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Rubrique Entretien

Ammar Belhimer, auteur de Les voies de la paix : «L’Algérie peut être fière de son expérience»

Propos recueillis par Mokhtar Benzaki
L’Anep inaugure son année éditoriale avec un nouvel ouvrage du professeur Ammar Belhimer, enseignant à la faculté de droit de l’université d’Alger 1, essayiste et chroniqueur au Soir d’Algérie, un de ses auteurs les plus prolifiques (en moyenne un essai par an, en dehors de ses publications académiques). «Les voies de la paix : Rahma, concorde et réconciliation dans le monde» ­— c’est le titre de l’ouvrage ­— recense les différentes facettes du terrorisme qui secoue le monde, avant d’entreprendre une fine analyse du traitement réservé à ce fléau en Algérie et ailleurs, pour conclure, sur des pistes prospectives. Il revient ici sur les idées essentielles qui y sont développées.

Le Soir d’Algérie : Quel traitement est-il généralement réservé à la violence ?
Ammar Belhimer
: Il faut distinguer la gestion des conflits internes en général du traitement réservé au fléau du terrorisme. Les crises internes génératrices de violence n’ont pas pour seule matrice le terrorisme islamiste. Les modèles de sortie de crises internes sont les expériences de dialogue-réconciliation attachées à trois grandes transitions. Tout d’abord celles consécutives à l’effondrement de régimes totalitaires (Chili, Espagne et, plus proche de nous, Tunisie).
Ensuite celles qui organisent les sorties de guerres civiles (Afrique du Sud, Bosnie, Rwanda). Et enfin celles qui œuvrent à réparer les dommages générés par les vagues intégristes destructrices d’obédience principalement — et pas seulement – wahhabite.
Les deux premières configurations ont consacré le remède prescrit par la justice transitionnelle qui consacre trois grands principes ou impératifs :
- un impératif de vérité (le devoir de mémoire) ;
- un impératif de justice et de réparation (le droit supérieur des victimes) ;
- un impératif de non-répétition et de réconciliation (la mise en place d’un nouvel ethos démocratique – ethos au sens général de caractères communs à un groupe d'individus appartenant à une même société, plus couramment connu sous le nom de «vivre ensemble»).

Quelle place occupe la justice transitionnelle dans le traitement des crises ?
Le modèle de justice transitionnelle est porté par le système onusien, la social-démocratie et le parti démocrate américain à travers un vaste réseau d’organisations non gouvernementales avant que l’attaque du 11 septembre 2001 ne les invite à revoir leur copie.
L’expérience sud-africaine a révélé les limites de la justice transitionnelle destinée à tourner la page de l’apartheid — sous la férule de la Commission Vérité et Réconciliation.
Elle repose sur le principe cardinal de l’audition des victimes dans des délibérations qualifiées de «cathartiques» (censées être réparatrices de traumatismes) en vue d’une «communion émotionnelle». En effet, que peut-on attendre de la justice transitionnelle quand il n’existe pas de consensus, quand il n’y a pas de gagnants et de perdants ? Il faut parfois choisir entre la justice et la paix.

Où situer la violence terroriste dans ce schéma ?
Les traitements réservés au terrorisme, d’essence religieuse, islamiste, takfiriste, sont multiples. Les Etats divergent encore sur la sens à donner au mal. La première conférence internationale sur le terrorisme (anarchiste) date de 1898. A ce jour les Etats n’ont toujours pas une définition commune du fléau. Aussi divergent-ils sur les moyens de le combattre.
Trois écoles se sont illustrées en la matière empruntant trois voies parallèles qui ne vont pas sans se croiser parfois : la rédemption, l’éradication et la déradicalisation.
1. La rédemption préconise un retour au «bon Islam». Bien avant l’arrivée de Mohammed ben Salmane, les autorités saoudiennes réalisent que le monstre – le wahhabisme —qu’elles avaient mis au point et se sont proposées de répandre partout dans le monde dérivait dangereusement vers une sorte de «talafisme» (au sens d’égarement). Pour paraphraser Arthur Schopenhauer (1788-1860/Parerga), «les wahhabites sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l'obscurité». Une thérapie est alors élaborée dont la finalité est de restaurer l’obéissance au roi et aux autorités religieuses. Les programmes de réhabilitation ou de «rééducation religieuse» des anciens djihadistes — dénommés «égarés» ou «soldats perdus de l’Islam» — se concluent par un examen final qui conditionne la remise en liberté, le bénéfice d’une somme d’argent, etc. Outre l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, la Malaisie et Singapour adhèrent à la démarche qui est, en réalité, l’œuvre du Home Office britannique. Le Bureau de l'Intérieur (anglais : Home Office) est un département exécutif du gouvernement britannique chargé des compétences de politiques intérieures comme la sécurité publique en Angleterre et au pays de Galles. Il est dirigé par le secrétaire d’État à l’Intérieur, plus couramment appelé Home Secretary. Si le Home Office a la responsabilité du Security Service (ou «MI-5»), ce service de renseignement n'est pas un organe du département de l'Intérieur. Ceux qui ont mis au point le virus connaissent l’anti-virus. Interrogé par le Washington Post (édition du 22 mars 2018) sur la propagation du wahhabisme, idéologie islamiste rigoriste née en Arabie Saoudite, le prince héritier a déclaré que les investissements saoudiens dans les mosquées et écoles islamiques à l'étranger trouvaient leur origine dans le contexte de la guerre froide. Confirmant l’engagement de Riyad contre le mouvement de libération national et social dans le monde musulman, le prince héritier a avoué que, à cette époque, les alliés occidentaux de Riyad avaient demandé à l'Arabie Saoudite d'utiliser ses ressources afin d'empêcher l’Union soviétique de «conquérir le monde musulman ou d’y acquérir de l’influence», selon ses propres termes.
La stratégie adoptée en 2003 portait initialement le nom de Contest avant de prendre celui de Pursue Prevent Protect Prepare. Contest (Pour Counter-terrorism Strategy) a pour objectif affiché de «réduire le risque pour le Royaume-Uni et ses intérêts à l'étranger contre le terrorisme».
La stratégie se décline en quatre actions :
«Poursuivre : arrêter les attaques terroristes.
Prévenir : empêcher les gens de devenir des terroristes ou de soutenir le terrorisme.
Protéger : renforcer notre protection contre une attaque terroriste.
Préparer : atténuer l'impact d'une attaque terroriste.» La stratégie de prévention affichée se propose de «défier l’idéologie derrière l’extrémisme violent et de soutenir les voix majoritaires, de mettre des bâtons dans les roues à ceux qui prônent la violence, de soutenir les personnes vulnérables ou ayant déjà été recrutées par des extrémistes violents, de renforcer les défenses des communautés face à l’extrémisme violent et d’apporter des réponses aux ressentiments exploités par les idéologues». Les agents de Sa Majesté remettent au goût du jour une expression héritée de la guerre de Corée : le «lavage de cerveau», utilisé à partir des années 1950.
2. L’éradication est la voie empruntée par les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan.
Elle est inspirée par le mode d’emploi russe et chinois. Les autorités chinoises exportent leur modèle de répression implacable du terrorisme dans le Xinjiang, alors que dans la Fédération de Russie, «les mesures douces de l’ère Medvedev ont été supplantées par l’utilisation massive de la police et du système de justice par le président Vladimir Poutine, ainsi que par une approche paramilitaire dans les régions frontalières comme le Caucase du Nord» — une approche aux résultats aussi probants qu’immédiats : elle a réduit de moitié les actions terroristes.
3. La déradicalisation. C’est la voie empruntée par l’école laïque, européenne.
Elle trouve une bonne expression dans le droit français. Le législateur français (rapport du sénateur Sueur qui a donné son nom au rapport d’avril 2015 qui traite de la menace djihadiste) circonscrit la matrice terroriste à trois canaux : «Idéologiquement, ils se recrutent dans trois grandes familles des mouvements islamistes : primo, le courant salafiste, qui correspond à la religion officielle d’Arabie Saoudite ; secundo, l’islam politique, né avec la création de la confrérie des Frères musulmans en 1928 ; tertio, la famille djihadiste, fondée sur les écrits de Sayyed Qotb qui prône le renversement par la violence des pouvoirs existants pour les remplacer par un État islamique ressuscitant le califat des premiers temps de l’islam.»
En France, le salafisme est déclaré «incompatible avec les valeurs fondamentales de la société française». Entre les djihadistes et les quiétistes, il y aurait 50 000 adeptes, contre 5 000 en 2004. L’action — forcément multisectorielle et synchronisée — est envisagée en 110 propositions orientées dans six directions : prévenir la radicalisation, renforcer la coordination et les prérogatives des services antiterroristes, contrer le djihad médiatique, tarir le financement du terrorisme, mieux contrôler les frontières européennes, et enfin adapter la réponse pénale et carcérale.
 Au-delà de la France, il y a l’Europe…
Plus largement encore, c’est dans la jurisprudence européenne portée par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour européenne de justice, que le modèle est le mieux exprimé. L’idéal européen est cependant l’œuvre de la jurisprudence de l’Union. Le modèle européen trace la voie idoine du «vivre-ensemble» dans des sociétés multiconfessionnelles.
Les contours de la «société démocratique ouverte» ne régissent pas de manière figée la pratique religieuse, notamment le culte musulman.
Ainsi est-il question, du côté de la Cour européenne des droits de l’homme :
- d’interdiction du foulard à l’université dans l’affaire Layla Sahin c/Turquie, 2004 ;
- d’interdiction relative du voile intégral dans l’espace public, affaire SAS c/France, 2014 (l’interdiction du voile intégral n’est pas «nécessaire dans une société démocratique», sauf sans un contexte révélant une menace générale contre la sécurité publique) ;
- d’interdiction de l’exposition du crucifix dans les salles de classe, affaire Lautsi c/Italie, 2011 ;
- d’objectivité et pluralisme à l’école, affaire Mansur Yalçin et autres c/Turquie, 2014 (une affaire dans laquelle quatorze requérants de confession alévie, une branche minoritaire et hétérodoxe de l’islam, soutenaient que le contenu des cours obligatoires de «culture religieuse et de connaissance morale» (CRCM) était axé sur l’approche sunnite de l’islam : l’État est dans l’obligation de veiller à ce que l’enseignement de telles matières obligatoires réponde aux critères d’objectivité et de pluralisme en respectant les convictions religieuses et philosophiques dans l’enseignement du fait religieux. La relativité attachée à l’interdiction du port du voile intégral se retrouve dans une décision de la Cour européenne de justice dans l’affaire opposant une citoyenne belge, Mme Samira Achbita, de confession musulmane, réceptionniste, contre son employeur eG4S Secure Solutions, qui fournit notamment des services de réception et d’accueil à des clients : «l’interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d’une règle interne d’une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions.»

Où se situe l’Algérie dans cet inventaire d’expériences ?
A partir d’ici, il nous faudra peser les mots : l’article 46 de l’ordonnance du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale : «Est puni d’un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international.»
A l’expérience, la parenthèse algérienne tient des deux cas de figure précédents : une violence accompagnant la transition d’un régime totalitaire, de parti unique, vers une économie sociale de marché, associée à l’avènement d’un terrorisme islamiste d’essence interne et externe.
Tout compte fait, nous sommes toujours dans «l’apprentissage démocratique» du vivre ensemble, requis pour une sortie définitive du totalitarisme quelle que soit son inspiration. Cet «apprentissage» aurait pu se faire «dans la peur» du lendemain (les islamistes accédant au pouvoir pour installer une dictature théocratique indécrottable). Ce risque a été jugé inacceptable. «L’apprentissage» s’est alors fait «dans la douleur» (l’approche sécuritaire ayant prévalu, sans toutefois élaguer complètement la caution judiciaire).

L’Algérie n’a-t-elle pas payé le prix le plus fort de la lutte antiterroriste, en termes de pertes matérielles et humaines, mais aussi d’image ?
La tragédie nationale a nourri toutes sortes de campagnes de haine et d’hostilité à l’endroit de la communauté nationale. Elle a réhabilité l’école psychiatrique d’Alger et nourri une étonnante jurisprudence italienne témoignant au passage de stéréotypes tenaces. Antoine Porot, l’auteur de la thèse de «l’impulsivité criminelle chez les Algériens», sévit à partir de 1918 par ses «Notes de psychiatrie musulmane», publiées dans les Annales médico-psychologiques 2, puis en 1932, en collaboration avec C. Arrii, par «L’impulsivité criminelle chez l’indigène algérien». Un soir de mars 2007, un Colombien de 32 ans en est venu aux mains avec un jeune Algérien, Abdelmalek Bayout, dans les rues d’Udine, en Italie.
Le Colombien agresse l’Algérien et, outrage suprême, le traite de «pédé». Condamné à 9 ans et 2 mois de prison pour avoir assassiné son agresseur, Abdelmalek Bayout a vu sa peine réduite d’un an après avoir consenti à se soumettre à une analyse ADN «innovante» ! «On a découvert chez le sujet une série de gènes qui le prédisposeraient à faire preuve d’agressivité s’il venait à être provoqué ou à être exclu socialement», résume le site internet du quotidien Il Giorgnale. La Cour d’appel de Trieste a alors consenti à une réduction de peine substantielle en invoquant une «vulnérabilité génétique» qui prédisposerait le sieur Bayout à une réaction agressive. Pour ses juges, les insultes proférées à son égard par son agresseur expliquent en partie la réaction disproportionnée de cet homme «d’origine algérienne et musulman pratiquant». Les accès de violence qui entachent l’espace social relève plus souvent d’une dépréciation du capital civique que d’un héritage quelconque.
Au regard de la médiocratie qui gagne les sphères culturelles et l’effondrement de la productivité sociale du travail, d’autres valeurs proches de la violence prévalent : prédation, passe-droits, biens mal acquis, etc.

Vous semblez idéaliser la société algérienne et son attachement au «vivre ensemble»…
Les premières ébauches de réconciliation nationale de l’Algérie indépendante datent de la crise de 1962. Elles s’articulent autour des tractations entre le FLN, tenté par l’absolutisme du parti unique, et le FFS (né officiellement le 29 septembre 1963), soucieux de contenir «les excès totalitaires des putschistes des frontières et le prolongement de la crise de 1962». Des discussions ont eu lieu entre le FLN et le FFS qui ont abouti à des décisions qui devaient entrer en vigueur le 16 juin 1965.
Autre moment fort du dialogue national, l’après-octobre 1988.
Un texte fort méconnu incarne ce moment : la loi 90-19 du 19 août 1990 portant amnistie. Ce texte admet au bénéfice de l’amnistie «les nationaux condamnés, poursuivis ou susceptibles de l’être pour avoir participé, antérieurement au 23 février 1989, à une action ou à un mouvement subversifs ou dans un but d’opposition à l’autorité de l’Etat» (art.)
La signature, le 29 juin 2010, de l’accord entre deux communautés religieuses dans la région de Berriane inaugure un nouveau type de compromis.
Le document appelé «Charte de Berriane» réunit les représentants des huit fractions (achirate) ibadites et huit fractions malékites, qui constituent le tissu sociologique de la région de Berriane
Dix règles ont été convenues dont huit méritent de faire jurisprudence :
- éradiquer la violence sous toutes ses formes et cultiver l’esprit du dialogue constructif ;
- refuser l’instrumentalisation des constantes religieuses et nationales pour mettre le feu de la «fitna» et régler des comptes ;
- intensifier les efforts pour combattre les fléaux sociaux et tout ce qui porte atteinte à l’intégrité des personnes, à la sécurité de leurs biens, à l’ordre et à l’intérêt général ;
- enraciner et généraliser la culture de la paix, propager l’esprit de tolérance et de dialogue entre les générations, respecter les particularismes et les cultes sacrés ;
- conférer la priorité au principe du recours à la médiation (ou de règlement amiable, «ihtikam lissolh») dans la solution de tous les conflits ;
- poursuivre le dialogue de façon organisée pour vaincre tous les facteurs de troubles, la concertation entre les deux communautés et les élus de la commune de Berriane pour l’identification et la prise en charge effective des préoccupations des citoyens dans un cadre démocratique participatif approprié ;
- faire de la charte un engagement solennel à consacrer le bon voisinage et à raffermir les fondements de la fraternité et de la coopération ;
- adopter comme mode de conduite le slogan «s’entraider pour réaliser ce qui a été convenu et s’abstenir de tout affrontement autour de ce qui peut séparer, dans le respect mutuel des divergences de vues».

Plus concrètement, quel a été l’encadrement juridique de la lutte antiterroriste ?
Depuis l’interruption du processus électoral, en juin 1991, et la constitution des groupes armés terroristes, le processus de dialogue-réconciliation a connu trois grands moments, signalisés et balisés par des constructions juridiques particulières qui nous paraissent indiquer une lente maturation et une cohérence de fond bien souvent passée sous silence :
1- l’ordonnance n°95-12 du 25 Ramadhan 1415 correspondant au 25 février 1995 portant mesures de clémence ;
2- la loi 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile ;
3- la Charte pour la paix et la réconciliation nationale (ordonnance du 27 février 2006 relative à l’application de la charte).
La phase 1 témoigne d’une approche strictement sécuritaire visant la reddition des groupes terroristes.
La phase 2 associe un traitement politique à l’objectif d’extermination du terrorisme.
Les deux premières phases ont une forte connotation sécuritaire : elles consacrent la victoire d’une partie sur l’autre dont elles organisent la reddition.
La phase 3 marque un nouveau tournant, voulu ultime, dans la mise en œuvre de la dimension politique du processus de réconciliation.
Le décret législatif n°92-03 du 30 septembre 1992 relatif à la lutte contre le terrorisme et la subversion est le premier texte qui assoit l’activité de l’institution judiciaire dans la lutte contre la criminalité terroriste.
Le texte installe des juridictions spécialisées dénommées «cours spéciales» pour juger les affaires de terrorisme.
Ces cours n’ont de «spécial» que le nom :
- elles sont composées exclusivement de magistrats professionnels de l’ordre judiciaire de droit commun, soumis statutairement à la loi portant statut de la magistrature ;
- ce sont les règles du code de procédure pénale qui sont applicables aux infractions justiciables des cours spéciales, hormis quelques aménagements mineurs qui n’affectent en rien les droits de la défense ;
- les audiences sont publiques, ouvertes à la presse nationale et internationale ;
- les droits de la défense sont scrupuleusement respectés, et les prévenus qui ne peuvent recourir, pour des raisons financières, aux services d’un avocat bénéficient de la commission d’office d’un avocat désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats ;
- les voies de recours admises en matière ordinaire sont ouvertes aux inculpés des cours spéciales à toutes les phases de la procédure, sans restriction aucune (appel contre les ordonnances des juges d’instruction, opposition et pourvoi en cassation contre les arrêts).
Enfin, et conformément aux dispositions constitutionnelles et légales, les condamnés à la peine capitale peuvent bénéficier de la grâce présidentielle.
A cet égard, il y a lieu de noter que plusieurs personnes condamnées à mort par les cours spéciales ont été graciées et, qu’en tout état de cause, aucune condamnation à mort n’a été exécutée depuis le mois de septembre 1993. Soucieuse d’uniformiser son système judiciaire, l’Algérie a abrogé le décret législatif 92-03 et supprimé les cours spéciales.
Le corpus initial perdure jusqu’en 1995.
Trois ordonnances seront simultanément édictées le 25 février 1995 : la première traite du crime terroriste (95-11), la seconde des procédures pénales (95-10), la troisième porte «dispositions de clémence» (95-12). Les nouvelles dispositions ont été intégrées dans le droit pénal algérien instauré par l’ordonnance 66-156 du 8 juillet 1966.
L’ordonnance n°95-11 du 25 février 1995, portant mesures de clémence modifiant et complétant l’ordonnance 66-156 du 9 juin 1996 portant code pénal, a donc défini une nouvelle catégorie d’actes criminels, les «crimes terroristes et subversifs» dont le traitement judiciaire est confié aux tribunaux criminels.
Après cette courte parenthèse, relativement sécuritaire, prévaudra un nouveau dispositif qui a connu trois grands moments :
Premier moment : l’ordonnance n°95-12 du 25 Ramadhan 1415 correspondant au 25 février 1995 portant mesures de clémence. Ce premier corpus juridique s’inspire principalement des modèles italien, s’agissant de la répression de la maffia, et français, à la suite des attentats de Paris.
Deuxième étape : la loi 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile.
Sous son régime, les personnes qui cessent toute activité de terrorisme en avisent les autorités compétentes et se présentent à elles bénéficient, selon le cas, de l’une des mesures suivantes :
-l’exonération des poursuites à quelques exceptions près : «Ne sera pas poursuivi celui qui a fait partie d’une des organisations visées à l’article 87 bis 3 du code pénal à l’intérieur et à l’extérieur du pays et qui n’a pas commis ou participé à la commission de l’une des infractions prévues à l’article 87 bis du code pénal ayant entraîné mort d’homme ou infirmité permanente, viol ou qui n’a pas utilisé des explosifs en des lieux publics ou fréquentés par le public et qui aura, dans un délai de 6 mois à compter de la promulgation de la présente loi, avisé les autorités compétentes qu’il cesse toute activité terroriste ou subversive et qui se sera présenté spontanément à ces autorités compétentes.» (article 3)
– La mise sous probation ; une sorte de mise à l’épreuve décidée par un comité de probation institué dans le ressort territorial de chaque wilaya. Elle consiste en «l’ajournement temporaire des poursuites pendant un délai déterminé afin de s’assurer de l’amendement entier de l’individu qui y est soumis». Elle est inscrite au casier judiciaire de la personne concernée (elle n’est toutefois pas portée au bulletin n°3 du casier judiciaire).
Elle est donc précaire et révocable. Elle est décidée pour une durée de 3 ans au minimum et de 10 ans au maximum (article 12). Le délai maximum est réduit de moitié pour les personnes éligibles «qui sont admises à servir l’Etat dans la lutte contre le terrorisme et la subversion». Sont exclues du bénéfice de la mise sous probation les personnes ayant commis ou participé à la commission des crimes ayant entraîné mort d’homme, des massacres collectifs, d’attentats à l’explosif en des lieux publics ou fréquentés par le public ou des viols.
– L’atténuation des peines au profit des personnes «ayant fait partie d’une des organisations visées à l’article 87 bis 3 du code pénal qui auront avisé qu’elles cessent toute activité terroriste ou subversive et qui se seront présentées spontanément aux autorités compétentes dans un délai de 3 mois à compter de la date de promulgation de la présente loi, qui n’auront pas commis de massacres collectifs, ni utilisé des explosifs en des lieux publics ou fréquentés par le public».
Troisième moment : la Charte pour la paix et la réconciliation. Adoptée par référendum le 29 septembre 2005, la charte est promulguée fin février 2006 par ordonnance du 27 février 2006 relative à l’application de la charte ainsi que les décrets présidentiels y afférents datant du 28 février et du 27 mars 2006.
Les décrets promulgués le 28 février 2006 ont deux objectifs : la prise en charge financière des parents des victimes des deux bords, et l’amnistie des membres des services de sécurité accusés de violations des droits de la personne ainsi que des membres des groupes armés impliqués dans des actes terroristes.
Les électeurs algériens ont voté nombreux (le taux de participation s’élève à 79,76%) et majoritairement (à 97,36% en faveur du «oui») au référendum sur le projet de charte présidentielle pour «la paix et la réconciliation nationale».
Officiellement, les événements qui ont secoué l’Algérie pendant ce qui a été qualifié de «décennie rouge» sont appelés : tragédie.
Les mesures approuvées sont agencées dans une construction à cinq piliers.
Premier pilier : la reconnaissance du peuple envers les artisans de la sauvegarde de la République.
Deuxième Second pilier : les mesures destinées à consolider la paix (visant principalement à détendre le climat et à inciter à la reddition ou à la cessation des actions armées, à la restitution des armes)
Troisième pilier : les mesures destinées à consolider la réconciliation nationale. Trois dispositions à caractère général, d’essence citoyenne, sont édictées à cette fin au nom d’une catégorie générale («le peuple souverain») en direction des responsables politiques de la tragédie : leur réinsertion socioprofessionnelle et leur exclusion du champ politique.
Quatrième pilier : les mesures d’appui de la politique de prise en charge du dossier des disparus. La responsabilité des disparitions est imputée, pour «de nombreux cas», à «l’activité criminelle de terroristes sanguinaires».
Cinquième pilier : les mesures destinées à renforcer la cohésion nationale.
Ces mesures touchent particulièrement l’environnement proche, familial, des personnes rendues coupables d’actes terroristes.

Quels enseignements vous suggèrent ces derniers textes ?
D’abord, la charte est un texte juridique, singulier et inédit. Ensuite, elle constitue une source spécifique du droit.
La particularité du texte, comparativement aux autres du même nom (les chartes précédentes), apparaît sur trois plans, notamment formel et politique.
Sur le plan formel, comparativement aux autres textes du même nom qui l’ont précédée, elle est la seule à emprunter la voie référendaire.
Autre singularité, politique, du texte : elle s’inscrit «dans le cadre du projet de société prévu par la Constitution de 1989 reconduit par celle de 1996».
Troisième et dernière singularité : elle répond à un besoin «urgent et spécifique, capital et vital» de paix et de réconciliation nationale.
La valeur supra législative de la charte tient à ce qu’elle résulte d’un processus référendaire qui lui donne, organiquement, une valeur identique aux lois parlementaires tout en échappant au contrôle du Conseil constitutionnel.
A ce titre, elle est supérieure à la loi pour trois raisons :
– primo, elle n’est pas soumise au contrôle de constitutionnalité ;
– secundo, elle est l’expression de la souveraineté directe du peuple ;
– tertio, son contenu et ses modalités de mise en œuvre vont rendre nécessaire la révision d’autres lois, notamment le code pénal et le code de procédure pénale.
On suppute souvent que les islamistes sont en passe d’obtenir par la loi ce qu’ils n’ont pu arracher par les armes et les urnes ; le droit les aurait réhabilités.
Ce n’est ni une reddition de l’Etat ni une réhabilitation, sur fond d’assèchement de la matrice extrémiste.
Le dispositif de consolidation de la paix et de la réconciliation nationale n’est pas sans contrepartie. Il ne remet pas les compteurs à zéro et ne constitue pas un retour à la case départ.
Pour y parvenir, il institue des «mesures pour prévenir la répétition de la tragédie nationale» tenant principalement à l’interdiction de l’activité politique, sous quelque forme que ce soit, «pour toute personne responsable de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale» (art. 26 de l’ordonnance 06-01).
Treize années de conflit ont fait de 150 000 à 200 000 morts, quelque 18 000 «disparus», des centaines de milliers d’infirmes et d’orphelins, plus de 500 000 exilés, de 1,5 à 2 millions de personnes déplacées...
Les sources sont plus consensuelles sur les pertes financières : 20 milliards de dollars.

Quelles conclusions ?
Principalement trois :
- primo, le facteur économique comme motivation première reprend sa place dans la littérature relative au terrorisme international ;
- secundo, dans l’ensemble, il apparaît qu’il n’est vraiment pas bon pour la communauté des croyants d’associer, à tort et à travers, les notions d’Islam et de pouvoir ;
- tertio, il est injuste d’attribuer à l’Islam comme religion, ou comme civilisation, des actes de personnes ou de communautés se réclamant de sa pratique ou de ses idéaux.
Autant dire que l’Islam est victime et non responsable ou coupable de bien des crimes commis en son nom.
De même qu’il n’arrête pas d’être instrumentalisé par des pouvoirs mafieux et des potentats locaux aux seules fins d’encadrement et d’asservissement de leurs sociétés.
Par leurs approches sectaires, caricaturales et étroites, les intégristes radicaux œuvrent à la désacralisation de l’Islam.
A. B.

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