Algérie, Brics et Nouvel ordre international en construction

Rappelons deux choses que nous ne pouvons pas ne pas lier un tant soit peu : la volonté de l’Algérie d’adhérer aux Brics, exprimée au plus haut niveau de l’État algérien, et la déclaration du Président russe Vladimir Poutine, lors du forum commercial des Brics (juin 2022), selon laquelle «la question de la création d’une monnaie de réserve internationale basée sur un panier de monnaies de nos pays est en cours d’élaboration».
Cette déclaration a un soubassement. On se souvient donc que la Russie a été coupée de la plateforme interbancaire SWIFT, rouage essentiel de la finance mondiale. Mais ce que les médias occidentaux meanstream n’ont pas dit alors à leurs opinions, c’est le fait que les Russes étaient déjà préparés à cette situation de rupture, et qu’ils ont déjà développé et utilisé leur propre système de paiement, le SPFS, équivalent de SWIFT, développé par la Banque centrale de Russie depuis 2014 ! Après les menaces récurrentes de l’Occident de déconnecter leur pays de ce réseau de réalisation de virements bancaires sécurisés créé en 1973 par une société de droit belge, les Russes ont en effet commencé à construire le SPFS. Il s’agit d’une alternative viable pour les paiements internationaux qui, selon leurs propres termes, permettra «de réduire la dépendance à l’égard du système financier occidental».
En attendant la réduction substantielle de cette dépendance à l’égard du système financier international de la Russie et de ses alliés stratégiques notamment, Moscou prend des mesures pour renforcer l’alliance entre les nations des Brics, en réorientant en premier lieu le commerce vers la Chine et l’Inde. «Nous sommes activement engagés dans la réorientation de nos flux commerciaux et de nos contacts économiques étrangers vers des partenaires internationaux fiables, principalement les pays des Brics», a déclaré Vladimir Poutine dans son discours vidéo d’ouverture aux participants du sommet des Brics en juin.
Question essentielle en lien avec cette volonté de s’affranchir de l’impérialisme financier, soutenir ce commerce avec le dollar est assez problématique non seulement pour la Russie, mais aussi pour tout pays qui pourrait aujourd’hui ou à l’avenir être en désaccord avec les États-Unis, à commencer par notre pays l’Algérie. La Russie en a fait l’amère expérience au début de l’année, après avoir découvert que 300 milliards de ses réserves de devises en dollars avaient été littéralement volés. Moralité, toute monnaie alternative doit être soustraite à toute influence occidentale dans le commerce international.
On sait que le dollar américain est soutenu par la devise «la pleine foi et le crédit» du gouvernement américain, autrement dit… la dette aliénante ! Ce système de dépendance étroite est vital pour les États-Unis, mais en fait c’est un problème plus important pour les acteurs du système en dehors des États-Unis. Pourquoi ? Parce que les USA se sont affranchis du remboursement de leurs propres dettes, et que cela implique pour les autres le remboursement de leurs dettes. Cela alimente une tendance haussière pour le dollar, et cette même tendance haussière crée une boucle de rétroaction positive pour les États-Unis, dans le sens où le produit d’une réaction entraîne une augmentation de cette réaction. Dans un tel contexte, cela entraîne davantage de faillites en particulier dans les marchés émergents. Mais, effet paradoxal, cela crée aussi une situation où des pays comme les Brics réfléchissent pour réduire la surface du préjudice en trouvant des avantages évidents à l’instauration d’un système monétaire alternatif, même quand ils ne sont pas parfois pénalisés pour les défauts de paiement de l’ancien système dirigé par les États-Unis et derrière eux les autres Occidentaux.
Un exemple pratique à plus petite échelle : disons que vous possédez une villa d’un million de dollars en Suisse et que vous avez une hypothèque de 600 000 dollars sur celle-ci. Vous en assurez le service avec des revenus en francs suisses. Puis, à un moment donné, la devise suisse s’envole, entraînant une hausse des taux, et votre capacité de remboursement s’effondre par conséquent. Vous savez que même si vous dépensez jusqu’à votre dernier centime pour payer votre hypothèque, vous allez quand même perdre votre maison. Votre banque a une longue histoire de comportement menaçant et d’expulsion des gens de leur maison hypothéquée. C’est aussi la seule banque de la ville, et si vous vous mettez en porte-à-faux avec elle, vous n’obtiendrez plus jamais de prêt. Mais imaginez que vous puissiez déclarer faillite, mais surtout nationaliser votre maison et dire à cette banque d’aller se faire voir chez les Esquimaux ! Naturellement, cette banque ne sera pas contente de vous et ne vous accordera plus aucun crédit, peut-être jamais. Mais vous garderez tout de même votre maison, sauf dans le cas où on viendra vous expulser par usage de la force, ou dans le cas ou une banque alternative plus souple vous propose une solution non basée sur la contrainte.
Nous n’en sommes donc qu’au début d’un lent mouvement des plaques tectoniques de l’affranchissement souverain des nations, mais les choses évoluent très rapidement. Ce qui mérite d’être pris en compte, c’est que ce nouveau système monétaire basé sur les Brics n’est pas fondé sur la dette en place, où les acteurs sont liés à elle comme des serfs éternels. Ils ont besoin de quelque chose de nouveau et qui ne soit pas coercitif. Une carotte sans le bâton, pas la carotte et le bâton sempiternel en même temps.
Ce nouveau système monétaire sort un peu des limbes, comme on le constate à travers un site d’information russe. Ce journal en ligne a annoncé que «la Russie propose une nouvelle norme internationale pour le commerce des métaux précieux : le Moscow World Standard (MWS) qui deviendra une alternative à la London Bullion Market Association (LBMA) qui manipule systématiquement les marchés des métaux précieux pour faire baisser constamment les prix. Selon le ministère russe des Finances, cette nouvelle structure internationale indépendante est nécessaire pour «normaliser le fonctionnement du secteur des métaux précieux» et sa création est «d’une importance capitale».
Nous y sommes un peu déjà. Les fondations d’un nouveau système monétaire sont en train d’être posées, et le commerce international se fait désormais, même partiellement, en dehors des institutions et des centres financiers occidentaux jusqu’ici outrageusement dominants. L’Algérie, stratégiquement liée à la Russie et la Chine, bloc-locomotive des Brics, a vu juste en exprimant sa volonté d’y trouver sa place, comme elle a vu juste, hier, lorsque le président Houari Boumediene est allé à l’ONU y plaider pour l’avènement d’un NOM, le Nouvel Ordre Mondial. Bien avant la grande Russie de Poutine.
N. K.