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Rubrique Ici mieux que là-bas

Ryma et la face de carême

L’Algérie wahhabisée à doses de cheval barbe sera – inch’Allah ! – libérée un jour. Et par le jogging ! Par les joggeuses, plus exactement. Le pistard égaré d’Allah qui a commis l’inepte hérésie d’essayer d’empêcher Ryma, une jeune joggeuse téméraire, de courir avant le ftour, sous prétexte que ce serait sacrilège en vertu d’une triple incompatibilité avec l’Islam, – (1) une femme et qui (2) court et pendant le (3) Ramadhan – mérite qu’on lui élève une… statue.
De préférence pas à Aïn-el-Fouara, Sétif, non ! Ce serait trop moche que ses pairs du cru, épigones ou émules, viennent, à l’aide de marteaux dument hallalisés, lui arranger sa face de carême, fût-elle d’albâtre ! On lui doit une statue intangible, virtuelle, symbolique, carrément indestructible !
Faut reconnaître qu’à sa manière, c’est un héros, mais à l’envers, un Superman manieur de la marche arrière, un as décoré de la «régression féconde» !
Il est tellement parfait dans son rôle qu’il ne doit même pas réaliser à quel point il dessert son camp ! En agressant Ryma, il l’a démultipliée. Il a  créé des centaines de joggeuses. Et de joggeurs. Il a provoqué une émotion dans le pays. De la colère. Et le ras-le-bol. Laisse-la tranquille !
Et que dire de ces gendarmes auprès desquels Ryma voulait se plaindre de l’agression qu’elle avait subie et qui ont visiblement plutôt validé l’argument de l’agresseur en lui rétorquant aussi qu’elle n’avait pas à faire son jogging pendant le Ramadhan ?
Tout ça pour quoi ? Le raisonnement de base est succulent. Au lieu de parfaire son souffle et son punch citoyens en pratiquant ce sport vertueux qu’est le jogging, la jeune Ryma aurait mieux fait, selon lui, de remercier Dieu de lui permettre de rester enfermée – «comme toutes les femmes qui se respectent» sans doute – dans sa cuisine à fignoler les ripailles qui récompenseront la gent masculine des privations du carême. Sa place de femme est, on le sait, aux fourneaux où il est de son devoir de bonne musulmane de mijoter les fines nourritures qui, avec la grâce de Dieu, offriront aux mecs affamés par l’adoration du Tout-Puissant le loisir de s’empiffrer sans vergogne, puis, après avoir dégluti une série de formules canoniques, de roter toute leur pieuse satiété avant de s’en aller vaillamment augmenter le taux de productivité du pays en s’abîmant dans ces nouvelles tâches d’édification nationale que sont tarawih, les prières surérogatoires devenues, par un glissement énigmatique, obligatoires ou presque.
Quel chemin en arrière parcouru depuis cette époque qui paraît, aujourd’hui, paradoxalement bénie où l’inénarrable Mouloud Kassim, ministre des Affaires religieuses de Boumediène, ramenait à coups de savates vers la salle des travaux, les participants au séminaire sur la pensée islamique désertant les conférences pour accomplir les prières en temps et en heure. En Islam, prêchait-il, le travail passe avant tout !
Et voilà qu’aujourd’hui, des individus comme ce type poussent le délitement jusqu’à agresser une jeune joggeuse pour le seul fait qu’elle coure. Ce qui fait de lui un héros, par accident, entendons-nous, ce sont les suites de cet acte de censure, les conséquences plutôt positives de cette atteinte à une liberté fondamentale, celle de se mouvoir dans l’espace public. Dans différentes ville du pays, des centaines de joggeuses et joggeurs se sont retrouvés pour lui faire un pied-de-nez ainsi qu’ à ses semblables, et courir afin de distancer cette drôle de police morale qui, dans la tête du salafiste algérien, ne trouve rien à redire devant la corruption, le vol, l’arnaque, l’escroquerie, mais est choquée qu’une jeune femme, même voilée comme Ryma, veuille faire du sport. L’onde d’émoi que cet acte a provoquée dans le pays, grâce aussi aux réseaux sociaux, à l’appel à un jogging de solidarité lancé par Radio M., et à la vidéo très attachante dans laquelle la charismatique Ryma raconte cette histoire, ont quelque part fait avancer quelque chose.
Les grands changements partent souvent, comme ça, de petits actes qui paraissent à première vue anodins. Connecté à d’autres actes, dans un réseau complexe, ils commencent à jouer leur rôle d’impulsion du changement. Ryma aurait pu, comme cela doit être le cas de centaines ou de milliers de femmes agressées quotidiennement en Algérie, avoir peur, rentrer la tête dans les épaules et cesser de courir comme le lui a intimé le gardien patenté de la vertu nationale. Mais non, en battante, en combattante, elle a préféré lui tenir tête, aller déposer plainte et ainsi débusquer, à travers la réaction étonnante des gendarmes, la passivité de l’Etat devant la montée spectaculaire d’une nouvelle autorité, celle du salafisme. C’est grâce à sa volonté de rendre publique l’agression dont elle a été la victime que l’opinion a été alertée et que ce mouvement, salutaire, a pu prendre corps. C’est elle, l’héroïne de cette histoire.
A. M.

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