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Rubrique Société

Consommation des produits aquacoles : «Il est temps de changer nos habitudes alimentaires»

Propos recueillis par Sarah Raymouche
Myriam Benali, PhD en écologie marine et doctorante, explique dans cet entretien pourquoi le prix de la sardine au kilo a augmenté et décortique la consommation des Algériens des produits issus de la mer.
Le Soir d’Algérie : Pourquoi le prix de la sardine a-t-il augmenté ?
Myriam Benali :
L’impact de la spéculation et de l’augmentation du nombre d’intermédiaires avant d’arriver à nos étals est souvent avancé pour justifier la hausse des prix de ce produit, ce qui, en soi, n’est pas à écarter. Mais les raisons effectives sont davantage liées aux pratiques de pêche destructrices et aux phénomènes climatiques qui modifient les schémas de circulation océanique.
La sardine étant un poisson pélagique, c'est-à-dire qu’il vit dans la colonne d’eau, ses populations dépendent fortement des régimes de courants sur nos côtes. Bien avant les années 1950, le phénomène de fluctuation des prises de sardines était déjà étudié par les chercheurs de la station d’aquaculture et de pêche de Castiglione (actuel CNRDPA de Bou-Ismaïl), tantôt de grands bancs étaient observés, avec des pêches miraculeuses, d’autres fois l’espèce se faisait rare, aujourd’hui encore, on parle d’années « meilleures » que d’autres. Comme pour beaucoup d’espèces migratrices, les changements climatiques actuels modifieraient les trajectoires des populations de sardines, celles-ci tendent à aller vers des eaux plus froides. Malgré les nombreux travaux de nos chercheurs halieutes ayant fixé les périodes de pêche et tailles de mailles autorisées, les pêches durant les périodes de reproduction et de ponte, le non-respect des tailles minimales marchandes, avec des sardines sur le marché de plus en plus petites ou pleines, continuent de compromettre le renouvellement des stocks. Sans compter la pêche de la sardine à la dynamite qui cause la destruction d’autres habitats, avec des conséquences irréversibles sur nos écosystèmes.

Hormis la sardine, quels sont les produits soumis à une forte consommation ?
Quasiment tous les produits de la mer, à leur tête les autres poissons pélagiques, dits poissons bleus, tels que l’anchois, l’alose, le chinchard, les thonidés, barracuda et bogue (cette dernière est exceptionnellement un poisson blanc). Les poissons blancs, ou démersaux, ceux qui vivent près du fond, tels que les sparidés (daurade, sar, pagre, pageot), rouget, merlan, les crustacés et les céphalopodes, sont également tous prisés, l’étroitesse du plateau continental du littoral algérien en fait des ressources plus limitées ; ils sont bien plus chers que les poissons bleus.
L’Algérien consomme à peu près tous les produits consommés par « un Méditerranéen » des deux rives, avec un engouement moindre pour les oursins et les moules. Alors que l’OMS recommande un ratio de consommation annuelle de poissons et fruits de mer de 11.7kg/individu, l’Algérien n’en a consommé que 4,5 kg en 2017. Cet écart dramatique prive notre citoyen d’un apport précieux en protéines de qualité, en acides gras polyinsaturés (oméga 3) et minéraux essentiels absents dans d’autres sources d’alimentations et l’expose davantage aux risques de malnutrition et aux maladies cardiovasculaires. Aussi est-il crucial de rappeler que cette consommation concerne essentiellement les habitants des villes côtières.

Ces produits énergétiques peuvent-ils être remplacés par d'autres aquacoles ?
Théoriquement, oui ! Les moules et huîtres par exemple ont quasiment le même mode de vie sédentaire, lorsqu’elles sont sauvages et en élevage. Les poissons élevés en mer offrent quasiment les mêmes apports en protéines, acides gras polyinsaturés et minéraux que les poissons sauvages, néanmoins, le mode de nourrissage des poissons avec des granulés pauvres en protéines, les mouvements limités des poissons dans les cages et bassins d’élevage altèrent la qualité et le goût du produit.
L’utilisation de vaccins et d’antibiotiques pour réduire les taux de mortalité n’est pas sans impact sur la santé du consommateur à long terme, mais là encore, c’est comparable à notre consommation des volailles et autres viandes «terrestres».

Quels sont les autres produits aquacoles qui peuvent être consommés par les Algériens (eau douce) ?
Ce sont essentiellement les espèces dont le cycle de développement est maîtrisé ou qui peuvent être élevés en mode semi-extensif, voire extensif, c'est-à-dire que les alevins (jeunes poissons) sont introduits dans le plan d’eau naturel ou artificiel, et qu’ils se développent et atteignent des tailles commerciales sans aucune intervention, nourrissage, oxygénation ou renouvellement de l’eau. Il s’agit des carpes, du tilapia du Nil, des silures, black-bass et sandre, mais aussi de crustacés d’eau douce et même de microalgues comme la spiruline.
Les investissements d’élevage du tilapia se sont multipliés en Algérie depuis le début des années 2000, suite aux politiques d’aide et d’encouragement de l’investissement en aquaculture, les empoissonnements des barrages sont quasi-systématiques, mais la production reste en deçà des objectifs fixés, avec 5% seulement de la production halieutique, contre plus de 50% en Égypte.

L'idée répandue est qu'il est difficile de cuisiner les produits d'eau douce. Est-ce vrai ?
Cette idée n’est pas complètement fausse ! Déjà que la consommation de produits aquacoles, particulièrement d’eau douce, ne fait pas partie de nos us alimentaires, il faut compter que les produits d’eau douce sont issus d’un milieu nettement moins iodé que la mer, ajoutez à cela l’évolution de certaines espèces comme la carpe dans des barrages envasés, d’où la nécessité de mariner la chair, de l’agrémenter et de l’épicer avant cuisson. Des journées et salons ont été organisés par le ministère de la Pêche et ses antennes pour sensibiliser le public à l’intérêt nutritif de ces produits et des dégustations de plats concoctés par des chefs ont fait l’unanimité. Malgré une relative avancée, l’acceptation du produit dulçaquicole n’est pas acquise et beaucoup reste à faire. Il faudrait éventuellement arriver à des productions industrielles et développer la transformation en filets, en conserves et pourquoi pas « créer » des produits adaptés au palais gustatif algérien et les proposer à des prix compétitifs. Le développement des filières d’élevage de sandre et black-bass, qui sont des carnassiers au goût apprécié, mais aussi de crevettes d’eau douce, constituent une valeur ajoutée et un créneau attractif pour les économies locales, les résultats des essais d’élevage de ces espèces ont été concluants.
Enfin, les campagnes pour promouvoir les produits d’aquaculture doivent s’intensifier, la communication étant facilitée aujourd’hui par les réseaux sociaux et les plateformes communautaires qui pourraient fédérer les producteurs.

Un dernier mot...
Le retard de l’Algérie en aquaculture pourrait constituer un atout pour la mise en œuvre d’une activité durable, un véritable levier pour notre sécurité alimentaire, au regard des retours d’expérience des autres pays. Développer une filière continentale qui favorise la réutilisation de l’eau en agriculture, l’élevage en circuit fermé, l’utilisation de l’énergie solaire, l’optimisation du choix des espèces et des modes d’élevage en fonction des savoir-faire, des coûts de revient et de la disponibilité des ressources.
L’activité ne devrait pas entrer en compétition avec l’agriculture, notamment pour l’exploitation des terres, mais la compléter. L’activité en mer ne devrait pas altérer les écosystèmes fragiles tels que les herbiers à posidonie et les impacts des charges organiques sur le milieu contrôlés. Les contrôles sanitaires se doivent d’être rigoureux, la composition de l’aliment, l’utilisation des traitements prophylactiques et curatifs soumis à des exigences sanitaires internationales.
Enfin, le développement de l’activité et son succès sont indissociables d’une stratégie de commercialisation et de marketing solides.
S. R.
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