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Rubrique Culture

Joker en projection à Alger Esquisse d’une subversion plombée par la justification

Plusieurs salles de cinéma en Algérie accueillent depuis jeudi le film-événement Joker de Todd Philips. Avec Joaquin Phoenix dans la peau du personnage principal, on découvre la psychologie tourmentée et la genèse de l’ennemi juré de Batman.
Enfin, un Batman qui en vaut la peine ! Un public hostile au manichéisme et à la figure schématique du super-héros serait tenté de pousser ce cri de satisfaction à la découverte de Joker, un film lié directement à Batman, mais en l’absence de ce dernier ! Avec ses 200 millions de dollars d’entrées en l’espace d’une semaine d’exploitation aux Etats-Unis, sa cavalcade effrénée dans le box-office et la ruée planétaire sur les projections, le long-métrage de Todd Philips est en passe de faire exploser tous les compteurs tout en divisant la critique et les médias.
Chef-d’œuvre doublé d’un objet politique subversif pour les uns, produit dangereux et apologétique de la violence pour les autres, Joker est-il véritablement ce film rebelle qui vient secouer un Hollywood somnolent et conformiste ? Pas si sûr.
Atteint d’une maladie mentale dont le symptôme le plus spectaculaire est un rire compulsif se déclenchant toujours au mauvais moment, Arthur Fleck est un clown naïf et débordant de gentillesse qui vit avec sa mère malade et rêve de monter un jour sur les scènes du stand-up américain.
Entre une séance chez le psy des services sociaux et un spectacle pour les enfants malades, il tente désespérément d’écrire le sketch qui révélera enfin son talent au monde. Son idole, campée par Robert De Niro, est un présentateur vedette de talk-show qu’il regarde, religieusement, chaque soir avec sa mère.
La vie aurait donc pu s’écouler ainsi si Arthur ne faisait pas l’objet d’un acharnement sadique du monde qui l’entoure. Affaibli par ses tocs et son désordre émotionnel, persécuté par ses collègues, miné par la solitude, ratant sa carrière d’humoriste et assailli par la «méchanceté» du monde, Arthur le candide entre, peu à peu, dans l’univers du crime. Ses premières victimes étant trois traders de Wall-Street, il devient, malgré lui, le porte-drapeau d’une grogne sociale qui se transforme en insurrection dans un Gotham City gangréné par la pauvreté et la corruption. Le coup de grâce est donné par la découverte de sa vraie identité et le passé trouble de sa mère adorée et c’est ainsi qu’Arthur Fleck devient Joker.
De César Romero à Heath Ledger en passant par Jack Nicholson, ce personnage emblématique des Comics américains est aujourd’hui incarné par un monument d’Hollywood : Joaquin Phoenix. Et le moins que l’on puisse dire est que l’acteur s’est surpassé pour, à la fois donner enfin la parole au «super-vilain» et transcender la multitude de récits parfois contradictoire qui ont essaimé les différents Batman.
Amaigri de trente kilos, littéralement hanté par son personnage, le comédien ne ménagera aucune prouesse pour épouser la complexité et l’outrance d’un Joker enfin rendu à son humanité. Son interprétation épidermique et démentielle est sans doute le meilleur atour du film car Phoenix est d’une générosité radicale (ou radicalité généreuse) quand il s’agit de nous balancer en plein face l’esprit tourmenté de son personnage.
A travers ses chorégraphies éthérées, son visage en éternelle transformation, sa douceur ou sa violence démesurée, Joker est au centre d’un propos, si ce n’est révolutionnaire, du moins révolté sur des questions aussi variées que la définition du mal, la légitimité de la violence, la société du spectacle, les inégalités et injustices sociales, le chaos ou encore la corruption des politiques…
Seulement révolté, car Todd Philips ne va jamais trop loin dans cette critique globale des institutions et de l’ordre moral. Hollywood oblige, le réalisateur semble trop concentré sur un processus de justification, façon «origines du mal» et de recherche de circonstance atténuantes pour ce personnage sulfureux. Il ne fera donc qu’effleurer l’aspect viscéralement subversif d’un Joker en guerre contre la société dont la réponse ultime à la violence institutionnelle et politique est de semer le chaos et déglinguer cette machine sociale déshumanisée et déshumanisante. Philips préfère ainsi se tenir aux abords de son sujet sans jamais oser y entrer de plain-pied alors même que Phoenix se démène comme un diable pour incarner cet antihéros décidé à renvoyer à la face du monde sa propre violence.
Si Joker vaut le détour, c’est donc principalement grâce à la performance de son acteur principal dont l’interprétation incandescente et sans concession vient atténuer la prudence, voire le conformisme de la narration et apporter de la nuance à une mise en scène par trop démonstrative. Le film, d’une durée de deux heures, est pour rappel en projection à Alger (salles Afrique, Ibn Zeydoun, Ibn Khaldoun et Sahel) jusqu’au 26 octobre, Oran (salle Essaâda) jusqu’au 25 et à Constantine (salle Ahmed-Bey) jusqu’au 23. Le prix du billet est fixé à 800 DA.
Sarah Haidar

 

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