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Rubrique Kiosque arabe

Le Prophète et les filles d'Allah

L'Arabie Saoudite, c'est forcément et même fatalement celle de Mohamed Ben Salmane et de Jamal Khashoggi, la fatalité ayant choisi le second pour être la victime, exauçant sans doute le vœu du premier. La Turquie, ce n'est pas nécessairement la même pour Tayeep Erdogan, le Président à vie, et pour Nedim Gürsel, l'écrivain exilé à vie, parce que son pays a banni l'écriture, entre autres. L'écrivain Gürsel n'a pas quitté son pays de son plein gré, mais avant Erdogan, il y avait déjà Erdogan, et son premier livre(1) est interdit de lecture et son auteur indésirable en Turquie. Au barème des sanctions légales, pénales, ou des liquidations d'adversaires dangereux, Nedim Gürsel était tout à fait désigné pour finir trucidé dans un consulat, érigé en échafaud. Mais il était dit que partager les mêmes valeurs n'inclut pas obligatoirement d'adopter les mêmes méthodes d'élimination des oppositions, même si la tentation est toujours présente. L'écrivain turc aurait pu revendiquer le statut d'opposant, bien avant que Jamal Khashoggi, de sept ans son cadet, ne choisisse la rupture avec un régime qu'il n'avait jamais contesté. Quant à savoir qui de Nedim Gürsel, l'écrivain turc, et de Jamal Khashoggi, le journaliste saoudien, originaire de Turquie, aura le plus marqué son époque, la littérature a déjà tranché.
Les premiers déboires politiques de l'écrivain commencent avec le régime militaire, dès le début des années quatre-vingt, et connaissent leur apogée avec le procès qui lui est intenté en 2009.(2) Dans Les Filles d'Allah, qui «interroge la foi», selon sa propre expression, l'auteur utilise l'histoire de son enfance pour élaborer une version très personnelle et inédite de l'Islam. Dans ce livre, Nedim Gürsel alterne des chapitres sur son enfance, dans la maison de son grand-père, ancien officier de l'armée turque, et des récits sur les premiers âges d'un Islam revisité. Il relate, à sa manière avec des digressions, voire des transgressions pour ses détracteurs, quelques histoires sur l'Islam, racontées par sa grand-mère ou lues dans les livres de son grand-père. Il a ainsi découvert Abraham, le patriarche qui a défié Nemrod, au nom d'un Dieu unique, qui avait voulu éprouver sa foi et sa soumission en lui demandant de sacrifier Ismaïl, son premier-né. Les «filles d'Allah», c'est ainsi que les Arabes appelaient autrefois les trois idoles vénérées à La Mecque, Lat, Manat et Uzza, dont le règne et le culte avaient pris fin avec l'Islam. Les trois déesses, mariées à Houbbel qui ne les traitait pas avec équité, «chuchotaient entre elles», quand les hommes ne venaient pas les prier et qu'elles s'ennuyaient.
Le livre, publié en turc en 2008, avait eu un grand succès de librairie, mais tous les lecteurs n'étaient pas du même avis, puisque l'un deux, un seul, avait intenté une action en justice contre l'écrivain. Il disait s'être senti offensé en tant que musulman par une quarantaine de passages reprenant sous une forme romancée et libre quelques éléments de la biographie du Prophète de l'Islam. On peut se demander ce qu'il y a d'offensant pour la foi à faire dire à Manat que le grand-père du Prophète était venu manifester sa joie d'avoir eu un petit-fils devant les statuettes de pierre. A moins que ce ne soit le passage où la même, un tantinet jalouse de sa sœur Uzza, affirme : «Une seule fois, dans sa jeunesse, il a offert un sacrifice à Uzza. Il faut dire qu'Uzza était la plus puissante, la plus belle et la plus attirante de nous toutes.» «Il est le seul homme dont je n'ai pas tranché le destin, mais c'est lui qui a tranché le nôtre», affirme encore Manat avant d'avouer dans un soupir : «dès le premier regard, j'ai été amoureuse de lui.» C'est peut-être là qu'il faut chercher l'une des vraies raisons du procès, ainsi que la source de contradiction chez des croyants plutôt fiers en général de ce côté séducteur. Toujours est-il que le tribunal d'Istanbul, siégeant à l'époque où Erdogan n'était encore que Premier ministre, avait finalement acquitté Nedim Gürsel.
Toutefois, il pourrait y avoir matière à procès, mais ailleurs qu'en Turquie et sous d'autres motifs, pour peu que les plaideurs potentiels sachent lire l'autre livre consacré au Prophète de l'Islam.(3)
Ici, il n'est pas question de biographie romancée, mais de passer en revue les différents écrits, souvent sources de débats et de polémiques, qui ont orienté les regards des écrivains. Entre la «légende noire», forgée par le monde chrétien et la «légende dorée», construite dans les pays musulmans, la confrontation est arrivée à son paroxysme ces dernières années. Et l'auteur de citer l'affaire des Versets sataniques, celles des «caricatures de Mahomet» et la tuerie de Charlie Hebdo, et d'avertir qu'entre ces deux légendes, seule la «figure littéraire» l'intéresse. De fait, Nedim Gürsel évoque, citations à l'appui, les divers écrits consacrés au Prophète Mohamed (Mahomet pour l'Occident), depuis le moyen-âge, en passant par le siècle des Lumières. Ainsi, l'auteur rappelle comment des appréciations injurieuses du moyen-âge chrétien, la connaissance de l'Islam prit un nouveau tournant avec la traduction du Coran au 12e siècle. On relèvera avec un intérêt tout un chapitre consacré à la fameuse tragédie de Voltaire, Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète, jouée pour la première fois en 1841.
On ne sera pas étonné d'apprendre que la pièce a été retirée de l'affiche, l'année suivante à la Comédie française, pour «dénigrement des valeurs chrétiennes», et attaques «contre le Christ et l'Église». «Aujourd'hui, souligne Nedim Gürsel, ce sont les musulmans qui lui reprochent  d'insulter leur Prophète et qui parvinrent en 1993 à faire annuler la représentation de la pièce à Genève».(4) L'auteur qui s'est installé en France après des études à La Sorbonne est actuellement directeur de recherche au CNRS, et il vient de publier un recueil au titre éloquent : «Etreintes dangereuses».
A. H.

1) Un long été à Istanbul. Interdit à sa parution en 1971, et publié en France en 1980.
2) Les Filles d'Allah - Editions du Seuil (2009).
3) La seconde vie de Mahomet – Le Prophète dans la littérature - CNRS Editions (2018).
4) Quoi de plus normal qu'à l'origine de l'interdiction, on retrouve Tarik Ramadan, ardent défenseur de la liberté d'expression, ainsi que son frère Hani.

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