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Rubrique Le Soirmagazine

C’est ma vie Zahir et les faux mendiants

Quand Zahir vit l’indigent s’approcher de lui, après avoir tendu la main et récolté des pièces de monnaie, il le chassa manu militari du café.    

Il devança le quémandeur qui arrivait à son niveau avant qu’il n’ouvrît la bouche :
- Allah inoub, va chercher d’autres crétins à plumer.                                     
Des regards courroucés de tous les donateurs se tournèrent vers lui, ce n’était que grâce à l’intervention du patron des lieux qu’une échauffourée a pu être évitée, c’est lui qui se chargea de mettre les points sur les i au provocateur.
- Monsieur, vous avez le droit de ne rien donner, mais de là à insulter tous mes clients généreux, je ne l’accepte pas, je vous prie donc de vous lever et d’aller vous faire amocher ailleurs.
Zahir, en colère, allait répliquer quand Slimane, l’ami qui était avec lui, le tira par le bras et l’entraîna dehors.
- Qu’est-ce qui t’arrive, tu as perdu la tête, tu aurais pu te faire lyncher en traitant presque tout le monde d’idiots .
Reprenant peu à peu ses esprits, il s’excusa auprès de son ami.
- C’est sorti comme ça, j’étais uniquement furieux contre le mendiant.
- Il ne t’a rien fait, c’est la misère qui pousse les gens à se rabaisser et à demander la charité.
- Moi, je le connais ce lascar. Un jour,   un commerçant lui proposa de décharger son fourgon rempli de marchandises, il l’a regardé comme s’il tombait du ciel avant de l’envoyer paître. Il est deux fois plus fort que moi, mais n’aime pas se salir les mains. La mendicité est une profession plus lucrative et moins fatigante pour ce parasite. C’est pour cela que j’ai pété les plombs tout à l’heure en le voyant jouer au nécessiteux. Notre ville est infestée de faux mendiants.
- Tu exagères un peu, je suis d’accord avec toi en ce qui concerne ce colosse, moi aussi je considère qu’il peut se retrousser les manches et gagner sa pitance d’une façon plus honorable, mais de là à traiter tous les indigents de vils profiteurs est un pas que je ne franchirai pas avec toi. Il ne faut pas généraliser.
- Écoute, si tu veux, toi et moi on va parcourir les rues, les boulevards et certains lieux touristiques de Béjaïa ; j’ai déjà démasqué pas mal d’aigrefins qui se remplissent les poches sur le dos de personnes sensibles avec leurs supplications larmoyantes et leur dénuement apparent.
- Je suis partant pour cette balade, j’aimerais bien voir ces comédiens en pleine action, cela m’évitera de me faire rouler dans la farine à mon tour, accepta Slimane.
La vadrouille des deux amis débuta aussitôt. Premier lieu choisi, la place Gueydon. Ils n’étaient pas assis depuis plus de dix minutes sur un des bancs publics que Zahir désigna un homme à son compagnon.
- Observe le monsieur qui aborde des couples près de la rambarde en face de nous, il baisse la tête, tend la main et implore ses victimes de lui donner quelques pièces de monnaie.  Sa technique astucieuse c’est de mettre dans la gêne l’homme devant sa femme ou sa compagne. Ne voulant pas passer pour un pingre, il est presque contraint de mettre la main à la poche et déposer dans la paume tendue quelques pièces et, parfois, même un billet. Ce soi-disant nécessiteux a hérité d’une somme d’agent qui peut lui assurer une vie de pacha jusqu’à la fin de ses jours.
Puis Zahir indiqua du regard à Slimane un autre monsieur qui, comme eux, assis sur un banc public, scrutait tous les visages des personnes qui défilaient devant lui et, dès qu’il repère quelqu’un qu’il connaît, il bondit et lui coupe le passage pour lui réclamer une cigarette ou de l’argent.
- C’est un retraité qui réside dans un luxueux appartement pas loin et qui est à l’abri du besoin, mais il ne peut s’empêcher de gratter un peu de monnaie et de fumer, à l’œil, durant toute l’année
- C’est vraiment effarant de voir des gens aisés se comporter de la sorte ! constata Slimane.
 - Tu n’as encore rien vu, suis-moi, nous allons maintenant nous rendre à la porte Sarrasine.
Quand ils arrivèrent, Zahir lui montra du doigt un homme qui psalmodiait une litanie apprise par cœur.
- Un jour j’ai vu une vieille dame, apitoyée par le triste sort du mendiant, lui remettre une pièce de cinq dinars, il l’a regardée comme si elle l’avait insulté et, dès qu’elle a eu le dos tourné, il l’a traita de tous les noms devant une assistance médusée dont je faisais partie. On m’a raconté que, chaque fin de journée, il arrivait à amasser de quoi vivre durant une semaine en se goinfrant comme un ogre.
Puis il entraîna son ami au centre-ville.
- Tu vois cette femme qui ressemble à une baleine, assise sur les marches de cette boulangerie, elle ne réclame que des gâteaux ou de l’argent et refuse, d’un geste dédaigneux, le pain qu’on lui donne.
Après la boulangerie, il mena Slimane à une pharmacie se trouvant à une centaine de mètres ; une dame tenant une ordonnance à la main à l’entrée de l’officine suppliait toutes les personnes venant  acheter des médicaments de lui venir en aide.
- A l’entendre, elle est à l’article de la mort et  n’a pas les moyens de se procurer son traitement. Sache qu’elle n’est pas plus malade que toi et moi et que tous les ans elle se paye, avec l’argent récolté, un voyage hors de nos frontières avec son mari.
Un peu plus loin, les deux amis s’arrêtèrent devant une très vieille femme assise sur un fauteuil roulant ; le guide la désigna discrètement à son ami.
- Un membre de sa famille la dépose là le matin et ne vient la chercher qu’en fin de journée, je ne sais même pas s’il lui ramène à manger à midi. L’état dans lequel    se trouve cette pauvre dame touche beaucoup de passants qui n’hésitent pas à déposer quelques pièces dans l’assiette posée sur ses genoux. Je trouve que c’est plus que révoltant d’exposer, à la vue de tous, une mère, une grand-mère de son âge pour de viles raisons pécuniaires. 
Puis se tournant vers son ami qu’il sentait un peu fatigué après ce long périple à travers la ville, il lui proposa:
- Si tu n’es pas trop éreinté, je t’emmène voir jusqu’où la cupidité peut pousser certaines familles à exploiter d’une façon abjecte les handicaps qu’ils sont normalement tenus de protéger ; après cela, nous nous rendrons dans un café où je pourrais te raconter une ou deux histoires que j’ai vécues moi-même ; Slimane accepta la proposition d’un hochement de tête.
 L’accord obtenu, Zahir emmena son compagnon devant un homme dont l’infirmité lui interdisait toute position verticale, puis il chuchota à l’oreille de Slimane.
 - Ce n’est qu’en rampant comme un petit enfant qu’il arrive à se déplacer sur ce trottoir où des charognards sans scrupules le déposent toujours à l’aube pour ne pas être vus. Ce malheureux a, en plus, un défaut de locution qui l’empêche de prononcer des mots cohérents ; là aussi certaines âmes sensibles ne peuvent résister à l’envie de poser quelques pièces dans la paume calleuse qu’il réussit très difficilement à tendre vers eux.
- Comment des parents valides arrivent-ils à se regarder dans une glace tout en sachant que c’est celui dont ils doivent prendre soin, protéger et essayer d’alléger les souffrances qui trime pour eux d’une façon aussi dégradante? Que la bouffe qu’ils ingurgitent les étouffe ! s’écria rageusement le compagnon de Zahir.
Après cette harassante prospection, les deux promeneurs, fourbus, décidèrent de mettre fin à leur tournée à travers la ville.
C’est attablés devant deux tasses de café que Zahir continua à déverser toute sa rancœur sur les filous qui veulent vivre sur le dos des autres.
- J’avais un ami, que j’ai toujours considéré comme un vrai nécessiteux durant plus de vingt ans. Où que nous allions, c’était toujours moi qui mettait la main à la poche, j’aurais bien aimé qu’il fasse ce geste rien qu’une fois dans sa misérable existence, je ne l’aurais pas laissé sortir un sou ; c’est sûr, il ne l’a jamais fait, je m’en accommodais sans piper mot.  Et ce, tout simplement parce que j’avais un salaire un peu supérieur au sien et qu’il n’arrêtait pas de gémir et de se plaindre qu’il n’arrivait pas à joindre les deux bouts, quand il me réclamait des petites sommes d’argent pour finir le mois. Cela dura jusqu’au jour où j’ai appris par un de ses collègues de travail qu’il venait de s’acheter un appartement grand standing avec vue sur  mer qu’il a payé cash ! J’ai failli m’étouffer. Je n’en croyais pas mes oreilles !  Après enquête, j’ai su que c’était vrai. Lorsque je l’ai revu, il a passé sous silence son acquisition et, comme d’habitude, il a commandé son «crème-gâteau»;   j’ai pris la même chose. Quand le serveur est venu pour l’addition, je n’ai payé que la moitié de la note. Surpris, l’employé m’a regardé sans comprendre. 
 -Je ne paye que ce que j’ai consommé, avais-je expliqué. Puis, me tournant vers l’aigrefin, j’ai dit :
- Mabrouk pour ton appart. 
Et je suis parti. Plus jamais je n’ai adressé la parole à ce profiteur. Ce soir-là, en me rendant à la mosquée, à la fin de la prière, j’ai questionné le cheikh au sujet de cet ami de longue date, et sa réponse fut la suivante.
- Tu n’as rien à te reprocher, tu agissais selon ce que te dictait ton cœur.
- Je ne dis pas qu’il n’y a pas  de vrais nécessiteux ; quand il m’arrive d’en rencontrer, je les reconnais de suite à leur humilité, leur discrétion, pas comme ces exhibitionnistes de faux mendiants qui s’affichent un peu partout.

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