est vain de chercher à augmenter la capitalisation boursière par des introductions à la Bourse d’Alger sur injonction. S’il est vrai que la modernisation du système financier est toujours d’actualité, il est illusoire de penser que c’est le nœud gordien et il suffit de le dénouer pour lever toutes les contraintes à l’augmentation de l’investissement et de la production. Il est même permis de formuler l’hypothèse inverse, à savoir que c’est la faiblesse de l’économie de production qui est en partie la cause du sous-développement de l’intermédiation financière. Sur un autre plan, l’analyse du partage de la valeur ajoutée révèle que la part moyenne des salaires rapportée à la valeur ajoutée au coût des facteurs entre 2001et 2015 atteint 28,75%. En d’autres termes la répartition de la valeur ajoutée est nettement en faveur des profits et par conséquent il n’est pas tout à fait exact de présenter le coût salarial comme un frein à la compétitivité des entreprises.
Si la décision d’investissement n’est pas contrariée par la question du financement, il faut explorer d’autres pistes pour situer les goulots d’étranglement les plus contraignants et pour cela le recours à l’aide de la méthode du diagnostic de croissance est d’un grand intérêt. L’élaboration d’un modèle de croissance repose sur les piliers suivants : diagnostic, création d’un environnement favorable à l’investissement privé qui représente la source durable de la croissance du PIB, développement du capital humain et réduction des inégalités sociales. Pour sortir de cette impasse et opérer des changements profonds, le pays a surtout besoin d’un projet de société car il détermine tout le reste.
Si l’aisance financière générée par la rente a tétanisé et bridé les capacités créatrices des Algériens, il faut espérer qu’avec la crise actuelle, le manque d’argent sera compensé par l’éclosion d’idées qui stimulent la créativité et      l’inventivité. 
F. N.

Placeholder

Multimédia

Plus

Les + populaires de la semaine

(*) Période 7 derniers jours

  1. Affaire USM Alger - RS Berkane La décision de la CAF tombe !

  2. Coupe du monde de gymnastique L'Algérienne Kaylia Nemour s'offre l'or à Doha

  3. Demi-finale aller de la Coupe de la CAF Le match USM Alger - RS Berkane compromis, Lekdjaâ principal instigateur

  4. Le stade Hocine-Aït-Ahmed de Tizi-Ouzou pourrait abriter le rendez-vous La finale se jouera le 4 mai

  5. Coupe de la CAF, le match USMA-RS Berkane ne s’est pas joué Les Usmistes n’ont pas cédé au chantage

  6. Temps d’arrêt Lekdjaâ, la provocation de trop !

Placeholder