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Rubrique Tendances

VIS, TU VERRAS !

Ce titre m’a été soufflé par quelqu’un de très proche de moi, avec lequel j’ai eu une discussion à cœur ouvert. Discuter indique un échange d’idées ; mais là, ce proche m’a obligé à l’écouter, du début à la fin. Je n’ai pas eu à placer un mot. Je n’ai pas pu en placer, tellement il était pris par sa passion de dire son ressenti. De l’Algérie, principalement. Accessoirement, de ma génération. Cette génération écartelée entre soixante et soixante-dix ans. Cette génération dite génération de la guerre. Car, nous étions enfants lors de la lutte de Libération. Et que l’indépendance acquise nous promettait un parcours de vie sensationnel. Chaque fois, mon proche me répétait, à satiété, « îch tchouf ! » J’en ai fait un calque. Que les puristes me pardonnent, je suis pour les calques quand ils servent à quelque chose. Dans ce cas d’espèce, ce calque me sert à prendre de la distance avec ce que j’ai entendu comme récriminations. 
 Lors d’une banale discussion avec mon proche, discussion qui avait pour sujet l’Algérie, le nouveau Président, l’avenir de ce pays et ce qu’on attend de nos gouvernants. J’ai commencé par dire que j’étais un algéro-désespéré ; mais qu’au fond d’un tiroir secret, j’ai caché une once d’espoir. Là, j’ai vu un sourire se dessiner sur le visage de mon proche. Ce dernier démarra sur les chapeaux de roues. Pris par sa fougue, il ne me donna pas le loisir d’en placer une. Il était calme. Serein. Il ne cherchait pas ses mots. A croire qu’il rumine cette prise de position depuis un bon bout de temps. Me regardant droit dans les yeux, il impute la responsabilité de la faillite algérienne à ma génération. «Votre génération n’a rien fait ; vous êtes responsables, au même titre que les gouvernants, de ce qui se passe depuis 62 à nos jours, dans notre pays», dit-il gravement. 
Je voulais lui demander ce que ma génération aurait pu faire. Et tenter de lui expliquer les tenants et les aboutissants de la situation algérienne. Que ceux qui ont tenté de faire ont eu à subir les foudres de la répression. Je voulais lui dire que c’est un peu la fable du « pot de fer contre le pot de terre ». Je voulais lui dire que nous avons intériorisé une peur panique. Je voulais lui dire que nous remettions notre désespoir à plus tard. Et qu’à chaque événement, nous formions un espoir d’une meilleure vie. Un meilleur système politique. 
Je voulais lui dire beaucoup de choses. Les idées battaient la chamade dans ma tête. Mon proche ne m’en a pas laissé le temps de construire mon argumentaire. «Tu vois, tu fuis encore. Comme ta génération l’a toujours fait. Vous aviez tout, en ce temps-là. Il était possible de vous prendre en charge. De vous impliquer dans la politique. De changer les choses. Il était encore temps. Vous vous êtes laissé berner par des dictateurs. Vous avez cru au socialisme algérien. Vous avez accepté la révolution agraire. Les pénuries. Le système vous a achetés avec un salaire. Une retraite. Une vie de gagne-petit.»
Ouf ! Je n’en crois pas mes oreilles. Ma génération est-elle autant responsable que tous les gouvernants algériens, depuis l’indépendance ? J’avais beau me défendre. Mais mon proche me voit aussi responsable que tel ou tel Président. Comme si ma génération avait entre les mains les leviers de la décision nationale. C’est certainement cela le conflit de générations. Personnellement, je ne suis pas en conflit avec la génération actuelle. J’ai toujours pensé qu’elle devait être aux commandes du pays. Parce qu’elle a le courage de ses rêves, la vigueur de ses actions et l’ambition de la modernité. 
Mon proche ne s’arrêta pas là à ce constat. Il en a cure. Il dit : «Je n’ai aucun espoir ici. Tu sais, mon pote – même «au noir» – vit sa vie en France. Il a sa carte vitale. Il se fait soigner. Et quels soins ! Il travaille, cotise et paie ses impôts. La préfecture lui a promis de le régulariser. Ses enfants vont à l’école. Sa femme est auxiliaire de vie. Il est payé en euro. Va voir à combien se monnaye l’euro au square Port-Saïd ! Dis à ta génération de ne pas pleurer si demain, on vous demandera de payer la baguette à 100 dinars. Il ne faudra s’en prendre qu’à vous-mêmes. Vous avez, de toutes les façons, pris l’habitude de courber l’échine. Vous n’avez rien dit depuis l’indépendance. Ich tchouf ! Vis, tu verras ! Mazel ou mazel ! Mais avec le Hirak, le changement est imminent…» 
Je ne pouvais plus dire un mot. Mon cerveau s’est arrêté. Je ne réfléchissais plus. Une question me vint à l’esprit : « Et si c’était vrai ? » Ma génération se devait-elle d’aller au charbon ? Ou a-t-elle connu l’enlisement dans la peur, le renoncement et la sinistrose ? Ma génération ne s’est-elle pas contentée de bouffer, même mal, de quêter le rêve, sans l’avoir, d’aller dans le sens de la routine, même en signant la déprime, de penser qu’à nos enfants, même s’ils nous reprochent cette façon de vivre, de cultiver la peur, parce que l’épée de Damoclès épiait nos cous, de tenter la fuite intérieure, même si elle rappelle la lâcheté… 
Ich tchouf ! Ça se mélange dans ma tête. Soudainement, j’ai en tête tous les soubresauts de l’Algérie, depuis les maquis de 63 jusqu’au Hirak actuel, en passant par la tragédie noire de 90. Et toutes les pages blanches du monde ne suffiront pas à contenir toute la colère contenue, par ma génération, depuis justement le grand sourire de 62. Toutes les arrestations d’opposants. Les assassinats. Les exils. Les fuites. Les disparitions. Les bagnes. Les règlements de comptes. Le tribalisme. La corruption. Le népotisme. Le régionalisme. L’intégrisme. 
L’Algérie n’est-elle que cela ? Ma génération est-elle à ce point fautive ? J’ai peur de la réponse. Je le dis, sans complaisance. Que  retiendra l’Histoire ? 
Y. M.

 

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