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Rubrique Point_Virgule

El Anka créatif pub de génie !

On connaît le Cardinal du châabi algérois, maître incontesté de son art musical, interprète en virtuose d’environ 360 poèmes métriques (qassaïd) et producteur prolifique de quelque 130 microsillons en un demi-siècle de carrière singulière. Les «douwaquine», c’est-à-dire les mélomanes qui savent apprécier le beau, n’ignorent pas non plus que Hadj Mhamed El Anka était aussi un virtuose du mandole, ce cousin algérois à cordes pincées de la mandoline italienne. Ils savent aussi que l’auteur de la mythique et ultime œuvre artistique Sobhan Alla Ya Ltif, l’avait exécutée en l’accompagnant spécifiquement d’un mandole spécialement dédié.
Instrument fabriqué sur mesure, c’est-à-dire à la juste mesure de son jeu spécifique et plus conforme à son extraordinaire inspiration. Il avait alors demandé à l’artisan-luthier pied-noir espagnol, Jean Bellido, de lui redessiner en 1932 sa demi-mandoline. L’artisan ibérique aux mains d’or, qui était aussi professeur de musique, lui allongea donc le manche, tout en agrandissant la table d’harmonie. Le résultat final aboutira à la naissance du mandole typiquement algérien, que nous connaissons aujourd’hui et qui est désormais un instrument consubstantiel au châabi. On sait par ailleurs que le sphinx de la çanâa algéroise était un instrumentiste polychrome, tout aussi à l’aise avec un luth, une guitare et un tar qu’avec un violon ou un banjo.
Comme on a noté d’autre part qu’il fut aussi un parolier d’une incontestable qualité poétique. En revanche, on connaît beaucoup moins bien une facette particulière de son talent polymorphe : son génie de créatif pub mis subtilement au service du géant pétrolier Shell en 1963, et servi harmonieusement par son mandole qui crache des notes de folle allégresse qassbaouie !
La rencontre d’El Anka avec la multinationale anglo-néerlandaise sera matérialisée par un 45 tours, sous forme de disque offert à chaque automobiliste qui aura fait un plein d’essence dans une station au logo de la compagnie. D’ailleurs le microsillon porte la mention explicite de «disque offert par Shell», et une voix de femme dit la même chose en prélude à la chanson où la réclame pour la société énergétique est subliminale et tout à fait sublime !
Sur le dos de la pochette du disque, illustrée par les couleurs d’un soleil tout en feu, il y a la photo de Hadj Mhammed en médaillon surplombant le poème de la chanson. Le texte, tout en rimes, porte le titre infraliminaire, splendidement évocateur de «chèl el barq chèl» (l’éclair a fusé !), dont la phonétique arabe suggère le nom de la multinationale ! El Anka, roi de l’équivoque évocatrice et savoureusement éloquente !
Le reste de la chanson est une ode d’amour gai comme un printemps algérois, et une évocation poétique de la joie de vivre dans une région méditerranéenne où le climat, les paysages et la flore évoquent en communion l’Eden. Avec cette particularité qui en dit long sur le génie de créatif pub infraliminal d’El Anka : le poème, de valeur littéraire certaine, est ponctué de refrains qui, tel un leitmotiv commercial, répètent le titre suggestif de la chanson, rengaines reprises par le chanteur et un étonnant et inédit chœur féminin.
Ce disque, distribué dans tout le réseau de stations-services de Shell est pourtant une précieuse rareté. Il n’existe sur YouTube que sous forme d’interview avec un heureux collectionneur algérien émigré en France, un certain Benayad, propriétaire comblé d’un disque de ladite chanson. L’entretien réalisé avec lui à Paris, à l’occasion de la « Phonogalerie » de 2012, est ponctué d’extraits du joyeux tube.
On trouve d’autre part sur YouTube, et fort heureusement, l’enregistrement audio intégral et surtout de bonne qualité de «Chèl el barq chèl», d’une durée de 11 minutes et 26 secondes, une version non commerciale de la chanson en question. Mise en ligne par un youtubeur anonyme mais philanthrope en cette même année 2012. Il existe par ailleurs sur le même réseau de partage un autre enregistrement, légèrement plus court, mis en ligne en 2018. Il comporte le texte complet du poème écrit par El Anka dans une élégante darija algérienne. Ce poème n’est autre, en fait, qu’une tapisserie en arabe littéraire simple, sobre et tout simplement superbe de sonorités et de rythmes alertes et allègres. Un morceau de «khélwi» châabi, le tarab algérois qui procure le nirvana !
Dans ce morceau de poésie digne du melhoun algérien et marocain de belle facture, El Anka a en fait tissé un parfait sonnet de monosyllabes. Une architecture en rimes strictement codifiée, en treize vers, composant des quatrains et des tercets, réunis en un sizain final. Le tout entrecoupé d’un divin istikhbar, en guise d’improvisation non mesurée sur la gamme, et conçue comme un repos au milieu de la chanson.
A chaque écoute de « Chèl el barq chèl », le chroniqueur du « Point-virgule » se dit vraiment que « l’éclair a fusé » dans son âme de mélomane de Soustara, bercée à chaque fois par la magie ankaouie !
Auteur de La Métamorphose, Franz Kafka disait que «la musique est une amplification de la vie sensible. La poésie, par contre, est une façon de maîtriser, de sublimer». Pour sa part, Roland Topor, peintre, dessinateur, poète, dramaturge, metteur en scène et chansonnier, pensait que «l’humanité a besoin de sublime et que le sublime du sublime, c’est l’art». Hadj Mhammed El Anka, lui le créatif pub pour Shell, entre autres facettes de son génie artistique, a, lui, tiré le sublime des cordes de son mandole, sa vie artistique durant.
N. K.

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