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Rubrique Les choses de la vie

Dansons sous les… pétrodollars

Comme il a raison de souligner que l’affaire du meurtre de Kashoggi est la crise la plus grave depuis qu’il est à la Maison Blanche ! Programmé pour faire des affaires et réussir dans ses transactions commerciales – ce qu’il sait faire ­—, il découvre que conduire le pays le plus puissant de la terre n’est pas une simple affaire de sous et qu’elle implique une maîtrise approfondie des dossiers internationaux et une pratique minima de l’art de la diplomatie. Pourtant, ce Trump, que l'on a trop tendance à présenter comme quelqu'un de capricieux et d'imprévisible, me semble être le Président le plus franc et le plus clair de l'histoire des Etats-Unis. Ce qui ne l'empêche pas d'être aussi le plus réactionnaire ! Encore une fois, il ne se cache pas derrière les grands principes pour dire ce qu'il veut dans cette affaire du meurtre sauvage d'un journaliste saoudien dans le consulat de son pays à Istanbul. Et si des contradictions peuvent apparaître parfois dans ses prises de position à propos de cette affaire, il faut les mettre sur le compte des pressions énormes qu'il subit de la part du Congrès et de la presse. Mais il y a un feu rouge qui clignote dans ses déclarations comme une ligne à ne pas dépasser : les affaires avec le royaume wahhabite ! Pas touche aux intérêts financiers énormes engrangés par ces relations privilégiées avec Riyad ! Faites ce que vous voulez mais ne remettez pas en cause les contrats d'armement, ni les investissements saoudiens aux Etats-Unis.
Finalement, n'est-ce pas là le vrai Trump qui parle, le milliardaire affairiste placé depuis des décennies sur l'orbite du capitalisme triomphant où n'existent ni valeurs morales, ni obstacles diplomatiques ? Les éditorialistes cherchent à comprendre le Président avec des grilles de lecture inadéquates car l'homme ne pratique pas la politique comme n’importe quel Président. Sa politique à lui, c'est comment gagner plus d'argent ! Cette Amérique de la compétition et du profit, toujours soumise à la logique de la réussite individuelle, avait pour habitude d'envoyer à la Maison Blanche ses représentants emblématiques, des hommes issus des grandes familles qui tentent parfois de se reproduire au pouvoir avec des frères, des enfants, voire une épouse (cas d’Hillary Clinton). Mais cette fois-ci, elle a donné son quitus à un symbole du self-made-man, l'un des traits marquants de la réalité américaine. Un homme qui a réussi tout seul, un homme qui a touché à tout dans sa vie et qui porte finalement ce rêve américain sans paternité quelconque (famille réelle ou politique). Car, et il ne faut pas l'oublier, si cette terre a enfanté des valeurs de liberté et de droit devenus universels, l'histoire de ses réussites traîne une réputation aux antipodes de ces principes cardinaux : du massacre des autochtones aux guerres impérialistes, en passant par l'esclavage et le racisme, pour finir par les inégalités et l'individualisme. Trump porte ces contradictions au fond de ses gènes car il est à la fois le symbole de la réussite individuelle et aussi le raciste, l'insensible, l'égocentrique et le cynique, celui qui ne veut pas d'immigrés, refuse l’aide médicale aux pauvres, construit un mur à la frontière mexicaine et ne dit mot des effroyables massacres au Yémen pour ne pas heurter ses pourvoyeurs ! 
Voilà pourquoi il va tout faire pour que les liens stratégiques avec l'Arabie Saoudite ne soient pas affectés par cette affaire. Durant toute la semaine, il a gardé l'oreille tendue vers Riyad et Ankara, tout en écoutant les réactions des parlementaires de son pays qui sont presque unanimes à souhaiter une remise en cause de ces relations. Trump attend de Riyad des signaux qui lui permettront d'organiser sa riposte.(1) Si Mohamed Ben Salmane arrive à s'en sortir et à garder le pouvoir sans trop de dégâts, Trump ne ferait rien qui nuirait à l'avenir du jeune prince. Une tempête est faite pour passer... Mais si MBS est remis en cause de l'intérieur, le chef de la Maison Blanche n'hésiterait pas à le sacrifier pour sauver des liens qui sont essentiellement à caractère économique mais pas seulement ! En effet, et si j'ai dit tout à l'heure que Trump ne fait pas de politique, il faut quand même signaler que la seule «idéologie» qu’on lui connaisse, outre son anticommunisme primaire, est la défense tous azimuts d'Israël et des thèses sionistes soufflées par son gendre, un ami intime de MBS. Une raison supplémentaire de tout faire pour que le prince héritier s'accroche ; c'est le meilleur défenseur d'Israël dans tout le monde arabe. Une personnalité israélienne a dit tout haut ce que pensent les sionistes du monde entier : «Ben Salmane doit rester... Nous l'avons attendu cinquante années durant.» Donc, Trump ne le lâchera qu'en cas extrême, quand vraiment il sentira que c'est le prix à payer pour sauver le pouvoir des Al Saoud.
D'Ankara, Trump n'a pas appris beaucoup de choses de la bouche du Président Erdogan. Ce dernier a juste confirmé officiellement ce qui n'était qu'écrits de presse. On ne comprend pas pourquoi les autorités turques ont attendu tout ce temps pour divulguer des informations connues par tout le monde depuis le 2 octobre ! Et ceux qui parlent aujourd'hui de transactions entre l'Arabie Saoudite et la Turquie ont de bonnes raisons de le penser. A aucun moment, le Président turc n'a semblé ferme et direct dans ses déclarations sur la responsabilité des plus hautes autorités saoudiennes. Seulement des souhaits... Souhait que les Saoudiens enquêtent et aillent plus loin que les subalternes des «renseignements», souhait que la lumière soit faite sur les aspects sombres du dossier, souhait que les quinze membres du commando tueur soient jugés à Istanbul, etc.
Tout cela, Trump n'en a que faire, d'autant plus qu'il a envoyé son secrétaire d'Etat, puis la directrice de la CIA pour s'enquérir de la situation. Du moins, officiellement. Je pense plutôt que ce ballet diplomatique, ainsi que les coups de fil entre le roi saoudien et Erdogan font partie d'un vaste plan d'arrangements divers dont le fil conducteur est le pétrodollar. Tout le monde sortira gagnant. Nous suivons ce dossier depuis le 2 octobre et, aujourd’hui, il nous reste cette nette impression que si Riyad a perdu du temps à dire une chose et son contraire, c’est parce qu’elle était sérieusement déstabilisée par les conséquences du crime et qu’elle avait du mal à agencer les séquences de sa riposte sans mêler le prince. Le cas d’Erdogan est différent. Son discours a été la montagne qui accouche d’une souris et c’est là le signe d’un recul très net de la part des Turcs qui, certes, ne pouvaient pas incriminer le prince héritier sans preuves, mais ont choisi délibérément de ne plus parler des faits compromettants comme la participation au meurtre des proches collaborateurs de MBS ou les très nombreux coups de fil donnés par El Moutrib, un membre influent de la sécurité du prince, le 2 octobre, à partir du consulat. Quatre de ces communications étaient faites en direction du secrétariat de MBS ! Et pourquoi avoir laissé partir le consul ? L’argument des accords de Vienne ne tient pas la route car, au moment de son départ, les Turcs savaient tout. Ce serait plutôt l’appel téléphonique du roi Salmane qui aurait facilité ce départ. On peut aller très loin dans la réflexion autour d’un repli turc qui a mis près d’une vingtaine de jours à prendre forme, le temps de vendre très cher ce silence et pas seulement pour des sous. Arrêter d’embêter le Qatar et assainir les relations avec le petit voisin serait aussi un aspect déterminant du marché.
Il reste l’Europe, la presse et… le Congrès pour exiger que justice soit faite et confondre un prince vers qui mènent tous les fils de cette sale affaire ! Mais l’Europe est divisée entre vendeurs d’armes et nations plus «morales» et son influence est plutôt limitée comme le montre le dossier iranien. La presse découvrira tôt ou tard des actualités plus alléchantes(2) et le Congrès est une crypte où dorment déjà tant d’affaires enterrées sous des tonnes de dollars… Alors qui pour offrir une sépulture à Kashoggi et surtout qui pour faire payer ceux qui ont transformé le Yémen heureux en un immense tombeau ?
M. F.

1) Cet article a été écrit quelques heures avant la réunion de Trump avec ses collaborateurs pour annoncer la réaction officielle des Etats-Unis.
2) FLN : la scène des dobermans était grotesque mais il y a mieux… Fermer le Parlement avec des cadenas et empêcher le président légitime d’entrer puis courir au bureau de ce dernier pour constater qu’il est vide et, vite, élire un nouveau chef : ça, même Hollywood ne l’aurait pas trouvé ! Je refuse de cautionner ce cinéma surréaliste en lui consacrant une chronique.

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