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Rubrique Tendances

Errance intérieure

Ce jour, il me prit l’envie stupide d’aller confier à mes errances, mes rencontres improbables. Sur le chemin de mes impossibilités, je fis la rencontre de nombre d’individus qui me paraissaient, somme toute, intéressants à dire. J’en avais marre de marcher, sans voir personne. Non pas que je sois aveugle. Simplement, parce que je ne voulais voir personne. C’est mon droit, me suis-je toujours dit, mon droit absolu. Quoique par les temps qui courent, le droit est rapport à la force, malheureusement. Je marchais donc. Comme ça. Sans but. Sans raison apparente. Mes pieds foulaient le sol, pesamment. Je n’avais presque pas conscience de mon état. Pourtant, une station dans mon café du coin aurait été une meilleure solution que cette errance sur une route qui ne mène nulle part. Je me trouve sur un chemin improbable dans un pays improbable. C’est mon destin. Je l’accepte. Ai-je seulement le choix. Non ! Alors, je continue mon errance dans un quotidien lourd à pleurer. J’ai traversé des villes tristes comme un caillou boiteux. Et des campagnes tristes à se suicider. Mais j’ai rencontré des gens. Les miens, certainement ! Celui-là avait un sac sur le dos. Jeune, il avait l’air d’un gars pressé. Il regardait, sans cesse, derrière lui comme s’il avait peur d’être suivi. Il accélère le pas. Il était vêtu, comme les jeunes d’aujourd’hui. Je ne lui donne aucun âge. Il n’a pas d’âge. Un peu comme tous nos jeunes. Sa coupe de cheveux est étrange. Punk ? Peut-être. C’est une coupe que je ne ferai jamais. Ce n’est plus de mon âge. Puis, j’aurais l’air de quoi ? Ce jeune avait la mâchoire serrée. L’air décidé, il est sûr qu’il prépare un coup. Mais quoi ? Comme je suis sur une route improbable d’un pays improbable (l’Algérie ?), je ne me gêne pas de lui poser des questions. «A ce train, tu sembles décidé à aller loin, jeune homme…» C’est plus une affirmation qu’une question. «Loin, le plus possible de ce pays.» Waouh, sa réponse est cinglante. Je la mérite. Ma curiosité y est pour beaucoup. Un peu décontenancé, je pousse un peu plus loin mon audace. «C’est où le plus loin possible ?» Il me regarda avec des yeux ronds, étonné que je ne comprenne pas ses intentions. «Là-bas, là bas. Là où je pourrai rêver. Me balader dans des parcs fleuris. Manger sur une terrasse. Espérer un job. Prendre par la main mon amoureuse. Donner et recevoir le bonjour. Boire un café dans une tasse propre…» Ça va, ça va. J’ai compris. Enfin, je pense avoir compris. «Mais tu peux faire tout ça ici, chez toi, dans ton pays…» Il m’arrêta net et m’asséna : «Vieux con !» Je reprends doucement mes esprits. Je suis tout de même estomaqué par la gifle de mon jeune ami. Je peux me permettre d’en faire un ami. Au point où j’en suis, sur cette route improbable de ce pays improbable, je me permets toutes les fantaisies. Je n’ai peur d’aucun regard. Ni aucune remontrance. Ni aucun conseil. Je n’existe pratiquement pas. Je pousse un peu plus loin mon errance. A l’orée d’un village, comme il en existe des milliers en Algérie, je rencontre un gars, normalement vêtu, veston élimé, pantalon trop large pour sa maigreur, des moustaches gigantesques, un regard fiévreux et une tignasse caniculaire. Ne faites surtout pas attention à mes métaphores, tout est improbable, y compris ma chronique. «Salut l’ami !» L’autre me répond nonchalamment. «C’est ça, salut !» J’ai cru entendre un ventriloque. Je n’ai pas vu ses lèvres bouger. «Belle journée, n’est-ce pas ?». Tiens, il sourit. Et j’ai vu des dents noires charbon. «Ça dépend pour qui, cette belle journée ?». Il pose un cartable volumineux, en retire un cahier miteux et se mit à déclamer un poème. Du moins, c’est ce que je pense. Je n’ai pas en tête ses dires. Il était question d’un enfer sur terre. D’un pays maudit où les vauriens ont leur mot à dire. Ça me rappelle un poète de chez nous (Si Mohand ?) Ça ne peut pas être lui. Il repose là-haut, dans ce village qui tutoie les étoiles. L’autre, le bougre, ne s’arrête pas. Il déclame. Et il pleure. J’ai beau essayé de l’arrêter. Impossible. Le regard levé au ciel, il éructe son poème. Soudain, il choppe son cartable, se met à courir en criant : «Le poète est mort ; ils l’ont tué les salauds…» Dans cette fable erratique, qui c’est le poète ? Qui sont donc les salauds ? Je continue mon petit bonhomme de chemin. Je ne ressens aucune fatigue. Ni soif. Ni faim. C’est le propre de l’errant. J’aurais voulu une cigarette. Mais je n’ose pas demander aux gens. On me regarde différemment. C’est normal, je suis un étranger dans cette contrée. Je dois avoir l’air d’un clochard. Pourtant, je suis nippé normalement. Comme tout le monde, quoi. Je ne porte pas un costard, c’est sûr. Ce n’est pas seyant pour mon errance intérieure. J’ai l’air de quoi, justement ? Au milieu de cette ville, un homme me hèle. Je le regarde bien. Je dois le connaître. Son visage me dit quelque chose. Dans une autre vie, certainement ! Comme elles sont grandes, ses lunettes ! Quelle moustache ! Le front bombé lui donne l’air d’un intello. «Je t’offre un café», me dit-il. Qu’ai-je à perdre ? Un café, c’est toujours ça de pris. N’ai-je pas arrêté la caféine ? Dans une autre vie, me dis-je in petto. «Tu fêtes quelque chose, l’ami ?» Remarquez que j’appelle tout le monde «mon ami». Normal, tout est improbable. «Mon dernier roman ; je suis écrivain», répond-il. Oh, un écrivain ! Je ne pensais pas en rencontrer un vrai. J’ai toujours peur de les approcher. Pourtant, les écrivains me fascinent. Ils préméditent leur texte, se montent le bourrichon pour inventer une histoire qui n’a aucune prise sur la réalité. Ils cherchent le mot juste, l’image adéquate, le sens du propos et tentent d’improbables prix littéraires. Nous nous attablons, l’écrivain et moi. Plus je le regarde, plus j’ai l’impression de le connaître. J’ai dû le voir à la télé. Dans une autre vie, certainement. «Alors de quoi parle votre roman ?». Ici, je me la joue. Je me la pète. Je me prends pour un journaliste de la télé. J’aurais aimé tenter l’expérience. Mon écrivain sourit. Quel beau sourire ! «De l’exproprié.» Il s’arrêta net de parler. C’est un taiseux, me dis-je. De l’exproprié, c’est tout ! Ils sont drôles, ces écrivains. De l’exproprié ! Et alors ? Alors, rien. Il ne dit plus rien, mon écrivain. Il sirote son café, tout en me regardant gentiment. Je fais comme lui. Je le regarde gentiment. Et je sirote mon café. Il y a trop de sucre dans ce kahoua. Je voudrais bien me lever et m’en aller. Mon écrivain a saisi ma pensée. «Tu veux partir.» C’est plus une affirmation qu’autre chose ! «Oui, je reprends ma route. Je suis un errant, vois-tu. Je n’ai d’autre but que de marcher, là où me mènent mes pas.» Mon écrivain ouvre son vide-poche et me propose son roman. «Je te mets une dédicace. Pour la route. Pour ton errance.» Je prends le roman. Je sors du café. Je reprends ma route. Vers l’Est ! Pourquoi pas ? Tous les points cardinaux se valent. Ici ou là, peu importe. Pourvu qu’il y ait l’errance. Zut, j’ai oublié de remercier mon écrivain. Je m’arrête, feuillette le roman et lis la dédicace. Je vous la donne, en totalité : «A…, ce retour sur d’anciennes traces ! Pour exorciser quels démons ?»
Y. M.

 

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