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Rubrique Les choses de la vie

Isabelle Ramos et Abassi Madani

C’était le premier jour du Ramadhan. Nous étions à la fin de la décennie Chadli et les événements en Algérie faisaient courir les journalistes du monde entier. Ce jour-là, je devais accompagner une journaliste espagnole, Mlle Isabelle Ramos du quotidien catalan Avan Gardia, chez le leader du FIS. Un confrère marocain m’avait téléphoné quelques jours auparavant pour me demander d’aider la consœur espagnole dans son boulot, un reportage sur le parti intégriste. Elle voulait notamment obtenir une interview d’Abassi Madani. Le numéro de téléphone de ce dernier se trouvant chez quelques journalistes de la rubrique nationale d’Horizons – dont j’étais directeur de la rédaction, je pus contacter facilement le cheikh qui me fixa rendez-vous pour le lendemain. Et c’était le premier jour du Ramadhan 1989…
La Mazda noire du journal nous déposa en face du petit immeuble mitoyen du pont d’Hydra où nous attendait un gaillard en veste de cuir. Longue barbe et abondance de k’hol autour des yeux. Isabelle Ramos, très excitée à l’idée de rencontrer celui qui faisait la Une des journaux, avait un peu peur de ce mastodonte, mais elle fut rassurée par la voix douce de ce dernier et ses gestes d’invite qui nous montraient l’entrée de l’immeuble. En pénétrant dans la cage d’escalier, Isabelle marqua un temps d’arrêt, ouvrit son sac à main et en tira un foulard dont elle se couvrit la tête. Je lui fis remarquer que cela n’était pas nécessaire, qu’elle était une journaliste étrangère en mission et que le leader du FIS ne lui tiendrait pas rigueur du fait qu’elle n’avait pas de voile sur la tête ! Quand même, on n’en était pas là ! Nous avions encore quelques espaces de liberté et les femmes étaient en première ligne du combat pour la liberté et la démocratie, cette même démocratie que les islamistes qualifiaient de «kofr». Enfin… Elle pouvait faire ce qu’elle voulait la jeune journaliste de l’Avan Guardia et ce n’était pas mon problème d’autant plus que je m’apprêtais à déguerpir de l’immeuble une fois ma mission accomplie, c’est-à-dire après avoir présenté la journaliste au cheikh.
Averti par son gaillard de garde du corps, Abassi Madani nous attendait à la porte de son appartement. Il portait une gandourah algérienne grise, une «arakia» blanche à la tête et semblait en forme. Rouquin, on l’aurait pris pour un ouvrier polonais de G’dansk s’il n’avait pas cette tenue traditionnelle. Il me serra la main, en fit de même avec Isabelle et nous invita à rentrer. Je poussai la jeune femme à l’intérieur de l’appartement, fit un signe d’adieu au cheikh et m’apprêtai à descendre l’escalier quand il me retint par la manche de mon veston :
- Restez ! Qui va faire la traduction ?
- Cheikh Abassi, ce n’est pas mon rôle ! Ici s’arrête ma mission. Et puis, je suis à la tête d’un journal du gouvernement. Vous dites souvent que nous sommes des «moukhabarate» ! Je n’ai pas à assister à cette entrevue !
- Venez, entrez…
Visiblement, le cheikh insistait. Il me regarda dans les yeux et me répondit : «Oujh et khrouf maârouf» (le visage de l’agneau est connu !). Je me tournai vers Isabelle, plantée comme un point d’exclamation dans le hall de l’appartement. Je lisais dans ses yeux une supplication. Elle semblait me dire : «Tu ne vas pas quand même me faire rater mon interview ? S’il te plaît…»
Abassi Madani nous poussa vers le salon et ferma la porte.
Me voilà traducteur-interprète du chef intégriste qui avait pour mission d’installer une théocratie en Algérie et même si, dans ces années d’apprentissage de la démocratie, notre journal essayait d’être «neutre» dans la bataille que se livraient les partis légaux (et le FIS en faisait partie), nous avions quand même quelques appréhensions nourries par la violence verbale d’un Ali Benhadj et le comportement des militants du parti fondamentaliste. Les questions d’Isabelle étaient de celles que poserait tout journaliste occidental, un mélange d’interrogations religieuses et de colles politiques. La liberté de la femme, l’économie islamiste, les rapports avec l’Europe, la question de la démocratie, la liberté d’expression, tout y passe. Je traduis le plus fidèlement les paroles du cheikh, embarrassé et mal à l’aise dans ce rôle qui ne me plaisait pas du tout et dans lequel j’étais embarqué malgré moi. Le cheikh suivait mes phrases une à une et quelque chose me disait qu’il maîtrisait aussi le français et qu’il aurait pu, après tout, parler directement dans cette langue et m’éviter ainsi cette incursion dans une affaire qui ne me concernait pas du tout. Pourquoi alors m’avoir gardé ?
Nous en étions au milieu de l’interview quand la porte du salon s’ouvrit. Un gosse pilotant un engin en plastique vint à nos pieds et nous perturba quelques instants par le vrombissement qu’il imitait comme tous les enfants de son âge lorsqu’ils ont un volant entre les mains. C’était le plus jeune des fils d’Abassi Madani, un bébé presque qui doit avoir aujourd’hui entre trente-deux et trente-quatre ans. Son père lui intima l’ordre de sortir, dans un arabe classique qui me semblait sorti d’un feuilleton libanais. Abassi Madani profita de cette pause pour proposer une boisson à Isabelle qui resta interloquée :
- Mais vous n’êtes pas musulmane ! Vous n’êtes pas concernée par le jeun du Ramadhan ! Moi et Maâmar si ! Que voulez-vous boire ? Un thé ou un café ?
Isabelle refusa au début mais, devant l’insistance du cheikh, finit par accepter une tisane…
Le reste de l’interview se déroula sans faits marquants. Le cheikh me remercia d’avoir été fidèle à ses paroles. Il nous salua à la porte de son appartement et je ne le revis plus jusqu’à ce jour. Le souvenir que je garde de cette rencontre est que Abassi Madani, porteur d’un message fasciste que tous les démocrates et les républicains ont combattu, est le plus dangereux des chefs intégristes parce qu’il a une capacité de séduction hors du commun. Contrairement à un Ali Benhadj dont les prêches enflammés ne s’adressaient qu’à une minorité d’extrémistes prêts à tout, Abassi Madani pouvait rassurer des millions d’individus, militants, sympathisants du FIS ou simples citoyens qui voyaient en cet homme calme et serein, habillé à la manière de nos grands-pères, le patriarche pieux et sage qui peut les conduire vers le bonheur terrestre. Un bonheur qui s’est transformé en malheur pour des centaines de milliers de familles et qui a coûté au pays des destructions massives et un retard considérable dans son avancée économique et sociale.
En sortant du petit immeuble et avant de s’engouffrer dans la Mazda noire d’Horizons, Isabelle jeta un dernier coup d’œil aux fenêtres de l’appartement du cheikh en lançant ces mots qui sonnent encore dans ma tête :
- Il est cool Madani ! Il n’est pas dangereux du tout ! Pourquoi vous avez peur de son parti ?
M. F.

P. S. : est-il normal que ce grand pays démocratique, chef de file des découvertes scientifiques et des prouesses technologiques, qu’est l’Amérique, soit à ce stade stupide, incompétent et ridiculement en panne d’idées quand il s’agit de justifier ses crimes innommables ? En 2003, les Etats-Unis inventaient la blague des armes de destruction massive pour renverser et tuer Saddam et détruire une grande nation. Quelques années plus tard, Collin Powell avouera qu’il avait menti au Conseil de sécurité ! Les quotidiens américains publièrent des éditoriaux mea-culpa, s’excusant auprès de l’opinion pour les mensonges véhiculés à propos de l’Irak.
Il y a quelques mois, Trump bombardait une base aérienne pour une autre histoire : du gaz mortel répandu sur des populations civiles. Nous avions expliqué que Bachar Al Assad n’était pas aussi fou pour créer de ses propres mains un piège dont il sera la première victime. En fait, quand l’Amérique veut passer à l’action, la CIA agit à l’avance pour justifier l’attaque. Et revoici les mêmes scénarios d’une mièvrerie pitoyable ! Quand même, ils auraient pu faire preuve de plus d’imagination ! Quant aux quotidiens américains, ils auront tout le temps de retrouver une conscience qui se réveillera en retard, comme toujours…

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