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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Mourad El Annabi, le caricaturiste au pied de «la grande dame» (2e partie et fin)

Par omar haddadou
La perception artistique corsetée, l’émancipation créative et le porte-mines claustrés, Mourad porte dans sa grosse valise frappée d’ex-libris de migrant désillusionné, un attirail sommaire de dessin, de vieux bâtonnets de fusain, de crayons graphites et un pan de la «Coquette» d’Algérie. a main levée, une décontraction et une dexterité confirmées, il réalise plaisamment des portraits et gagne fièrement sa journée en hexagone.

Fin gouailleur, le migrant excelle dans la technique d’abordage. Dans le cas présent, il taille une bavette immersive en périphrase, mais dans la langue de Shakespeare sur la visite d’Angela Merkel, les hobbys de l’intéressée, en lui tressant des lauriers. Encaisseur-fonceur, il s’aventure sur des impertinences de «what do you think about this visit ?», se connecte sur le discours laudatif et les flatteries d’un virtuose en quête de pièces et coupures aux éléments graphiques européens. 
Il corrige la posture faciale de Fräulein, lui glisse quelques facéties, laisse son doigté s’imprégner de la maîtrise du trait slalomeur versé et continue à discourir, discourir à torrents ; revient sur la sinuosité du galbe d’un cou porcelainé étiré, ombrage le nez fuselé, estampille les parties latérales, dégrossit la charnure d’une lèvre qui se veut gondolante. 
Le maître d’œuvre donne libre cours au déclic qui s’invite à la genèse de sa conception, se moque du prérequis des fameux points corrélés A et B de la jonction adaptée. Téméraire réfléchi, l’artiste se débarrasse narquoisement des disproportions encombrantes, fait corps avec la puissance de la justesse et la liberté d’agir, s’amuse du décalage séditieux d’une mèche rebelle dure à discipliner, bistre les angles morts, dance avec le clair-obscur, envoie au piquet le trait saccadé, bannit les imperfections maçonnées de dilettante adextre, déroule le tapis à l’harmonie… Parfait ! La cohérence, dosée de constance et de fluidité d’un tracé régulier sans fébrilité, est là ! La jubilation aussi. L’homme est en totale lévitation. Vivat ! Au comble de la félicité, il paraphe élégamment son œuvre avant de l’exposer à la cliente, extasiée. L’Allemande se bidonne et le paye grassement. Aufwiedersehen Fraülein ! (Au revoir).  
 Pourtant la matinée s’annonçait inféconde pour ce baroudeur des beaux-arts sur le trottoir avant notre arrivée. 
L’attroupement fortuit de faux gentlemen’s que nous sommes, jabotant à perdre le souffle sur el ghorba, la caricature en Algérie et son impact sur la société civile, lui aurait-il servi d’appât pour ce beau monde accourant au plaisir visuel et du temporel, évitant à Mourad un crash matinal financier. Plus on ravive la dynamo de la parlotte dans la matrice de l’échange dialectal populaire, plus les chances d’épingler les touristes sont grandissantes. Preuve en est avec ce couple de retraités américains et leur fils à moitié bituré. Ils débarquent du Nebraska, l’air enjoué, expansifs à souhait. Mourad recouvre le sourire, se réjouit bizarrement de notre compagnie. 
D’emblée, il annonce la couleur en se risquant sur une question bateau : «Que pensez-vous de la politique du président Trump ?» hasarde le dessinateur. L’épouse glousse, le mari bêle «Politique d’amour et de haine !» Et Mourad de glisser dans la peau du tartuffe bien-pensant… Amadouer, embabouiner sont les maîtres-mots que le caricaturiste adopte sans modération, quitte à bousculer les principes dans l’aire du porte-à-faux. Place au batifolage. C’est parti pour deux sujets à croquer grossièrement. Tiens, on va se gêner ! Tâchons de bien les amuser, les enfants de l’Oncle Sam et le portefeuille aussi.
 La démesure, c’est leur tasse de thé. Ils vont être servis par l’Artiste et son conseillé, venus d’Algérie ya baba ! Alors : «Please look at me and don’t move !» 
Il faut sauver le soldat Rayan… et El Hadja ouel El Hadj au bled, khouya !  Auxquels Momo a promis une omra si le relevé de compte bancaire, menacé de relégation, accède en Nationale 1 et remporte championnat avec l’équipe des Créditeurs. Séance application, honorable lecteur, lectrice. On cale en moins de rien les ellipses, les contours, une chevelure broussaillée, les remplissages et les contrastes. On appuie l’intensité de la pupille de l’œil gauche en atténuant le blanc en vue de stimuler la lumière et d’obtenir l’effet miroir. On titille les ondulations capillaires, quelques coups sur les profondeurs sous les yeux de façon à accentuer la pression et on passe du réalisme au ton loufoque : S’épancher sur le grotesque, le cocasse et l’incongru, l’Algérien sorti des quartiers populaires sait le faire, quel que soit son QI. 
Pour Mourad, ridiculiser les amerlocs relève de la promenade de santé. Et dès que les pépètes se mettent à se trémousser, une coordination entre son cerveau et la feuille de papier s’opère d’un coup de baguette, défiant logiciels numériques et tutoriels «photoshopiques». Panier percé face au récréatif, le vacancier américain aura droit à l’extravagance artistique.                                           
Pour le nez, élément avant-gardiste du personnage, Mourad greffe carrément une colonne-sèche pléthorique, flanquée de deux oreilles vilainement décollées, une bouche sottement béate, agencée d’un menton vertigineusement dégagé, telle une rampe de lancement du porte-avion Nimitz. Des inconvenances qui n’épargneront aucune partie de la binette «Oh ! it’s funny, l like it». 
Le brocard plonge la famille dans l’ivresse. Samuel fait un geste de libéralité pécuniaire et glisse un gros billet. Mourad est disposé à jouer les prolongations, enchaînant les caricatures de chaque membre de la famille ; Ashley, la maman, qui a bu comme un trou, fredonnant  I love Paris de Sinatra (Mourad aussi love it à mort) ; Adam, le père pinté à ne plus se rappeler sa date de naissance. Tous avinés et royalement dessinés, s’acquitteront confortablement de leur note. Ah ! ces Américains, forts en péréquations des dommages collatéraux, savent surclasser leurs rivaux en maîtres de redorure des blasons.                                                                 
Aussitôt partis, Mourad béguète : «Je ne me vois pas siégeant dans un Conseil d’administration, étouffé par une cravate, enserré dans un costume filiforme, obéissant à des chartes de bonne conduite et au balisage de mes réflexes par des réunions convoquant d’autres réunions, suspendu à des bulletins de paie perfusés.  Mon crayon, c’est ma Liberté !»  Le caricaturiste reconnaît avoir  fait tout ce qu’il ne fallait pas faire en période de détresse. 
Maâlich, Momo, on te l’a déjà ressassé : les épreuves mûrissent les hommes. Ta pondération est de ne rien devoir à personne. 
Aujourd’hui, un petit arc-en-ciel auréole son quotidien, oubliant les codes professionnels et les usages rectilignes. Sa famille en Algérie s’inscrit en priorité. Sa touche dégage magie et authenticité. Avant de s’échanger les numéros de téléphone, Mourad nous montre ses précieuses archives. Les caricatures des enfants de Steven Spielberg qui a fait preuve de philanthropie et de grande générosité financière, celle d’un clochard que l’artiste se plaisait à immortaliser gracieusement et le portrait du célèbre rappeur français Doc Gynéco : «Lui, c’est un grippe-sou ! Il m’a refilé 10 euros en se lamentant : les impôts me siphonnent tout mon argent !» se plaint le caricaturiste.                                                                                                          
Les finances publiques ont bon dos quand on est accro aux hallucinogènes.    En attendant d’être indemnisé, Mourad a tout le loisir de se consoler de notre adage populaire : marki fel hit (*) 
                                                                  
(*) Locution (tournure) émanant du jargon populaire, signifiant : «Marque, consigne sur le mur !», faisant référence à la tenue d’une ardoise de dettes non honorées. Elle est employée à l’envi en Algérie par les jeunes pour afficher leur désinvolture en tant que protagonistes de l’insolvabilité dont ils font preuve en position de force, d’abus de pouvoir, de complaisance, d’affinité, de passe-droit, et d’autorité de préemption galvaudée, sous forme de hogra ou d’affinité mutuelle. Les victimes sont généralement les petits boutiquiers, jamais les bouchers pansus ayant le Hachoir Fisher à portée de main.  

 

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