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Rubrique Ici mieux que là-bas

La double souffrance

Tout est parti de la subreptice relecture de cette étude d’Abdelmalek Sayad sur les émigrés/immigrés algériens, et ce qu’il appelait «la double absence».(1) Le sens commun veut qu’un immigré algérien en France se caractérise plutôt par une double présence. Il existe, bien entendu, dans le pays d’accueil où il travaille et vit. Il existe aussi en Algérie d’où il est parti et où il revient de temps à autre, conservant des attaches matérielles mais aussi et surtout immatérielles. Ceci est objectivement vrai. Mais ce n’est pas toute la vérité.
Abdelmalek Sayad démontre scientifiquement, en sociologue qui s’appuie sur des enquêtes, que cette dualité existentielle est davantage une double absence qu’une double présence. Son travail se résume à l’axiome du désenchantement suivant : «Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré.» En France, quel que soit son statut juridique et son niveau d’intégration, un immigré algérien demeure cet «étrange étranger» cher à Jacques Prévert dans son célèbre poème. Bien sûr, le niveau social et le niveau d’instruction créent des différenciations chez les Algériens vivant en France. Un professeur d’université, par exemple, sera plus aisément intégré qu’un ouvrier non qualifié, et l’absence ou la présence n’auront ni la même évidence ni le même impact.
Cependant, en France, quelles que soient les circonstances et l’ancienneté de l’exil, on reste un immigré. Et en Algérie, on reste un émigré. J’en ai entendu certains affirmer que le malaise qu’ils finissent par ressentir à la fois en Algérie et en France ne parvenait à se dissiper momentanément que dans l’avion lors du voyage aller ou celui du retour.
Les racistes français dénient aux immigrés algériens jusqu’à leur apport économique, fruit de leur force de travail, pour ne les considérer que comme des parasites venus se repaître des acquis sociaux. Bien entendu, ils n’admettront jamais que ces travailleurs immigrés ne soient pas des profiteurs mais qu’ils vivent du produit de leur labeur. Ils n’accepteront pas plus cette vérité historique amplement vérifiable selon laquelle les acquis sociaux en France ont été arrachés par des luttes ouvrières depuis le début du XXe siècle et notamment depuis le Front populaire de 1936, auxquelles, les historiens le reconnaissent, les travailleurs algériens ont grandement contribué. Dans toutes les grandes batailles sociales et syndicales, depuis un siècle, les travailleurs algériens ont mouillé leurs bleus de chauffe.
A l’inverse, en Algérie, ils sont considérés comme des êtres frappés de la culpabilité d’être partis, et de vivre mieux. Ce qui reste à démontrer, d’ailleurs !
Cette lecture de la double absence d’Abdelmalek Sayad me fait penser au récit de cet ami professeur d’université dans une ville de l’intérieur de l’Algérie qui avait dû s’exiler au début des années 1990. On peut aujourd’hui, bientôt 30 ans après les faits, ergoter sur les circonstances de son exil. Dans la quiète discussion de salon, loin du péril, loin du tumulte de ces années de sang, on peut évidemment lui reprocher d’avoir déserté le front, de s’être tiré en douce. Mais, lui, il affirme ne pas avoir vraiment eu le loisir de passer tranquillement en revue toutes les options de sa survie. Militant progressiste connu et rendu visible par ses engagements, il a eu le tort rédhibitoire d’ignorer d’où le coup pouvait venir, sachant, en outre, que le seul moyen de rester en vie était de partir. Les historiens progressistes qui ont étudié ce type d’immigration auraient parlé dans ce cas de parcours militant qui aurait entraîné le départ, donc, en quelque sorte, une antithèse de la fuite. D’ailleurs, ce professeur d’université n’a jamais cessé de militer en France pour le camp démocratique algérien.
Ce qui l’avait frappé en arrivant en France, explique-t-il, alors même qu’il était soumis à tous les tracas imposés par l’administration et ceux inhérents à la vie quotidienne pour tenter d’amoindrir son déclassement, c’est que les intellectuels et les militants associatifs de l’immigration le voyaient comme un «agent du pouvoir algérien» du seul fait d’avoir travaillé dans une université algérienne. Le reproche en filigrane adressé par des immigrés vivant en France de longue date, c’est que la culpabilité d’être un agent du pouvoir réside dans le fait de ne pas être parti plus tôt. Donc, d’y avoir trouvé son compte ! Equation simple !
Absence première que cette suspicion lancée par les plus anciens expatriés à son encontre, suspicion qui fait fi de son appartenance à des groupes d’opposition clandestins et d’avoir fait de la prison pour ses idées. Le plus terrible, dit-il, ce n’est pas d’avoir milité pendant des années, pris des risques, fait de la prison, encouru la mort, le plus terrible, c’est de devoir s’expliquer, voire se justifier d’être resté militer en Algérie jusqu’à ce que cela devienne intenable. Double peine donc. Traumatisé par ce qui lui était arrivé, il restera quelques années sans retourner en Algérie et dans l’incapacité de s’expliquer à lui-même cette appréhension. Pendant toutes ces années, il a milité dans des associations, participant à des actions, des manifestations, des colloques, des séminaires, des bagarres avec de islamistes et leurs soutiens.Puis vint un temps où il retourna en Algérie. Le pays était encore soumis aux convulsions sanglantes. Certains de ses amis avaient été assassinés. D’autres étaient partis. D’autres encore avaient échappé à des attentats mais ont décidé de rester au pays, une façon de résister, parfois les armes à la main. D’autres, enfin, ont rentré la tête et attendu que la tourmente passe. Et voilà que notre homme est, une fois de plus, soumis à la pression de s’expliquer, voire de se justifier. Comme quelques années auparavant en France, il est frappé de suspicion. Jadis, on le prit pour un «agent du pouvoir algérien», à présent on le prend pour celui de «Hizb França». Double absence.
A. M.

1) La double absence. Des illusions aux souffrances des immigrés. Abdelmalek Sayad. Préface de Pierre Bourdieu. Le Seuil, 1999.

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